Chapitre 1

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Cela faisait maintenant cinq ans que Laura avait été récompensée du titre de danseuse étoile par le New York City Ballet. Elle était depuis, la danseuse la plus en vue de New York et des alentours. Elle donnait des représentations dans des salles pleines à craquer, dans lesquelles, des gens généralement très hauts placés, venaient admirer son talent. Chaque année elle en avait faite une nouvelle, et toutes avaient reçues le même succès stupéfiant.

Les journaux pourtant si durs avec les jeunes artistes new-yorkais, lui offraient à elle des critiques en sucre, où chaque mot était une véritable bénédiction pour la jeune femme. Les rares qui ne l’appréciaient pas étaient des mégères âgées ou bien des adolescentes jalouses de son succès et de sa beauté frappante.

Mais des personnes qui étaient, ou bien qui se disaient être passionnées d’art et de culture à New York, il y en avait beaucoup; alors dès qu’un artiste avec quelques talents assez exceptionnels parvenait à faire parler de lui, c’était le gros lot, la carrière assurée.

Et c’est précisément ce qu’avait réussi à accomplir Laura Bretmann. Ainsi, la jeune danseuse classique de seulement vingt-six ans, avait connu la célébrité et la fortune en ne faisant que pratiquer sa passion. Passion pour laquelle elle travaillait avec acharnement sans se laisser aucun répit, car désormais elle avait un public à contenter; et un public toujours plus important, toujours plus exigeant.

Alors, tant qu’elle n’était pas morte de fatigue, en gala, ou encore en sortie pour voir ses amis ou sa famille, la danseuse étoile était enfermée dans son studio et s’entrainait pendant des heures avec un acharnement comme il en existe presque plus dans ces nouvelles générations où la flemme est devenue un vrai mode de vie. Et lorsqu’on lui demandait pourquoi elle faisait preuve d’autant de sévérité avec elle-même, Laura répondait que son public comptait sur elle et qu’elle ne voudrait certainement pas les décevoir, mais ajoutait aussi souvent qu’elle adorait ce qu’elle faisait, et ne pouvait se permette de perdre ses capacités par manque de pratique car au fond, elle ne se sentait vivante qu’en dansant.

Laura Bretmann ne pourrait sûrement jamais faire autre chose que des pointes, des sauts de chats ou des grands écarts devant une foule en extase. Ou du moins, c’est ce qu’elle pensa jusqu’à ce jour; jusqu’à cette soirée plus précisément, ou tout paraissait pourtant se dérouler comme à son habitude.

Ce jour-là, Laura donnait en représentation son cinquième spectacle, qu’elle avait promis être encore plus grandiose, encore plus spectaculaire que les précédents. Vous imaginez bien que suite à cette révélation, les places se sont vendues, non pas en quelques jours, mais en quelques heures seulement. On se les était arrachées, certains en avait même fait un commerce en les achetant et en les revendant quelques jours plus tard, le double du prix. Bien évidemment, ça n’arrêta en aucun cas les riches New Yorkais qui ne voulaient pas se sentir exclus de cette événement si prisé par l’élite de la ville.

Mais tout cet engouement avait mis Laura dans un état de stress qui ne lui était pas commun. Elle était habituellement assez sereine avant une représentation : les centaines d’entraînements qu’elle organisait avec les autres danseurs qui constituaient le ballet ajoutés à ceux qu’elle s’imposait de faire seule chaque jour le lui permettait facilement.

Pourtant ce soir il y avait une difficulté en plus. Elle avait, comme dans quasiment chacun des ballets qu’elle composait depuis cinq ans, un solo de quelques minutes durant lequel elle souhaitait montrer, ou plutôt démontrer, son génie ainsi que son titre de danseuse étoile pour lequel elle s’était battu depuis son plus jeune âge. Seulement cette fois-ci, il y avait dans ce solo, une figure bien plus complexe qu’aucune autre qu’elle n’est jamais tentée sur scène. Elle était bien évidemment parvenu à la réaliser maintes fois seule dans son studio, mais sur le moment, cinq minutes avant le début de la représentation, elle ne se rappelait que de l’unique fois ou elle avait laborieusement échouée, et était restée sur le parquet à pleurer à chaudes larmes durant une heure entière. Pour elle, l’échec était une faiblesse. Elle considérait que si on avait appris correctement, quel que soit le domaine, et qu’on échouait ; on était faible voire mauvais. Et c’est ainsi qu’elle se tourmentait en pensant: « seule, rater, c’est une chose, mais devant mes spectateurs, devant New York, je n’y survivrai pas ». En enfilant son tutu, elle balaya d’un seul coup, toutes ses pensées rongeuses et enfin rentra en scène.

