Chapitre 38

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« Vous êtes conscients que c’est grave, les accusations que vous portez là ? » fit le flic qui tournait devant le bureau d’interrogatoire, comme un lion en cage.

Loïc ferma les yeux. Cet interrogatoire était comme une version miniature d’un jour sans fin.

« Oui. Vous voulez que je vous dise quoi ? Non, monsieur, ma petite amie n’a pas disparu du jour au lendemain ? Je la retrouve quatre jours plus tard, évadée d’un asile de fous alors qu’elle vient juste d’apprendre qu’elle est enceinte. Et pour couronner le tout, j’apprends qu’elle va avorter. Sans même m’avoir parlé d’aucun des deux sujets.

— Pourtant il semble bien que ce soit ce qu’elle a essayé de faire cette nuit en fuguant du centre où elle était hospitalisée. Et c’est ainsi qu’elle vous a surpris avec une autre femme.

— Ce n’est pas une autre femme. C’est Sarah, sa meilleure amie.

— Donc elle vous rejoint pour vous annoncer qu’elle va avorter et vous, vous la recevez alors que vous couchez avec sa meilleure amie ?

— Sa meilleure amie lesbienne.

— Cela a dû lui faire un choc, en effet. Une lesbienne qui devient bi pour se faire son petit ami alors qu’elle vient de tomber enceinte. Cela fait beaucoup. Votre liaison avec cette lesbienne remonte à combien de temps ?

— Je n’ai pas de liaison avec Sarah. Elle est venue dimanche, à partir du moment où Maxine a disparu et je lui ai proposé de dormir à la maison, plutôt qu’elle se tape les allers-retours chez elle. Pour être exact, pour ce qui est du dimanche soir, nous nous sommes plutôt effondrés de sommeil dans le canapé et cela n’était pas prévu.

— Et vous proposez à toutes vos amies dès la seconde nuit de dormir dans votre lit ?

— Mais c’est quoi votre problème, vous voulez que je vous propose un plan ? C’est quoi le rapport avec Maxine ?

— Je ne fais que vous posez des questions simples pour essayer de comprendre la situation.

— Dans ce cas-là, faites venir Sarah et elle vous dira. Ce sera plus rapide que vous entendre fantasmer sur elle. Je crois qu’elle adorera ça, d’ailleurs. »

Le flic s’arrêta de marcher en rond devant le bureau. Loïc regarda sa montre.

« Vous êtes pressé ?

— On va forcer ma petite amie à avorter, à votre avis ?

— D’après mon collègue qui était sur place, votre… Maxine lui a dit qu’elle devait avorter et non qu’on allait la forcer.

— Vous vous souvenez des circonstances ? Max venait de se faire un tonneau et se prendre un airbag dans le nez. Elle était trempée, pratiquement nue, coincée dans une voiture. Ça tourne rond chez vous ? Vous êtes sûr d’être sain d’esprit ? Tout ce que je vois c’est que vous gagnez du temps.

— Gagner du temps par rapport à quoi ?

— Une fois qu’elle aura avorté, je n’aurai que mes yeux pour pleurer et vous, vous vous en laverez les mains. »

Loïc se tut. Il ne savait plus s’il avait envie de pleurer ou de vomir, ou encore de taper sur le premier venu. Il ferma les yeux. Avec tout ça, il ne savait même pas comment allait Maxine. Le flic, piqué au vif par sa dernière phrase, allait lui répondre mais il l’en empêcha en demandant :

« Vous avez des nouvelles de Maxine ?

— Pourquoi en aurait-on ?

— Pour avoir l’air vaguement humain, pourquoi pas ? Je demande à porter plainte, c’est moi qui me retrouve en position d’inculpé. C’est ma voiture que ma petite amie a envoyée dans le ravin mais c’est moi le suspect. Je demande des nouvelles de ma petite amie qui a eu un accident et on me demande pourquoi. À la limite, je ne sais même plus pourquoi je parle ou je pose des questions. Tout ça, fit-il en désignant tout ce qui l’entourait, c’est juste un monde qui n’a aucun sens. Les gens qui disent que Maxine est malade, ce sont eux qui ont un problème avec la réalité. Maxine… »

Loïc s’effondra par terre.

« Merde, qu’est-ce qu’il a ? fit un homme qui entra dans la pièce, affolé.

— Je ne sais pas, il s’est juste effondré. »

L’autre homme s’agenouilla pour prendre le pouls de Loïc.

« Appelle les secours. J’ai l’impression que c’est juste de l’épuisement.

— Putain, si son avocat se pointe et voit ça, on est mal.

— Attends, le gamin, il est accusé de quelque chose ?

— Non.

— Pourquoi son avocat se ramène alors ?

— Pour déposer la plainte et obtenir une action auprès du juge.

