Elle

5 minutes de lecture

Elle enfonce la cale sur sa tête. L'odeur de sueur impregnée dans le tissus la prend au nez. Elle se sent sale, rien que da la porter.

Elle aurait aimé avoir encore un nom. Parfois, elle songe qu'elle a dû l'oublier sur un champ de bataille. Elle était riche, avant. L'argent lui a permis d'acheter cette armure. C'est tout ce qui lui reste de sa grandeur. Tout ça, tout ce qui précède ce monde nouveau qui est le sien, ça n'est plus vraiment important.

Elle enfile son gambison. Elle est seule, derrière une tente crasseuse. Le sol est boueux, chonché d'une herbe verte trop piétinée. Ca fait une semaine qu'ils sont là. Une armée entière qui a planté sa tente, dans les secrets d'une forêt anonyme. Elle ne perd plus son temps à identifier les lieux. Ce qui compte encore, c'est le tranchant de sa lame et les têtes qui tombent.

La cotte de maille pèse lourd, sur ses épaules. Elle l'enfile seule, elle ne veut pas d'aide. Pas d'aide de ces écuyers aux regards trop plein de pitié qui admirent, tour à tour, leurs guerriers s'évanouir dans la fumée de la guerre.

Le casque vient parfaire son costume. Elle sautille un peu sur place, produisant un bruit de casserole. Ses grèves, ses genouillères, sa cotte de maille. Il ne lui reste que ça, de son équipement. Le reste a rendu l'âme, un jour.

Elle avait même des éperons, avant.

Quand elle avait encore un cheval.

Elle s'empare de son épée, elle ne prend pas le temps de la ranger dans son foureau. Elle admire, un instant, ça lame à l'acier patinné. La rouille tente de la dévorer, chaque nuit, quand la rosée appelle le matin. Mais l'arme est plus forte que la rouille. Aujourd'hui, elle tranchera encore.

Le jour est encore jeune quand l'armée quitte le camps. Milles pas, milles chausses, milles empruntes laissées dans la boues. Les armures s'éloignent, accrochant les reflets, laissant derrière elles les tentes vides et les étendards qui claquent dans le vent. Un oiseau chanteau, le vent fait murmurer les arbres. C'est, encore et toujours, le même shéma.

Voilà, ils y sont. Elle connaît cette vallée par coeur. Elle connait les courbes des collines comme si elle les avait dessinées elle même. Elle connaît la couleur du sol, le goût de l'air. Tout est un d'un vert pur, juvénile. Le printemps s'éveille, les pluies nourrissent le sol. Les fleurs éclosent. Tout renaît, partout autour.

Tandis qu'ici tout ce meurt.

Les deux armées se font face. Elle se prépare, se campe sur ses appuis. Une fantassine parmis les autres, protégée derrière les rangées serrées des cavaliers. Le silence est de plomb, dans les rangs. Le monde retient son souffle. L'ennemi est proche. Elle ne peut le voir, par dessus les épaules de ses collègues, piégée dans la masse qui s'apprête à s'élancer. Mais elle entends leurs pas, puissants, écho sinistre qui lui vrille les tympans.

Les cors de guerre brisent le seau du silence. Leurs rugissements explosent, avalent tout, appellent la violence et l'anihilation.

Il est temps.

La clameur enfle. Elle entend chacun de ses camarades hurler à gorge déployer, hurler à la guerre et au sang versé. Elle hurle aussi, elle ne sait plus pourquoi. Puis tout s'accélèrent.

Ils chargent.

Entraînée par le mouvement de son escadron, elle s'élance dans l'herbe fraîche, épée au poing. D'abord, c'est nuée de flêches qui leur tombe dessus. Ceux qui ont un bouclier le lèvent au dessus de leur tête. Les autres rentrent la tête dans les épaules et continuent de courir.

Les traits de fer se logent dans les crânes nus, dans les yeux effrayés, dans les poitrines mal protégées avec des bruits secs et précis.

Elle, elle a échappé au carnage.

Mais elle sait que le pire est à venir.

L'impact est frontal, brutal, bestial. Armée contre armée. Les cavaliers fendent les rangs adverses. Les lancent piquent, fauchent, coupent des têtes. Mais ça ne suffit pas. En face, ils sont bien plus nombreux.

Très vite, le chaos prend le dessus.

Elle pare une première attaque. Un fauchon qui fusait sur son crâne, prêt à enfoncer son casque. Elle riposte, elle trouve la chair, elle tranche. Elle a l'habitude. Maintenant, le sang n'est plus qu'une couleur parmis les autres.

Son coeur bat fort, comme s'il voulait s'enfuir. Elle sait qu'elle a peur. Elle sait que la sueur coule sur son visage, que son être tout entier la supplie de rendre les armes et de sauver sa peau. Mais elle n'a pas le temps. Il faut qu'elle esquive, qu'elle chasse les lames, qu'elle pique de sa pointe, qu'elle assome, qu'elle tranche, qu'elle brise. C'est elle ou c'est eux. Elle s'en fiche, tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle veut vivre.

Et elle vit.

Longtemps, plus que la plupart de ses camarades. Elle se retrouve seule, en haut d'une butte d'ont l'herbe est devenue rouge. Le chaos s'est répendu dans la vallée. Partout, on entend l'acier contre l'acier, les lamentations des blessés, les cris des vivants. Hagarde, elle titube un peu, sur sa butte, enjambant les cadavres qui la jonchent. Les armoiries des siens se mêlent à celles de l'ennemi. Mais, sur les visages des morts, il y a partout la même peur. Pourquoi se bat-on ? Les victimes qui l'entourent lui semblent alors toutes identiques. Des hommes et des femmes qui, comme elles, se sont retrouvés piégés dans ce charnier sans même savoir pourquoi.

C'est alors qu'elle la voit. L'armure noire. Elle ne sait pas ce qui se trouve à l'intérieur. Elle sait seulement que cette ombre est là, et qu'elle l'observe. Derrière leurs visières, leurs regards se croisent. Son casque pèse lourd, sur sa tête. La fatigue engourdit ses bras. Elle a une plaie à la cuisse qui la fait boiter. Pourtant, quand l'autre s'avance, elle ne recula pas. Elle se met en garde, le trait rouge de son épée comme bouclier, et elle attend que l'armure soit à porté.

Qui lance l'assaut ? Elle ne sait plus. Les coups s'enchaînent, le métal chante. Elle pare, dévie, fend l'air de sa lame.

La lourde épée de son adversaire s'écrase sur la sienne. Elle a paré à quarte, mais le choc est puissant. Elle titube, la douleur remonte dans son épaule. Elle n'a pas le temps de battre en retraite. L'autre, de sa main gantée, l'attrape par le poignet et lui fauche les jambes. Elle se vautre dans le boue, à plat ventre. Une poigne s'empare de son casque et le lui arrache. Le vent s'étale sur son visage nu, porteur de sève neuve et de sang frais.

Elle a à peine le temps de hoqueter. Le coup siffle, la lame trouve sa nuque. A son tour, sa tête tombe. Elle se souvient qu'elle roule, le long de la pente, avant que tout s'éteigne.

Et que tout recommence.

Elle enfonce la cale sur sa tête. L'odeur de sueur impregnée dans le tissus la prend au nez. Elle se sent sale, rien que da la porter.

Elle aimerait avoir encore un nom.

Et elle aimerait qu'un jour, quelqu'un retrouve sa tête.

Qu'il l'enterre avec le reste de son corps.

Et la libère enfin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Gabie_Griffonne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0