Chapitre 9
Le lendemain matin fut un peu différent de ceux qui avaient précédé. Ils tentèrent bien d’essayer de faire comme si de rien n’était, mais la vérité était que, tout, du moment où ils avaient franchi la porte d’entrée de cet appartement jusqu’à leur reddition finale, était gravé dans leurs têtes.
Loïc ne savait pas comment ça se passait pour Maxine, mais lui, était coincé entre l’idée de faire perdurer le souvenir de cette satisfaction immense, et l’autre option qui lui demandait de recommencer au plus vite pour voir s’il était possible de ressentir des émotions encore plus fortes. Il avait presque une boule au ventre en imaginant que cette dernière ne fut qu’une douce illusion.
Il leur fallait donc faire quelque chose sinon ils allaient, soit imploser sur place, soit se jeter l’un sur l’autre comme de vulgaires bêtes sauvages.
« Cela te dirait de faire un tour à la Réserve ? demanda Maxine qui dévorait autant la tartine de pain avec sa bouche, que Loïc avec ses yeux.
— C’est un zoo ?
— Ouais et il y a un tas d’espèces. J’adorais y aller quand j’étais petite. Et en plus, je me dis qu’il devrait y avoir de quoi faire plein de photos.
— Tu veux y aller samedi ou dimanche prochain ?
— Non. Aujourd’hui.
— Tu sais que je travaille et toi aussi.
— Ouais mais j’ai envie qu’on soit malade, aujourd’hui. T’as jamais séché les cours quand t’étais au collège ou au lycée ?
— Bien sûr que si. Et pas mal de fois en plus.
— Bah moi, figure-toi que, je ne l’ai jamais fait. Trop honnête ou trop coincée. Je ne sais pas. Mais bon. Alors on le fait ? »
Loïc aurait voulu résister à cette proposition qui semblait le renvoyer une dizaine d’années en arrière.
« Tu vas faire comment pour l’arrêt de travail ?
— L’arrêt de travail, tu rigoles ? Faut que tu canes pendant plus de trois jours d’affilée pour que ça fonctionne ce truc. Donc après c’est soit tu poses un congé, soit c’est sans solde. Comme dans le restau, la plupart de tes congés c’est le patron qui te les impose, tu vois le tableau ? »
C’était vrai que vu sous cet angle, l’obstacle de l’arrêt de travail était très relatif. De son côté à lui, il n’y avait pas ce dispositif de carence. Mais ce n’était pas vraiment un problème car il pouvait facilement poser un de ses nombreux jours de congés qui dormaient dans les dernières lignes de sa fiche de paie.
« Je croyais que votre convention collective était plus protectrice que ça.
— Elle l’est, mais il faut que l’entreprise la signe pour qu’elle s’applique. Bref, alors quoi ?
— Alors, go pour le zoo ! Laisse-moi juste une minute pour envoyer un message pour prévenir la boîte. Tu devrais faire pareil…
— C’est déjà fait.
— Alors t’allais y aller dans tous les cas ? »
Maxine secoua la tête l’air amusé.
« Non, j'étais juste prête à tout pour que tu ne me dises pas non.
— Mince, fit Loïc. J'aurais dû insister dans ce cas-là. C'était quoi ce tout ? »
Elle lui tira la langue en mettant ensuite un doigt sur ses lèvres et termina son café.
*
Ils prirent la route aux environs de dix heures avec la voiture de Loïc et déplacèrent celle de Maxine dans le box. Au risque de paraître un peu paranoïaque, Loïc préférait procéder ainsi, car il avait eu des voisins un peu obsessionnels dans son ancienne résidence, qui s’amusaient à mettre des clous dans les pneus des véhicules qu’ils n’estimaient pas légitimes à se garer, quand bien même fussent-ils sur les places visiteurs.