— Je pige que dalle à cette histoire. »

*

Il était presque cinq heures trente. Sarah s’était assise sur une chaise dans un coin de la salle d’attente et, fermant les yeux, avait commencé à somnoler. Ce fut l’agitation au niveau des salles d’interrogatoire qui la réveilla. Un homme assez costaud débarqua au niveau de l’accueil et demanda d’appeler les urgences.

« Mais putain, je leur dis quoi ? fit la jeune femme blonde de l’accueil.

— N’importe quoi, que le gars s’est effondré d’un seul coup. Il respire encore. Et après, je ne sais pas, je ne suis pas toubib ! »

Sarah qui observait la scène commença à s’inquiéter. Le gars qui s’était effondré, était-ce Loïc ? Elle se leva et au moment où elle s’apprêta à aller jusqu’au bureau d’accueil, une femme d’une quarantaine d’années, tenue féminine mais coupé strict, passa le seuil de la porte d’entrée. Elle rajusta ses lunettes et jetant un regard sévère en direction de la fille de l’accueil, l’interpela :

« Je peux savoir ce qu’il se passe ici ? Cela m’a l’air bien animé pour un mercredi matin de si bonne heure.

— Vous êtes ?

— Lucie Baltier, l’avocate de Monsieur… »

Elle chercha dans ses papiers et donna le nom de Loïc. La fille de l’accueil changea de couleur et passa d’un teint rose Barbie à un teint proche de celui de Mercredi dans la famille Adams.

« Nous venons d’appeler les urgences, votre client s’est effondré dans la salle d’interrogatoire.

— Eh bien, c’est du joli. Cela valait le coup que je me lève au beau milieu de la nuit. Vous pensez que je vais pouvoir voir mon client quand ?

— Je ne sais pas, Madame, on le saura que quand les secours seront passés.

— Bah, faites en sorte qu’ils passent, et le plus tôt sera le mieux car je ne sais pas comment je peux préparer un dossier urgent pour le juge avec un client dans le coma.

— Mais il n’est pas dans le coma.

— Façon de parler, mademoiselle. Façon de parler, fit l’avocate d’un ton condescendant.

— Je peux peut-être vous aider, intervint Sarah en tentant de croiser le regard de l’avocate.

— Et vous, vous êtes ? fit cette dernière en l’inspectant des yeux de bas en haut.

— Sarah, une amie de Loïc et Maxine. »

*

Sous ses airs stricts, l’avocate était plutôt gentille. Du moins c’est le sentiment qu’elle donna à Sarah. Elle avait pour la première fois de la nuit, l’impression de s’adresser à une personne sensée.

« Savez-vous où votre amie Maxine a été internée ? demanda l’avocate qui avait noté un gros point d’interrogation dans une sorte de grand tableau où elle avait inscrit scrupuleusement chaque miette d’information que Sarah avait pu lui donner.

— Non. C’est le flic qui nous l’a confirmé en communiquant avec les pompiers. Tout ce que je peux vous dire, ce sont les endroits où l’on est allés avec Loïc et où l’on a fait chou blanc. Mais ça ne va pas vous avancer.

— Non en effet, mais il faut que je récupère cette information d’une manière ou d’une autre. Je veux avoir la date de son admission. Je veux le nom du médecin que Maxine est allée voir ce samedi et retracer son emploi du temps, minute par minute, jusqu’à cette nuit. Si vos déductions étaient bonnes et que votre amie était aux Adrets, ça voudrait dire qu’elle a fait vingt kilomètres en nuisette avec une peluche à la main en pleine nuit et sous une pluie d’orage ? C’est délirant. Elle n’était pas pieds nus tout de même ?

— Non, fit Sarah en fermant les yeux pour mieux visualiser la scène de cette nuit. Je dirais qu’elle avait ses petites Stan Smith, sans être complètement affirmative. Tout était si irréel et si rapide que c’est difficile d’avoir tout mémorisé.

— Et heureusement une affirmation approximative sincère vaut bien mieux qu’un mensonge réfléchi. Les mensonges, on finit toujours par les débusquer. »

L’avocate releva la tête et jeta un œil vers l’accueil. Les secours étaient en train de partir avec leur brancard vide.

« Votre ami doit sûrement aller mieux. En tout cas, j’espère. Si ce n’est pas le cas et que le brancard est vide, cela n’augurerait rien de bon. Mais bon. Ils ont l’air de sourire là-bas donc les choses ne doivent pas être si dramatiques. Je vous laisse, si vous restez encore, tâchez de dormir un peu. Vous avez une sale tête. Mais qui ne l’aurait pas avec ce que vous avez vécu ces derniers jours. »

Sarah regarda l’avocate s’éloigner et suivit son conseil en allant s’allonger dans un coin de la salle d’attente.

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