Parfois, une rencontre peut tout changer, comme avoir la certitude que celle-ci ne devrait pas aller plus loin, et c’est exactement ce que je ressens avec cette Johanna Latour. Cette wedding planer à peine plus âgée que moi a le don de m’irriter en un battement de faux cils. Tout chez elle me fait horreur, son air suffisant et son dédain flagrant me sortent littéralement par les trous de nez. Comment ma soeur, pourtant si douce peut tolérer pareille mascarade pour son propre mariage ? Et dire que j’ai encore deux mois à la supporter, elle et ses tailleurs beiges cintrés, sans parler de ce blond peroxydé.

— Le muguet sera parfait. Chic et champêtre, je vous l’assure, Mademoiselle Jouret.

La journée débute à peine et déjà les grands yeux figés de Johanna, commencent à me rendre cinglée. Je reste interdite devant ce stupide débat entre le muguet ou le lilas car je suis bien trop occupée à m’étendre sur les deux choix qui s’offrent à moi; intervenir et devenir complice de meurtre ou sortir les pop-corn en attendant l’appel à témoin. Malheureusement, la main ferme de Marc s’abat déjà sur les épaules de Maud et sur mon espoir de voir Johanna six pieds sous terre.

— Allons soeurette, ce ne sont que des fleurs. Laisse donc Johanna faire son travail, sinon on sera vraiment obligé de la payer pour rien.

L’électricité dans l’air laisse place à un immense océan de malaise, spécialité de Marc, qui, comme à son habitude, disparut tel un prince, le sourire aux lèvres, à la conquête d’autres contrées à terrasser.

Manque de chance pour Latour, nous sommes rodées sur les irruptions maladroites, voire piquantes, de notre frère. Aussi, j’en profite pour trainer Maud par le bras dans l’autre pièce, celle où, à ma grande joie, les amuse-bouches soigneusement étalés sur la table de réception nous attendent pour le reste de la journée. J’en attrape un au vol pour le fourrer dans la bouche de Maud.

— A quoi te sert cette wedding planer, si tu contredis absolument tout ce qu’elle te propose ?

Ma voix dépasse d’une octave l’effet escompté, car Maud avale sa bouchée de travers et me regarde honteuse.

— Et moi, je pensais que te choisir comme demoiselle d’honneur m’éviterait tout ça. Tu ne me soutiens même pas, marmonna-t-elle, le regard fuyant.

— Tu te fous de moi. Tu connais mon aversion pour toutes ces conneries. On aurait pu s’occuper de tout ça nous-même, toi, Marc, Gwen, Steph, maman et moi.

— Je voulais...Vivre mon conte de fées, mais ça ne se passe pas comme je l’imaginais.

A cette réponse, je capitule. Non pas par conviction qu’elle puisse avoir raison, simplement, depuis trente-deux ans que je la côtoie, je sais pertinemment que cette mièvrerie la perdait à chaque épreuve, et toute la famille avec. Je souffle bruyamment et pose ma main sur sa joue. Elle a beaucoup de chance d’avoir rencontré Fabien, son fiancé, car je connais peu de personnes capables de supporter cette rêverie enfantine que représente ma soeur. Une petite fille dans un corps fluet de femme. Son regard noisette s’illumine au contact de ma main. Je frôle sans le vouloir la fine cicatrice en étoile sur sa tempe et le mouvement gêné de sa tête me ramène les pieds sur terre. J’oublie sans arrêt ce foutu accident de voiture, ces quatre mois de coma, son élocution lente, bien que maîtrisée à force de rééducation, mais surtout ce monde merveilleux qu’elle s’était inventé autour de ça pour s’en sortir. J’oublie simplement la battante qu’elle est. En fait si, elle a raison.

— Souris grande soeur, on va lui faire bouffer son muguet.