Maxine avait changé de tenue et avait revêtu une salopette en jean qui lui donnait une silhouette de bande dessinée, étant donné qu’elle était épaisse comme une feuille de papier. Casquette et lunettes de soleil sur le nez, on eut pu la confondre avec une starlette du petit écran en cavale.
« Je ne suis pas sûre que cela ressemble à un compliment, ça. Mais bon je prends, je t’accorde le bénéfice du doute. Juste parce que t’as bien voulu me faire une petite place dans ton armoire. »
En vrai, de consentement, il n’y en avait pas eu. C’était plutôt la nécessité pratique qui s’était imposée. Maxine ne pouvait pas être en quasi-permanence chez Loïc et être obligée de faire des allers-retours chez elle quand elle voulait changer de vêtements. Loïc avait suggéré la solution inverse, c'est-à-dire squatter l'appartement de Maxine et que lui fasse des allers-retours chez lui pour changer de vêtements. C’était une organisation plausible car entre leurs lieux de travail respectifs et l’appartement de Max, celui de Loïc était sur le chemin. Mais Maxine avait accueilli la proposition avec une grimace telle que celle-ci repartit au néant, aussi vite qu’elle était arrivée.
« On y sera quand, au zoo ? demanda Maxine qui avait mis le siège passager en mode allongé.
— Si j’en crois le GPS, vers midi trente, treize heures.
— Tant que ça ? Je ne me rappelais pas que c’était si loin.
— Tu avais quel âge la dernière fois que tu y es allée ?
— Difficile à dire. Je dirais sept ou huit ans ?
— En famille ?
— Ouais, si on veut. Avec ma mère et son mec du moment. Me rappelle plus lequel c’était à l’époque. Il n’a pas dû rester longtemps de toute manière.
— Tes parents sont divorcés ?
— Oui, sûrement. Mon père s’est barré avant ma naissance. Ça date peut-être d’avant, je ne sais pas.
— Ne le prends pas mal, mais c’est étrange qu’il se soit barré avant, non ?
— Je ne le prends pas mal. Juste j’aime pas parler de ça. Je vais te faire un résumé. Mon père et ma mère se sont mariés, ils ont eu mon frère, mais il est mort-né, et moi, ils m’ont mise en route juste après. Mais a priori, c’était pas une bonne idée.
— Moi, je ne trouve pas.
— Tu ne trouves pas quoi ?
— Que ce n’était pas une bonne idée. Si c’était vrai, je serais en train de parler tout seul et je ne t’aurais pas rencontrée. Et pour moi, c’est ça la mauvaise idée. »
Maxine ne dit rien. Mais elle eut beau regarder ailleurs, des larmes lui remontèrent dans les yeux. Elle déglutit pour essayer de mieux respirer.
« T’es une sorte d’apprenti alchimiste en fait, fit-elle en regardant défiler la route. T’essaie de transformer le plomb en or ? C’est ça ? »
Elle essuya une larme qui commençait à couler.
« Pas sûr. Moi quand je me suis pointé, c’était déjà de l’or. »
Maxine lui décocha un coup de poing dans l’épaule.
« Ce n’est pas juste. » fit-elle sans dire exactement de quoi elle parlait.
*
Maxine resta silencieuse pendant une dizaine de minutes puis elle finit par s’endormir, bercée par le roulis de l’autoroute. Comme prévu par le GPS, ils arrivèrent sur le parking du zoo dans la tranche horaire du midi. Il y avait du monde mais cela restait raisonnable. Ils purent facilement acheter quelques sandwichs, un petit pack d’eau et surtout un sac à dos pour y mettre tout cela. Maxine avait bien emmené son propre sac mais celui-ci était complètement rempli par son matériel photo.
Le sandwich avalé, Maxine se mit à gambader de droite et de gauche, au hasard, entre les différentes zones et enclos du parc, prenant des photos au fur et à mesure qu’elle croisait des animaux d’une nouvelle espèce.
« Purée, il est plus grand que dans mon souvenir, ce zoo. On ne va jamais pouvoir tout visiter.
