Lorsque je me réveille au petit matin, je suis surpris d’avoir dormi. Je regarde autour de moi et constate que Jacques est parti et m’a laissé seul. Je suis étonné qu’il m’ait ainsi abandonné et un peu meurtri aussi, il faut le dire, qu’il n’ait pas pris la peine de me saluer avant de me laisser. Est-ce qu’il a aussi voulu m’apprendre une leçon de la vie à la rue ? J’ai lu en faisant mes recherches que les amitiés sont fluctuantes et dépendent des circonstances. On peut avoir des potes de boisson, des camarades de galère, mais au moindre événement, tout se casse la gueule, les bases sont trop fragiles. C’est une chose de le lire, c’est totalement différent de le vivre.

Je rassemble mes affaires et récupère mon sac à dos avant de sortir de cet espace de vie. C’est effrayant de quitter la protection de ces deux grands murs et de retourner dans la rue. A l’angle de la boucherie, je vois une silhouette.

— Jacques ? l’appelé-je en criant.

La silhouette disparaît et je cours pour la rattraper mais quand j’arrive au coin, il n’y a plus personne. Ai-je rêvé ? Veillait-il sur moi ? Encore à ce jour, je veux y croire, même si Jacquouille ne me l’a jamais confirmé.

J’hésite sur la conduite à tenir et me décide à changer d’approche pour mon article. J’ai compris en échangeant avec Jacques qu’il faut, pour ma chronique mais aussi pour ma connaissance du monde de la rue, que je fasse des rencontres. Dormir dehors, je ne pense pas que je sois assez fort pour y arriver. Mais discuter et promettre à ces personnes que leurs voix seront entendues, ça je peux. Ce sera désormais ma nouvelle façon de faire.

Je retourne à mon appartement et suis accueilli par ma colocataire qui me saute dans les bras.

— J’ai eu si peur pour toi, cette nuit. J’ai cru qu’il allait t’arriver un malheur !

— Eh bien, non, je suis là. Il m’est plutôt arrivé un bonheur.

Je n’ai pas le temps de continuer qu’elle m’enlace et m’embrasse. Au moins, maintenant, je sais à quoi m’en tenir quant à notre relation. Si j’avais su qu’il me suffisait de passer une nuit dehors pour provoquer une telle réaction, j’en aurais profité plus tôt ! Quoique, repenser à cette nuit dehors alors que je profite de la chaleur du corps de cette femme magnifique, me rappelle que c’est une vraie chance que tout le monde n’a pas d’avoir un chez-soi et une personne qui tient à nous. Et c’est ça qu’il faut que je mette en lumière.

— Je sais ce que je vais écrire. Faire semblant d’être à la rue ne m’apportera rien, mais me faire le porte-voix de toutes ces personnes, je sais désormais que c’est ma mission. Je vais écrire et me battre pour que leur situation soit reconnue, tu verras, les choses vont changer.