26.

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Tout ce qu’il voulait au départ c’était de l’argent, c’était ce que tout le monde désirait. Mais il avait dans sa vie, tellement de problèmes qui l’assaillaient en même temps, que le besoin d’argent était devenu nécessaire, primordial. La maison dans laquelle vivait sa famille avait besoin de travaux urgents, mais aucun de ses frères ne voulait participer, les factures s’accumulaient vite et il devait payer la dot de sa fiancée avant la fin du mois. Son nouveau travail comme gardien pour des nouveaux locaux de la maison de disques Golden Jam était insuffisant. Il voulut prendre un autre travail, mais il manquait de chance. C’est là qu’une main s’était tendue, au moment où il en avait le plus besoin, pour l’aider. Et cette main appartenait à Alice, la nouvelle star. Elle lui avait proposé assez d’argent pour faire disparaitre tous ses problèmes en un claquement de doigt. Comment pouvait-il refuser ? Tout ce qu’il avait à faire, c’était d’être moins vigilant la concernant. Qu’est-ce qui pouvait mal tourner ? C’était la question qu’il s’était posée en acceptant l’offre qu’on lui proposait. Mais maintenant, il réalisait que c’était une erreur. Il avait suffi qu’il « tourne la tête » une seule fois, pour que son patron se fasse assassiner. Il savait qu’elle l’avait fait. Que pouvait-il faire ? Il ne pouvait pas raconter ça aux gendarmes, sinon il finirait au fond d’un cachot pour un bon bout de temps, avant que son cas n’atterrisse devant un Juge. Elle avait pris avantage de cela et avait fait de lui son homme de main. Depuis la mort d’Abdou Karim, il avait l’impression que sa vie lui échappait et qu’il n’en avait pas le contrôle. Certes, tous ses problèmes se résolvaient un par un, mais le fait de devoir travailler pour quelqu’un comme elle, une personne qui en apparence était si bonne et généreuse, mais qui au fond, était une vraie perverse…

Ils étaient tous les deux dans une voiture qui filait hors de la ville. Il conduisait à vive allure et était stressé pendant qu’elle, assise à l’arrière, profitait du voyage. Est-ce qu’elle est complètement folle ? se demandait-il. Ils avaient enfermé une femme dans le coffre de la voiture, et elle respirait le bonheur ! Il n’aimait pas la tournure que les choses prenaient, mais il ne pouvait rien y faire. A un moment donné, il voulut tout arrêter et protester contre ce qu’ils étaient sur le point de faire, mais l’ambiance qui régnait dans la voiture l’avait totalement pétrifié, paralysé. Cette femme était une tueuse de sang-froid, il devinait déjà le sort qui allait être réservé à la jeune femme qu’il avait enlevée chez elle. Il la connaissait, c’était l’assistante de son défunt patron. Ils avaient roulé pendant 45 minutes, et la ville était déjà loin derrière eux. Il arrivait à entendre le bruit qu’elle faisait à l’arrière, en s’agitant dans le coffre. L’effet de l’anesthésie commençait surement à se dissiper, elle venait de se réveiller. Elle bougeait peu, elle avait compris qu’elle devait gaspiller le moins d’oxygène possible. Ses mains se crispaient et des gouttes de sueur se formaient sur son front au fur et à mesure qu’il avançait. Alice devait aller à l’aéroport prendre un avion, et s’éloigner le plus vite possible de ce pays. Mais en route, elle avait prévu d’en finir avec toute cette histoire. Elle avait l’intention de commencer une nouvelle vie, et rien ne viendrait se mettre sur son chemin. Pour cela, elle avait donné quelques instructions à son homme de main. La route était bordée des deux côtés, par de petites forêts, c’était de toute évidence l’endroit idéal pour se débarrasser de la secrétaire. Les arbres n’étaient pas touffus, mais si quelqu’un découvrait son corps – et c’était son but –, elle serait déjà loin et à l’abri de tout soupçon possible.