Elle se dit alors qu’il n’y avait rien de plus grisant que cette sensation, les lumières braquées sur soi, ces regards souriants, approbateurs, d'une foule qui a l’air admirative avant même que le spectacle n’ait commencé. Elle se rassura à ce moment-là en se disant que les gens la connaissent, l’appréciaient et qu’ils seraient indulgents au cas où une petite erreur de parcours surviendrait, ce qui somme toute, arrive à tout le monde non?

La musique démarra et c’est à peine si elle l’entendait tellement elle la connaissait par cœur. Les gestes venaient à elle avec une telle grâce et légèreté que les spectateurs paraissaient comme hypnotisés, charmés par je ne sais quel enchantement. Leurs yeux suivaient chaque pas de la danseuse pour le faire correspondre avec la mélodie qui caressait leurs oreilles ou parfois, a l'inverse, les surprenait par une irruption soudaine. En effet, la musique classique ne ressemblait pas à toutes ces chansons populaires d'aujourd’hui pour lesquelles, a peine a-t-on entendu le premier couplet et le refrain que l’on peut déjà prédire tout le reste de la musique comme si nous l’avions faite car on sait qu’il n’y aura pas de gros changements. Non, avec la musique classique c’était différent, on pouvait être surpris à n'importe qu’elle moment, que ce soit par l’arrivée d’un nouvel instrument, le rythme qui s'accèlère ou encore un soudain emportement dans la mélodie.

Laura n’avait plus d’inquiétude, elle était dans son élément, concentrée et en même temps si à l’aise qu’on pourrait croire qu’elle est née en connaissant cette chorégraphie. Quand vint enfin cette fameuse figure tant redoutée, elle n’hésita pas une seconde : elle tendit son pied droit jusqu’à ce qu’il atteigne son oreille, le prit dans sa main et tourna quatre ou cinq fois sur elle-même dans cette position. Le reste de cette figure à rallonge s’effectuait en trois sauts qui allaient crescendo, elle commençait par un saut de chat, prenait un peu plus d’élan pour faire un grand jetée et terminait par une sissone à la fin de laquelle, au lieu d’atterrir sur ces pieds, atterrissait les jambes a plats sur le sol en grand écart. C’était du jamais vu, personne n’avait jamais fait une chose pareille dans le monde de la danse, mais cette nuit-là, Laura Bretmann l’avait accompli sous les yeux subjugués et satisfaits de New York.

Elle était au comble de la joie, fière d’elle comme elle l’avait rarement été. Maintenant qu’elle avait fait le plus gros, le reste de la soirée ne serait que pur amusement pour elle.

Et pourtant cette extase collective ne dura que quelques minutes. Son solo était terminé, et tous les danseurs du ballet exécutaient désormais tous ensemble les mêmes figures avec une harmonie et une précision d’horlogerie. Laura était bien évidemment au centre et guidait la troupe. À un certain moment, ils avaient prévu de faire tous ensemble un petit saut avec les pieds en pointe, un exercice qui n’était pas simple quoique tout de même très banal pour la plupart d’entre eux et d’autant plus pour Laura qui se lança presque sans réfléchir.

Mais alors que ses doigts de pieds se déroulaient lentement pour se tendre sur la surface du sol, elle perdit l’équilibre d’un seul coup, ses doigts glissèrent vers l’arrière, sa cheville se tordit et elle entendit un « clac » suivi d’un « BOUM » que cette fois toute la salle remarqua. Laura Bretmann venait de faire une chute spectaculaire en exécutant l’exercice le plus classique du répertoire de la danse classique: des pointes.

Le lendemain matin, la presse déjà, crachait son venin: « la chute de la grande Laura Bretmann clôture son cinquième spectacle et sûrement sa carrière », « L’étoile de la danse classique New-Yorkaise perd pied », « La tâche d’une carrière de perfection »….

