Chapitre 5
— Et voilà la situation, ma Chonita ! Comment voyez-vous ça ?
— Garde l’espoir, ma Julita, des goujats comme le Pancho, il n’y a que ça, malheureusement. Je m’y connais...
Ah ! J’aurais dû m’en douter ! Deux femmes qui parlent ensemble, c’est sûrement pour se plaindre des hommes. Heureusement que j’ai dans mon sac de quoi m'occuper. Je ferais bien de lire le mode d’emploi de mon nouvel appareil photo, un Minolta professionnel.
— Ah non ! rouspète l’une des femmes. Non, Chonita, ma situation n’est pas comme la vôtre ! Avec tout le respect que je vous dois, ce n’est pas du tout pareil ! Un enfant sans père et hors mariage ! Ah non ! Mais quelle idée de se chercher des problèmes toute seule ?
Oh, la ! J’ai raté un truc. Le manuel attendra.
— Quelle idée ? La mauvaise idée est de rester avec un homme qui m'aurait rendue malheureuse. Non merci. Je ne dis pas que ça n’a jamais été difficile, mais finalement nous sommes heureux le Pepito et moi.
— Mouais...
Un silence dans leur discussion se voit terni par la musique bruyante du chauffeur. On dirait que leur conversation est terminée. Alors, je m’apprête à ouvrir l’épaisse notice de 300 pages, mais à cet instant une nouvelle lamentation me surprend. Toujours la même femme.
— Ay, ay, ay, comment je vais faire, ma Chonita ?
L’autre ne réagit pas. Je me doute qu’elle en a un peu marre de ses jérémiades.
— Dieu pourvoira, ma Julita, répond-elle stoïquement.
— Mouais...
Nouveau silence. Enfin du calme, même si je l’entends souffler par le nez, je crois deviner lequel est son fils.
— Non, mais quand j’y pense ! rage-t-elle, piquant encore mon attention. Si c’est pour ça que le Paquito est intenable et turbulent ! Tel père, tel fils. Regardez votre Pepito, comme il obéit du premier coup !
Bingo ! J’avais raison !
— Ça s’appelle l’éducation, Julia.
— Mouais. Mais ça, c’est à cause du père qui voulait qu’il soit machito ! Qu’il apprenne que c’est l’homme le seul maître à bord...
— Julia ! Ça ne va pas de dire ces sottises ? Ne me dis pas que tu cautionnes ça ?
— Mouais..., proteste-t-elle, moyennement convaincue. Moi, je disais juste que...
Juste quoi ? Je suis ulcéré par la mentalité de cette « Madame Mouais ». J’ignore quelle est son histoire, une séparation, certainement. Au milieu, un enfant qui n'a rien demandé, et qui de surcroît a reçu une éducation laxiste. À présent, je ressens une pointe de pitié pour le dénommé Paquito, le gamin pot de colle, nez crotté et respiration bruyante. Je le vois sur le siège devant moi, il est bien sage avec l'autre petit. Concentrés, tous les deux essaient de déchiffrer les textes de mon magazine. Quand je pense à ce que cette femme vient de dire. Élever un gosse pour qu’il devienne un macho ? Inadmissible. Au contraire, c’est à cet âge-là qu’il faut leur apprendre le respect. Je n’aime pas faire mon donneur de leçons, mais j’ai tellement envie d’intervenir que je me retourne. Doigt pointé en l’air, je prends une inspiration profonde et... aucun mot ne sort de ma bouche. Deux paires d’yeux noirs perçants, sévères pour l’une, haineux pour l’autre, me fixent.
— Que puis-je faire pour vous ? m'interroge poliment celle au regard strict, le ton altier de sa voix me fait regretter mon élan civique.
Qu’allais-je dire ? Rien. Je ne vais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Je me débrouille pour demander autre chose, mais quoi ? Tiens, ma montre baigne encore dans ma poche, imbibée de transpiration.
— Auriez-vous l’heure, s'il vous plaît ?
— Désolée, nous n’avons pas de montre, riposte-t-elle d’une voix plus sympathique.
Honteux de les avoir écoutées, je pense qu’il est temps d’arrêter le tourisme dans le bus et de revenir à ma place initiale. J’espionne à nouveau et, je ne crois pas ma chance, la jeune fille a terminé sa sieste ! Quand je me lève, je contemple Paquito, l’enfant qui-a-des-raisons-d’être turbulent. Il me regarde affolé, serrant la revue entre ses doigts, comme s’il voulait la conserver un peu plus longtemps.
— Tu peux la garder.
— Merci !
Il grimace de bonheur. C’est tellement simple de rendre heureux un enfant. J'entame à peine deux pas, puis, je fais demi-tour et je reviens vers lui.
— Dis-moi, quand tu seras grand, tu veux faire quoi ?
— Commissaire intergalactique ! me répond-il, des étoiles plein les yeux.
Garde ton âme d’enfant, ai-je envie de lui souhaiter. Mon sourire de connivence lui fait comprendre que moi aussi, je rêvais des voyages dans l’espace. Je rêvais de devenir astronaute, mais j’ai juste réussi à faire des allers-retours constants sur la lune.
— Voulez-vous reprendre votre place ? me lance mon ancienne voisine lorsque je m’arrête devant elle.
Elle a l’air peinée d’avoir envahi mon siège. Chouette, j’ai gagné des points. Elle a un accent marqué de je ne sais où. Voilà un sujet intéressant pour entamer une bonne discussion
Annotations
Versions