La rencontre qui change tout
— Putain, tu fais quoi, là ? Dégage, c’est là où je pionce. Personne n’utilise le coin de Nanard.
Le réveil est brutal parce que je suis en train de me prendre des coups de pieds et moi, complètement déphasé, tout ce que j’ai en tête, c’est la phrase de Dirty Dancing : “On ne laisse pas Bébé dans un coin.” Je sors cependant rapidement de ma rêverie quand je vois un couteau apparaître dans la main du type qui est en train de me tabasser.
— Arrêtez ! Je ne savais pas ! tenté-je de lui expliquer sans que ça le calme le moins du monde.
— Ta gueule, je vais te buter. Tu as utilisé mes cartons ! Tu vas crever comme un chien !
Je réalise qu’il est complètement sous l’emprise de produits et totalement insensible à ce que je peux lui dire. J’ai l’avantage d’être sobre de mon côté et je parviens à me reculer assez pour pouvoir me protéger de mes bras. Il s’en rend compte et arrête de me donner des coups de pied. Il continue cependant à me regarder méchamment, son couteau à la main.
— Je vais partir, je vais vous laisser, je suis désolé, je ne savais vraiment pas.
Plutôt que de l’apaiser, lui parler réactive son animosité et il fait un pas vers moi. J’ai l’impression qu’il va essayer de me planter quand une autre voix se fait entendre.
— Calme toi, Nanard, c’est un minot, il n’a pas fait exprès, et là, il va venir avec moi. Alors, tu le laisses tranquille, d’accord ?
La voix est gouailleuse et j’aperçois derrière mon agresseur une masse sombre un peu informe et une barbe poivre et sel, longue et fournie. Incroyablement, Nanard se détourne de moi et s’assoit sur ses cartons sans plus se préoccuper de ce que je fais. Je me lève et suis mon sauveur qui déjà s’éloigne. Je le rattrape sans peine vu qu’il pousse un caddie rempli à ras bord mais n’ose entamer la conversation. Nous n’allons pas loin mais nous dirigeons vers un petit espace entre deux immeubles à côté duquel je suis passé des milliers de fois sans jamais l’apercevoir. Je suis le SDF qui m’a sorti de la mauvaise passe où j’étais et découvre dans cet interstice un véritable espace de vie.
— Tu peux te mettre là, dans le coin, me dit-il de sa grosse voix avant de connaître une quinte de toux si violente que j’en ai peur pour sa santé.
Il doit voir mon air inquiet car il enchaîne avec un gros éclat de rire avant de sortir de son sac deux bières fortes et il m’en tend une. J’hésite quelques secondes mais il reste le bras tendu et je finis par prendre la canette.
— T’es un marrant, toi. Tu es sûr que tu n’as pas un endroit où aller ? Parce que là, mon p’tit gars, si tu continues comme ça, tu passeras pas la semaine. Moi, c’est Jacques, mais tout le monde m’appelle Jacquouille. Tu sais, comme dans le film. Il paraît que j’ai une sale gueule encore pire que Christian Clavier. Mais il faut pas se fier à ma gueule, hein ? Je suis un gentil.
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