Voilà un aperçu des titres que l’on pouvait lire un peu partout dans les petits kiosques qui parsemaient la ville. Et dans chacun des articles on racontait le choc des spectateurs la veille, qui ne s’attendaient pas à cela de la part de celle en qui ils avaient placé pourtant tant d’espoir. La compassion dont ils avaient fait preuve par crainte qu’elle ne se soit cassée quelque chose avait très vite laissé place aux critiques et aux plaintes de certains qui se disaient assez mécontents de la danseuse pour avoir fait une faute impardonnable dans le monde de la danse; c’était du gâchis disaient-ils encore, une carrière qui paraissait tellement prometteuse, interrompue aussi bêtement.

Et en effet, pour être interrompue, elle l’était belle et bien. Laura avait fini son spectacle, non pas sous le vacarme familier des applaudissements, mais sous un vacarme tout autre, qui était celui des sirènes de l'ambulance qui l’escortait pour les urgences.

Elle passa la nuit là-bas à faire des radios et à voir les plus grands médecins puis avait fini par s’endormir d’épuisement ou bien par envie de se couper du monde afin de ne pas vivre une seconde de plus, ce cauchemar; auquel, il faut bien le dire, elle ne s’attendait pas du tout…

Au petit matin, la réalité la rattrapa plus brutalement encore. Elle se tordait de douleur et sentait son pied gonflé mais elle ne le voyait pas car un énorme plâtre blanc le recouvrait. Le médecin vint lui expliquer qu’elle s’était faite une fracture de la cheville et de certains orteils mais qu’ils s’étaient occupés d’arranger tout cela en faisant une anesthésie pendant qu’elle dormait. Il lui faudrait au moins un mois dans le plâtre, ajoutés à quelques semaines de rééducation ou plus, avant de pouvoir remettre le pied sur scène. Et encore, cela se ferait, disait-il, dans les plus grandes précautions, car le pied resterait fragile encore longtemps après l’accident. Laura ne répondit pas, elle se prit le visage entre les mains et s’effondra en sanglots en se demandant pourquoi il avait fallu que ça arrive : elle qui avait tout fait pour la danse, était-ce comme cela qu’elle le lui rendait? Une humiliation publique en plus d’une double fracture du pied qui la bloquerait chez elle durant des mois. C’était beaucoup plus qu’elle ne pouvait tolérer : elle qui redoutait de rater un saut de sa figure, la voilà paralysée par des pointes.

Elle ne comprenait même pas comment cela avait pu arriver et ne cesser de se réprimander: « tu n’es rien d’autre qu’une danseuse ratée! Tu croyais pouvoir assumer le titre de danseuse étoile mais tu ne sais même pas réaliser correctement des pointes! Tu t’es emballée comme une gamine après la réussite de ta figure au lieu de rester concentrée! ».

Puis une fois calmée, elle se demanda ce que l’on pouvait bien dire dehors à son sujet, sur quel ton parlait-on de l’incident. Elle prit son courage à deux mains et réclama les journaux du jour.

Deux mois après l’incident, Laura continuait encore la rééducation et était interdite de tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de la danse. Mais le kinésithérapeute était optimiste : elle en aurait très bientôt fini avec tout cette histoire. Cette nouvelle aurait dû la réjouir, elle allait enfin pouvoir danser! Et pourtant, elle ne s’était jamais sentie aussi mal. Car ce qui l’attendait était bien pire que de la rééducation, c’était l’affront d’une carrière perdue, d’une célébrité disparue, c’était la fin de Laura Bretmann la grande danseuse étoile. Elle le savait et s’en persuader un peu plus chaque jour depuis ce fameux instant où elle était sortie de l’hôpital en chaise roulante, les journaux serrés furieusement contre elle et ignorant les paparazzis qui s’était attroupés comme des moutons. Ils lui avaient demandés : « Madame Bretmann, que comptez-vous faire maintenant ? », « Avez-vous conscience du poids de cette faute pour le New York City Ballet? », « Pensez-vous qu’ils vont vous retirer votre titre? ».

On ne lui avait rien retiré du tout, mais elle comprenait pertinemment que plus jamais son nom ne serait associé au prestige et à la perfection qu’elle avait incarné et qu’exige naturellement cet art.

