6.
Il rentrait chez lui après une longue journée de travail. Mine de rien, ils avaient fait un petit tour de la ville pour rechercher un semblant d’indice. Et qu’avaient-ils trouvé au final ? Rien ! Ils savaient juste qu’Abdou Karim était retourné à son bureau pour chercher un dossier important, tellement important que l’un de ses plus proches associés n’en connaissait même pas l’existence. Alioune Mar était retourné immédiatement au bureau de son défunt collègue, juste après leur départ, pour le chercher, mais n’avait rien trouvé. Abdoulaye, à ce stade-là, se demandait même si ce fameux dossier était réel. Abdou Karim avait surement menti à sa compagne pour ne pas l’effrayer. « Il allait rencontrer quelqu’un en plein milieu de la nuit. A sa place, j’aurais bien raconté n’importe quoi pour m’éclipser, pensa-t-il. On fait fausse route, si ce dossier n’était au final qu’un moyen pour s’évader. Mais s’il existe vraiment, cela voudrait dire que quelqu’un l’a suivi cette nuit-là, et c’est à ce moment-là que tout a dérapé.
Il poussa un long soupir, perdu dans ses pensées, oubliant qu’il n’était pas seul dans sa voiture qui roulait en direction de son quartier. Il faisait 17h30 et il venait enfin de sortir d’un rond-point bouché à cause de l’heure de pointe. A ses côtés, sanglée sur le siège passager, sa petite nièce, Penda, le regardait avec des yeux interrogateurs. Il était allé la chercher à l’école pour dépanner sa sœur ; cela ne le dérangeait pas vraiment, puisque ça lui permettait de passer un peu de temps avec elle. Penda avait la réputation d’être une petite fille très curieuse, qui ne cessait jamais de poser tout un tas de colles et de questions amusantes à tout son entourage. Absa n’arrêtait pas de la féliciter. Elle disait que c’était bien pour son âge d’être aussi curieuse, cela signifiait qu’elle s’éveillait à son monde.
- A quoi tu penses, tonton Abdoulaye ? demanda-t-elle en wolof.
Question simple, pensa-t-il sur le coup.
- A rien, lui répondit-il dans la même langue. Juste beaucoup de travail.
- Tu as perdu quelque chose ?
On ne pouvait décidément rien lui cacher, à cette petite. Comment avait-elle pu le deviner juste en le regardant ?
- Moi aussi ça m’arrive souvent de perdre mes affaires, ce que …
- Attends une minute, stoppa-t-il, ta mère ne t’a pas dit de nous parler en français ?
- Si, mais …
- Elle m’a raconté que tes dernières notes en grammaire à l’école ne sont pas très bonnes.
- C’est pas vrai ! protesta-t-elle.
- Ah bon, alors je lui dirai que tu prétends qu’elle a menti.
Il étouffa un rire en voyant le visage de la petite fille se décomposer à grande vitesse. Des larmes montaient déjà à ses yeux.
- Tonton, ne fais pas ça, s’il te plaît, sinon maman va encore me punir. Moi je voulais juste t’aider ; c’est trop difficile de parler comme toi ou maman, vous êtes forts pour ça !
Il appréciait le geste, mais il savait que son aide ne lui serait d’aucune utilité. Cependant, cette petite pouvait peut-être l’aider, qui sait ?
- Bon, je ne lui dirai rien, si tu acceptes de jouer à un jeu avec moi. Jusqu’à ce que je me sois garé devant la maison, toi et moi on parlera en français, d’accord ? Si tu ne fais pas beaucoup de fautes, demain en partant à l’école, je t’achèterai ton goûter. Je sais que ta mère te fait le même goûter chaque jour.
- J’aime bien le pain au saucisson, mais c’est fatigant d’en manger tout le temps !
Elle commença à lui poser des questions en français.
- Tu as perdu quelque chose ? reprit-elle.
- Oui, et c’est très important.
- Est-ce-que tu as vérifié à la endroit où tu l’as perdu ?
- On dit « à l’endroit ». Oui j’ai déjà fouillé.
- Et tu cherches quoi ? une, … non, un cahier hésita-t-elle ?
- Non, ce sont des feuilles, je crois.
- Tu ne sais pas ce que tu cherches, alors comment est-ce que tu sais quand tu l’as trouvé ?
Elle avait touché un point ; il ne savait pas ce qu’il cherchait. Personne n’avait d’idée sur qui pouvait en vouloir à cet homme pour le tuer. D’un côté, on parle d’un dossier important qu’il serait allé chercher cette nuit-là, mais d’un autre côté, il semble que ce dossier n’a jamais existé.
- Quand je perds mon trousse ou ma stylo …
Il étouffa une seconde fois un rire, qui aurait sûrement découragé la pauvre enfant.
- … je demande toujours aux gens qui sont à côté de moi.
- Ça aussi je l’ai déjà fait. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait toute la journée, et personne ne sait où ça se trouve.
- Tu n’as pas de chance. Des fois aussi, il y a un ami de mon classe qui me fait un farce et cache mes affaires.
C’était une possibilité qui expliquerait un bon nombre de choses, comme le fait qu’on ne le retrouve plus, car l’assassin l’aurait emporté pour effacer toutes ses traces.
- Et comment tu fais si quelqu’un te fait une farce ? demanda-t-il tout en la rectifiant.
- Je regarde qui m’a menti quand j’ai demandé …
Il n’avait pas encore interrogé tout le monde, il ne pouvait pas savoir qui mentait. Mais au moins, il avait une porte de sortie au cas où cette piste ne menait à rien. Il fallait tout simplement confronter les déclarations pour en finir avec ces conneries de dossier.
- … ou bien je raconte tout à la maîtresse, finit-elle par ajouter.
- Je ne pense pas que pour moi ça marchera, dit-il en riant.
Ils changèrent de sujet. Penda lui raconta sa journée, elle avait essayé de revenir au wolof, mais Abdoulaye était aux aguets et l’avait menacée à nouveau. Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent chez eux. La maison était plus animée que d’habitude ; le père de la petite fille, qui était connu pour être un grand comique, était rentré plus tôt et avait ramené avec lui une certaine ambiance. Tout le monde était présent, comme si une fête se préparait. Absa souriait plus qu’à l’accoutumée. Même Ousmane – le jeune cousin d’Abdoulaye – était présent ; lui qui sortait généralement la nuit avec ses amis, ou restait seul dans sa chambre, avait daigné se joindre à tout le monde ce soir-là. Abdoulaye en avait presque oublié son enquête et ce qui l’attendait le lendemain.
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