Son chauffeur improvisé était sorti de la route et s’était rendu à l’endroit convenu. Après s’être enfoncé dans une forêt d’arbres menus et peu touffus, il s’était arrêté et avait éteint le moteur de la voiture. C’était inéluctable, ils étaient allés beaucoup trop loin pour pouvoir s’arrêter maintenant. Elle était décidée, il devait la suivre. Il savait qu’il n’avait physiquement rien à craindre d’elle, car il était beaucoup plus fort qu’elle et pouvait facilement la dominer, si la situation l’exigeait, mais il avait compris qu’Alice, la chanteuse à la mode que tout le monde acclamait, et qui en public semblait être une beauté docile, n’avait rien de fragile. Au contraire, quand on avait la malchance de connaître son vrai visage, on en souffrait inévitablement. Après un long moment de silence et une grande inspiration prise, il ouvrit sa portière et se dirigea machinalement vers l’arrière de la voiture. La nuit était calme et silencieuse, il n’y avait aucune habitation avant plusieurs kilomètres ; donc, il ne pouvait avoir aucun regard indiscret ou âme malchanceuse qui viendraient déranger ce qui se faisait à cet endroit. Il ouvrit le coffre et la vit : Malika, recroquevillée sur elle-même, les yeux fermés. Elle avait surement peur, mais il n’arrivait pas à le savoir. Elle devait comprendre qu’elle était en danger de mort. Il lui défit les liens qui retenaient ses jambes et ses poignets, et l’aida à sortir. Il avait utilisé du chloroforme pour l’assommer, et elle devait encore ressentir les effets sur ses jambes, qui à ce moment-là, devaient être plus lourdes que jamais. Alice avait ouvert sa portière. Elle ne descendit pas, elle voulait garder une certaine prestance et regarder la personne à qui elle allait ôter la vie, de haut. Malika était en face d’elle, assise sur le sol fait de sable, de poussière et de quelques touffes d’herbe. Alice avait préparé une feuille de papier et un stylo, qu’elle lui jeta.

Malika n’avait pas les idées claires, elle était encore un peu groggy, elle avait du mal à savoir où elle était. Cependant, elle savait à qui elle devait tout cela. Elle se rappelait avoir ouvert la porte de chez elle après qu’on ait frappé, et s’était aussi souvenu avoir senti une grande étreinte sur elle avant de s’évanouir. Elle se forçait à se ressaisir. Malika était en danger, et elle en était consciente quand elle vit Alice lui lancer à la figure une feuille de papier et un stylo. Cette situation se confirma quand elle aperçut un pistolet posé à côté d’elle ; il fallait qu’elle recouvre la totalité de ses capacités et qu’elle réfléchisse à un moyen de gagner du temps, car c’était tout ce dont elle avait besoin.

- Je veux que tu écrives une lettre d’adieu, Malika, avait-elle dit en tournant lentement la tête vers sa prisonnière. Tu avoueras que tu es responsable de la mort de mon amant, et les raisons qui t’ont poussée à le faire. Cela devrait être facile pour toi, n’est-ce pas ? Alors applique-toi, j’aimerais que les gendarmes te croient.

Elle eut un sourire en coin, en disant ces derniers mots. Elle voulut renchérir en lui présentant son arme, dans le but de susciter chez elle plus de peur, lui montrer à quel point elle était faible et sans défense. Mais, elle n’en eut pas besoin, car sa proie ne protesta pas et se mit – en rassemblant le peu de forces qu’elle avait à sa disposition –, à écrire automatiquement. Elle s’était totalement soumise, en abandonnant tout semblant d’espoir. Quand elle eut terminé, Alice lui arracha la lettre des mains, pour la lire.

- C’est moi que tu essaies de faire pleurer, ou quoi ? dit-elle, surprise de ce qu’elle avait sous les yeux. Je ne m’attendais pas à un travail aussi bien fait, jusqu’à la fin tu restes fidèle à toi-même … Mais, j’ai eu tout ce que je voulais, donc je n’ai plus besoin de toi.