Et elle en était chamboulée, n’en dormait pratiquement pas la nuit, et mangeait très peu. Certains disaient même qu’elle faisait une dépression. Mais il faut bien avouer que de toute façon, quelques jours après cette soirée riche en émotions, le nom de Laura Bretmann avait disparu non seulement des magazines, mais aussi de la bouche de tous ces riches New Yorkais qui, une semaine avant, en faisait les éloges les plus admirables. Laura n’avait plus que quelques amies proches et peu de famille qui étaient restés à ses côtés. Cependant, cette maigre compagnie ne lui suffisait plus, elle qui a connu une admiration de la part de tellement de fans, ce culte illusoire et éloigné que l’on appelle la célébrité.

Et puis de toute façon, se disait-elle, même si un jour tous ces gens parvenaient à lui laisser une seconde chance, elle ne la saisirait pas. Car elle même aurait trop honte. Trop honte d’avoir échoué là où elle était censée être la meilleure. Trop honte que tout le monde ait vu cela. Trop honte d'avoir déçu ces gens qui l'aimaient. Elle ne remonterait pas sur scène, elle en était sûre.

C’était un an environ après ce ballet tragique. Laura n’avait alors toujours pas remis ces chaussons de danse et était dans l’état le plus pitoyable qu'il puisse y avoir. Elle qui était d’ordinaire si belle, si apprêtée, toujours tirée à quatre épingles telle une vraie danseuse classique, ne sortait quasiment plus, trainait toute la journée en pyjama sale, dans un appartement qui l’était encore plus. Elle n’avait la force de rien faire et avait perdu au moins cinq kilos.

C’est alors qu’elle se décida un matin à retourner dans son studio, pour y récupérer son enceinte. En entrant, elle sentit les larmes lui monter aux yeux et ruisseler sur sa joue au souvenir de toutes ces heures passées ici à faire des mouvements toujours plus larges, toujours plus précis, toujours plus fins...toujours meilleurs.

Elle se tint un instant devant le miroir en s’agrippant à la barre tellement elle se sentait faible. En se regardant elle ne se reconnut pas; cette femme qui se tenait devant elle n’était certainement pas Laura Bretmann.

Et c’est alors que cette phrase lui revint à l’esprit, cette phrase qu’elle avait dit lorsqu’elle était encore elle-même : « Je ne me sens vivante qu’en dansant ».

L’évidence s’imposa à elle comme si elle venait de prendre une douche froide après des heures passées en plein désert : elle était morte, la Laura Bretmann qu’elle avait construite était morte car elle avait arrêté la danse, et le pire c’est qu’elle était la seule responsable. Elle s’était tuée !

Elle laissa son enceinte là où elle était, l’alluma en tremblant d’excitation et de peur, puis peu à peu, la mélodie bien connue d’elle, commença à la pénétrer dans sa chair, dans ses membres, c’était comme une incantation qui la faisait se mouvoir après un an de léthargie. C’est alors que quasiment sans le vouloir, elle se mit à danser.

La résurrection de Laura Bretmann avait commencé.

Quelques temps plus tard, la danseuse avait retrouvé sa forme d’antan et avait désormais accepté de se remettre à la danse. Cette décision lui avait réussie, elle avait très bonne mine, sortait plus souvent, avait repris du poids et paraissait heureuse. Elle avait donc raison en ce qui concerne le pouvoir vivifiant qu’avait sur elle la danse. Le changement était plus qu’impressionnant. On avait même vu sur un journal ce matin-là, un petit article disant « Laura Bretmann est de retour ».

Qu’est-ce que cela voulait-il dire? Allait-elle remonter sur scène enfin ? Mais comment osait-elle après cette chute qui était encore gravée dans les mémoires? Les questionnements fusaient et chacun donnait son avis.

Pendant ce temps dans son studio, Laura dansait encore et toujours, elle dansait comme si c’était la première fois, avec une fougue d’adolescente. Elle était légèrement anxieuse, un peu comme la veille d’une rentrée des classes dans une nouvelle école, lorsqu’on se demande si l'on va se faire des amis et avoir des bonnes notes… Laura se demandait, elle, si elle allait se faire apprécier et réussir sa performance. Etait-elle toujours aussi compétente? Elle ne le savait pas. Et puis les spectateurs ce soir, se comporteraient tout à fait différemment avec elle, il n’y avait pas de doute.