— Tu veux qu’on prenne une chambre d’hôtel ?
— Quoi ? Tu veux qu’on y reste jusqu’à demain ? T’es fou ? Et puis, une journée sans solde, ça va. Deux jours, ça va commencer à piquer. Mais j’aurais pas dit non, sinon.
— Je ne sais pas, moi je propose, tu disposes… fit Loïc avec un sourire moqueur.
— Ouais, vas-y. C’est facile pour toi. T’as plein de jours de congés en stock ! Et d’ailleurs, pourquoi tu les cumules comme ça ?
— C’est juste qu’en temps ordinaire, je n’ai aucune raison de les prendre.
— Tu veux dire que si tu n’as pas une fille dans tes pattes, tu bosses sans jamais t’arrêter ? T’es le meilleur ami des patrons, toi ! »
Maxine prenait cela sous le ton de la rigolade mais elle n’avait pas tort. Loïc le réalisait peu à peu. Pourquoi fallait-il qu’il attende un phénomène comme Maxine pour mettre un peu de couleur dans son quotidien ? Pourquoi ne le faisait-il pas de lui-même ? Et s’il en était incapable ? Maxine allait-elle accepter de toujours avoir cette charge de mettre du mouvement dans leur vie à tous les deux ? C’était clairement injuste de sa part, mais alors comment fallait-il faire pour en être capable ?
« Allo ? Oxo la terre ?
— Tu disais ? répondit Loïc en essayant de laisser de côté ses interrogations existentielles.
— Je te disais qu’il faut qu’on aille par là. Je voudrais prendre en photo les kangourous. Ne me demande pas pourquoi, j’ai toujours adoré ces bestioles. »
*
Maxine dut prendre au minimum deux à trois cents photos. Loïc adorait l’observer en train d’essayer de trouver la bonne position, le bon angle, le bon réglage aussi, même si c’était moins intéressant visuellement.
« Tu devrais faire attention à moins me regarder, fit-elle à l’intention de Loïc. Heureusement que je sais que tu es mon copain, sinon j’aurais des frissons quand tu me fixes avec tes yeux de pervers !
— De pervers ? Tu y vas fort.
— Bah sinon, je ne vois pas pourquoi tu me regarderais avec tant d’insistance.
— Donc si je résume, ton kif, c’est de penser que ton copain te regarde avec des idées malsaines pour expliquer qu’il te regarde. Tu m’en diras tant ! Attends, ne bouge pas ! dit Loïc.
— Quoi ? fit Max, un soupçon d’inquiétude dans la voix.
— Non. Rien. Je suis en train d’essayer d’imaginer des trucs… Et wow… T’imagines même pas quoi ! »
Maxine se mit à rougir et se jeta sur Loïc qui l’esquiva mais la rattrapa in extremis pour éviter qu’elle ne tombe avec son appareil dans les mains.
Depuis le matin, ils avaient plus ou moins fait exprès d’éviter tout contact physique prolongé. Et là, en l’espace d’une seconde, tous les deux ressentirent comme un léger courant électrique. Lui comme elle respiraient forts comme s’ils venaient de faire un effort physique intense.
« Ouah… Merci. Faut qu’on se remette au sport, nous deux. »
Loïc ferma les yeux. Il n’aurait pas été en public, il aurait relancé la machine comme Max l’avait fait la veille. Il rouvrit les yeux. Maxine était toujours dans ses bras et continuait de le fixer.
« Non, monsieur, ce n’est absolument pas une bonne idée. Ni le moment, ni le lieu. »
Loïc l’aida à se redresser.
« C’est juste que ça m’a fait repenser…
— À hier. Je sais. C’est très bizarre, mais je sais. J’ai encore des photos à prendre du côté de l’enclos des pandas. Et après, je pense qu’on va pouvoir rentrer. On a des choses à faire ce soir, tous les deux, avant d’aller dormir. » fit Maxine dans un regard espiègle.
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