Alice sortit de la voiture après avoir donné l’arme à son homme de main. Elle se tenait en face de Malika, elle la regardait de haut avec un air de triomphe. Elle ressentait dans tout son être, une drôle de sensation qu’elle avait déjà expérimentée le jour de la mort d’Abdou Karim. Cette sensation, ce sentiment était malsain – elle ne l’ignorait pas –, mais elle y prenait goût sans le vouloir. Son homme de main tremblait. De sa vie, il n’avait jamais tué personne et n’aurait jamais cru le faire pour quelque raison que ce soit. Mais il n’y avait aucun retour possible, c’était terminé. Alice fit un mouvement de tête, et il mit l’arme sur la tempe de Malika. Son cœur battait la chamade, son doigt tremblait sur la gâchette, ses mains devenaient moites. Cependant, l’attitude de la jeune femme l’avait surpris. Elle ne suppliait pas de l’épargner, n’essayait pas de s’enfuir, alors qu’elle le pouvait. Comme Alice, elle gardait son calme, alors qu’elle faisait face à sa mort. Malika était lucide, tout ce dont elle avait besoin, c’était du temps. En aucun cas, elle ne devait se laisser faire et mourir, sinon tout ce qu’elle avait accompli jusqu’ici n’aurait servi à rien. Elle poussa un long soupir.

- Alors, c’est comme ça que ça se termine, dit-elle de sa voix blasée, tu vas juste le laisser me tuer et t’en aller sans me donner d’explications ? Je pensais que tu allais au moins être celle qui allait tirer.

- Je ne vais pas me salir les mains, répondit Alice, d’un ton dédaigneux.

- Pourtant, cela ne t’avait pas dérangée, quand tu as tranché la gorge d’Abdou Karim !

Ces mots coupèrent net sa respiration.

- Depuis quand étais-tu au courant ?

- Je l’ai toujours su.

Alice sourit, elle ne savait pas que la personne qui était en face d’elle était si coriace. Elle commençait même à avoir un peu d’estime pour elle. Mais, à quoi bon qu’elle l’ait toujours su, elle n’avait aucun choix, à la fin c’était elle qui était par terre.

- Tu as raison, Malika, tu as parfaitement raison. Vois-tu, la seule raison qui m’empêche de faire cela, c’est que je dois prendre un avion et je n’aimerais pas tacher mes vêtements.

Elle croisa son regard avec celui de son otage. Elle avait encore et toujours ce même regard vide et froid, même dans les moments cruciaux.

- Et pour ce qui est des explications, eh bien, je pense que ce que tu n’as pas eu besoin de savoir avant, tu n’auras plus besoin de le savoir maintenant.

Malika passa ses mains dans ses cheveux.

- je sais que le soir de sa mort, Abdou Karim t’a proposé de continuer votre soirée dans son bureau. Il avait découvert que toi et Alioune, vous voliez beaucoup d’argent à lui et aux autres actionnaires. Quand il t’a mise devant les faits, tu as surement compris que ta carrière allait en pâtir, et que c’était la fin de tes jours en tant qu’artiste. Alors, la seule option qui te restait, c’était d’en finir avec lui. Je pense que tu avais compris qu’il avait tout découvert. Alors, en quittant le restaurant dans lequel vous aviez dîné, tu as dû repartir avec un de leurs couteaux en guise d’arme.

- Tu dois avoir de bons contacts à la section Recherche, pour connaître autant de détails sur l’enquête ! répliqua-t-elle avec un sourire en coin.

- Ce sont mes propres déductions faites le premier jour, quand son corps avait été découvert. La scène de crime suggérait que vous vous disputiez avant qu’il ne meure, avec le son de la stéréo monté à fond pour cacher d’éventuels cris, mais la blessure qui l’a tué ne fait aucun sens dans ce contexte. Si une bagarre avait éclaté, il y aurait eu des traces laissées un peu partout, sur son corps ou dans la pièce. Pour pouvoir l’entailler de cette manière, il aurait donc fallu se rapprocher de lui et être capable de lui faire baisser sa garde simultanément. Abdou Karim était mentalement faible. Une femme le distrayait facilement, alors c’était facile pour toi de le tuer juste en l’enlaçant et en jouant une de tes nombreuses comédies.

- Comédie ? répéta-t-elle, surprise.

- Dès mon premier jour de travail, j’ai compris que toutes les histoires autour de votre « couple parfait » n’étaient que du vent, une espèce de bouillie servie aux amateurs de news people.