Mais elle se dit qu’elle irait tranquillement et ferait ce qu’elle avait à faire. Après, si ça ne fonctionnait pas ce n’était pas grave car rien ne l’empêcherait plus de danser de toute façon.

Il était huit heures moins dix, la salle commençait déjà à se remplir et les images de sa chute revenaient en flashback à Laura qui commençait à croire qu’elle avait subi un traumatisme. Mais une fois de plus, en enfilant son tutu et en se mettant à danser, elle avait déjà tout oublié. Pas après pas, elle rentrait un peu plus dans cette espèce de transe qui l’emparait lorsqu’elle mettait son corps en mouvement sur la musique, et puis d’un coup, plus rien. Plus rien n’existait autour d’elle que chacun des pas minutieusement choisis de sa chorégraphie, plus rien que la grâce de son portée de bras qui lui donnait l’impression de voler; plus rien que ces lancés de jambes qui commençaient à même le sol pour finir parallèles à lui, voire perpendiculaires lorsqu’elles les ramenaient à sa tête dans une souplesse inouïe; plus rien que ces fameuses pointes qu’elle exécutait fièrement avec un petit sourire en coin. Plus rien.

À la fin de sa chorégraphie, elle se sentait bien car selon elle, c’était une performance réussie. Elle avait décidé de ne plus se fier uniquement aux jugements des autres et ne levait même pas la tête car ne désirait pas lire ce qu’il y avait dans les regards présents dans la salle. Ou peut-être était-ce de la peur... Mais le silence qu’avait laissé la musique en partant, fut comblé soudainement par des applaudissements tonitruants et Laura se laissa alors le droit, après une mignonne révérence, de lever timidement la tête et de voir les sourires des personnes présentes qui paraissaient tout à fait ravies.

C’est alors qu’elle se permit de prononcer un « merci » à son public. Un public qui était passé outre son faux pas et qui avait encore de l’estime en elle.

À ce même public assez jeune, tous vêtus de tutus comme elle et qui se tenait épaté et motivé dans le studio, elle dit ces mots qui seraient le début d’une toute nouvelle vie de danseuse :

«Ce sera donc la chorégraphie que nous apprendrons tout au long de l’année. Elle n’est pas simple mais je suis certaine que vous allez tous y arriver. Commençons par faire quelques échauffements…»

Cette nouvelle vie c’était celle d’une professeure de danse, car désormais se disait-elle, elle n’avait plus rien à prouver, elle avait connu son heure de gloire et préférait laisser la place aux autres. Elle ne voulait plus du stress et de l’aliénation qui va avec la carrière car de toute façon le succès était éphémère, elle l’avait compris. A New York, vous pouviez être célèbre un jour et le lendemain être oublié de tous; le public ne pardonne pas nos erreurs, il est exigeant car il n’a pas d’empathie pour ceux qui se donnent sur scène. Ce qu’il veut c’est être impressionné, voir des choses extraordinaires, le reste n’est pas important. Alors pourquoi passer sa vie à vouloir satisfaire des gens qui vous remplaceront dès qu’ils trouveront mieux que vous? Des gens qui ne vous pardonnent pas la moindre erreur bien que vous fassiez le maximum pour les contenter?

Lorsqu’elle regardait les tutus des jeunes gens se soulevaient au rythme de ces instructions, elle comprit à quel point elle avait fait le bon choix : "au lieu de me donner en spectacle à des gens qui n’en avait, pour grande partie, que faire de la danse, je donne de mon expérience pour ces adorables gamins qui partagent ma passion" se dit-elle.

Elle réalisa alors une chose absolument aberrante mais qu’elle considérait pourtant si vraie. Elle pensa que malgré tout ce qu’elle avait perdu : l’argent, la célébrité, le respect et l’admiration; cet incident à la cheville le soir de son cinquième ballet fut, peut-être, une des meilleures choses qui lui soit jamais arrivé.

Car dans sa décadence, elle avait certes perdu sa grandeur de nom, mais avait bénéficié en échange, d’une autre sorte de grandeur, qui n’était cette fois-ci, ni éphémère, ni incontrôlable, mais au contraire bien plus belle et bien plus réelle car ne dépendant que d’elle-même. Cette grandeur là, bien que difficile à expliquer, se rapprochait très certainement de ce que les gens nomment avec respect, une grandeur d’âme.

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