Alice ne pouvait pas s’empêcher de sourire. Elle savait que Malika était très intelligente et vive d’esprit, mais pas à ce point-là.

- Impressionnant, répondit-elle avec un petit rire, je me demande bien ce qui t’a amenée à travailler pour quelqu’un comme Abdou Karim, alors que tu aurais pu faire tellement plus avec ce que tu possèdes. C’est du gâchis, tout simplement …

- Tu n’es pas la première à m’avoir dit ça.

- C’est parce qu’on me l’a souvent répété, renchérit-elle. Toi et moi, nous sommes pareilles. Belles, intelligentes, les hommes ne nous résistent pas et perdent toute notion de bon sens quand nous sommes en face d’eux. Au Sénégal, des femmes comme nous sont de vraies célébrités, pour peu qu’elles aient un semblant de talent et qu’elles réalisent toutes les possibilités qui leur sont offertes. Danseuse, actrice, chanteuse, animatrice d’émission télé, manipulatrice sur les réseaux sociaux, il n’y a que l’embarras du choix. Avant, j’étais comme toi, Malika, ce que j’avais me suffisait largement. Chaque soir, je reprenais des chansons de grands artistes devant mon petit public, dans un hôtel pas loin de mon village. J’étais bien payée et contente. Je recevais des compliments et des avances à longueur de journée, et même des propositions de mariage de célibataires et d’hommes mariés prêts à détruire leur ménage juste pour moi.

Son plan fonctionnait ; Malika avait réussi à suspendre le temps, en agissant sur la fierté et l’égocentrisme maladif d’Alice. Elle n’avait aucun moyen d’indiquer sa position à qui que ce soit, mais pour le moment, elle savait qu’on la retrouverait avant que la chanteuse ne passât à l’action.

- J’ai compris que j’avais un certain pouvoir, le moment où le célèbre producteur Abdou Karim Niang est venu me rencontrer après une de mes représentations. J’ai saisi la chance d’avoir beaucoup plus que ce que je possédais déjà, quand il a commencé à me draguer. La vie, Malika, est un jeu avec pour seul règle, « utiliser ou être utilisé ». C’est en assimilant cela que l’on peut atteindre n’importe quel objectif et sortir de n’importe quelle situation. Abdou Karim est mort après m’avoir donné ce que je désirais, et aussi parce qu’il m’empêchait d’avoir plus !

- Alors pour toi, dit soudainement Malika, je ne suis qu’un pion ?

- Mais, bien sûr !

Un silence glaçant s’était installé après quelle ait dit cette dernière phrase. L’homme de main était sidéré par ce qu’il venait d’entendre. Il commençait à baisser son arme progressivement.

- Tout le monde autour de moi n’est qu’un vulgaire pion, je ne m’entoure que de ce qui me ressemble, les autres ne comptent pas, avait-elle dit en remettant ses mèches derrière une oreille. Mais, je dois dire que tu as été plus utile que je ne le pensais. Alioune et moi avions prévu de nous débarrasser d’Abdou Karim depuis un bon moment. Mais, à chaque fois que l’occasion se présentait, nous ne pouvions pas agir, et c’est là que tu apparais. Une jeune femme assez séduisante pour détourner son attention, farouche et capable de lui tenir tête et donc, lui faire faire des erreurs. Et en plus de cela, célibataire. Il suffisait de dissimuler quelques fausses preuves çà et là, de jouer les veuves éplorées pendant quelques jours, et tu finis sur le banc des accusés. Mais, je ne sais pas pourquoi, l’étau commence à se resserrer sur Alioune et moi. Tu comprends qu’au moment où on te retrouvera après ton malheureux « suicide », nous serons hors de danger.

Elle posa son regard glacial vers celui qui tenait l’arme, pour s’assurer qu’il accomplisse son travail, puis se retourna de nouveau vers Malika :

- Je suis désolée pour toi, mais tu vas mourir, dit-elle d’un ton sec. Tu as perdu !

- C’est moi qui suis désolée, Alice, répondit Malika, toujours de sa même voix, mais tu ne me tueras pas ce soir !

Elle leva la tête et dévoila à son adversaire, un regard brûlant.

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