Le jardin des Roses Noires

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Domenico Scribus, le célèbre enquêteur envoyé par la Curie romaine pour résoudre les mystères les plus profonds, est en route vers le domaine du Seigneur Archibald de Montjoie. Il s’est arrêté au bord d’une rivière pour que son cheval puisse se reposer un instant et réfléchit aux éléments que lui a transmis le Seigneur et qui l’interpellent grandement. A priori, un phénomène diabolique est à l’œuvre et Archibald a été obligé d’enfermer la dame de compagnie de son épouse dans son donjon pour éviter qu’elle ne continue ses méfaits. Devant l’étrangeté de la situation, il n’a pas osé aller plus loin et a fait appel à la Curie pour qu’elle l’assiste en envoyant son enquêteur. Son objectif, comme dans chacune de ses missions, c’est de comprendre le phénomène et surtout d’y mettre fin. La tâche ne va pas être aisée, mais Domenico le sait, s’il y arrive, une innocente pourra être sauvée du bûcher.

A son arrivée au Domaine de Montjoie, le Romain est accueilli par un Archibald visiblement effrayé. Il n’arrête pas de se signer, de regarder par-dessus son épaule et de sursauter au moindre bruit. Pour qu’un guerrier comme lui soit à ce point épouvanté, c’est que l’heure est grave.

— Ah Domenico, vous voilà ! Venez voir, c’est horrible, l’œuvre du Diable sans aucun doute. Mais je ne peux pas prendre le risque de punir sa créature sinon, c’est moi qui vais brûler en enfer jusqu’à la fin des temps. Vous allez comprendre que ce phénomène est sorcellerie ! Ah mon ami, j’aurais vraiment préféré vous revoir dans d’autres circonstances.

Et voilà l’enquêteur emmené, traîné presque jusqu’au jardin qui se trouve derrière le château du Seigneur. A première vue, il n’y a rien d’extraordinaire. De grands arbres sont alignés le long d’une grande allée qui mène à un étang sur lequel nagent des cygnes que rien ne semble pouvoir perturber. Mais le Seigneur l’amène à une petite partie du parc entourée d’un muret de pierre.

— Voilà, c’est là, le jardin des Roses. Une infamie. Je ne veux pas y remettre les pieds, j’ai encore l’impression d’être perverti et sali depuis que je suis allé constater la diablerie. A tel point que j’en ai des visions de créatures nues essayant de m’attirer dans leurs filets. Et moi, impuissant, je suis obligé de céder à leurs charmes. Quelle horreur, n’est-ce pas ?

Domenico se dit que le jardin a bon dos mais préfère ne pas répondre. Il sait que moins on parle, plus on a l’air intelligent et il use et abuse de ce stratagème à chaque fois qu’il est envoyé en mission. Il a aussi constaté que son silence appelait souvent les personnes à parler plus qu’elles ne le souhaitaient au départ et que c’est un excellent moyen de récupérer des informations.

Il pousse la porte en bois de chêne du jardin des Roses et, malgré son expérience avec les phénomènes paranormaux, il reste quand même un instant interdit devant le spectacle qui s’offre à lui. Tout est noir, noir comme une nuit sans étoile, sombre comme un avenir sans espoir. Aucune couleur dans ce jardin, une vraie désolation qui ne peut que créer de la tristesse et de la souffrance.

— N’entrez pas, Domenico, je vous en conjure ! Le Malin va s’en prendre à vous si vous le défiez ! s’inquiète le Seigneur alors que l’enquêteur ne l’écoute pas et franchit le seuil.

Même s’il ne pensait pas vraiment qu’un malheur puisse lui arriver, il est quand même soulagé de constater qu’il n’est pas frappé par la foudre avec son entrée dans le jardin. Il le parcourt lentement alors que personne n’a osé le suivre. Méthodique, il se rend dans chaque allée et note qu’à part la couleur, les fleurs ont été choisies avec goût et qu’avant le phénomène sombre, ce devait être un endroit charmant. Il cueille une rose et est surpris de voir que la tige est verte à l’intérieur. Vraiment étrange.

— Emmenez-moi voir cette dame de compagnie. C’est Rosalie, c’est ça ? demande Domenico en ressortant du jardin, laissant des traces noires au sol, preuves de son passage dans le domaine touché par la sorcellerie.

Il se souvient de la jeune femme, une blonde aux formes voluptueuses avec qui il aurait bien passé la nuit lors de son dernier passage si elle n’avait pas été placée sous la surveillance de son frère, une grosse brute plus prompte à frapper qu’à réfléchir.

Archibald acquiesce et l’emmène dans le donjon en posant une multitude de questions à l’enquêteur qui se contente de plisser les yeux et de réfléchir à ce qu’il a pu observer. Au moment où le Seigneur se fait une raison et où il arrête de l’interroger, Domenico le surprend en l’interrogeant.

— Et pourquoi donc accuser la jeune femme de sorcellerie ? Pourquoi elle et pas une autre ?

— Elle s’est dénoncée, Domenico ! C’est elle qui s’est accusée de cet acte de sorcellerie ! Elle a cité la malédiction du Saint Graal ! C’est pour ça qu’immédiatement, je l’ai enfermée et j’ai fait appel à la Curie !

Domenico se contente de hocher la tête, sans répondre mais vraiment de plus en plus intrigué par cette affaire. La Malédiction du Saint Graal, cela fait longtemps qu’il a démontré que c’était une supercherie montée par des moines sans scrupules qui voulaient simplement dérober de l’or aux visiteurs assez crédules pour passer une nuit en leur compagnie. Il pensait que tous les royaumes avaient entendu parler de la splendide manière avec laquelle il avait résolu l’affaire, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas dans ce domaine. Il garde ses réflexions pour lui et on lui indique la pièce dans laquelle la jeune femme est emprisonnée sous la garde de deux soldats qui n’ont pas l’air rassuré. Domenico les salue et pénètre dans la pièce éclairée par un simple feu de cheminée.

— Je savais que vous viendriez, énonce une voix douce mais grave, à peine audible malgré le silence qui règne dans la pièce où seul le crépitement du feu se fait entendre.

Le Romain se tourne vers la jolie blonde qui se tient droite, debout près de l’âtre, le dos tourné. Il ne peut discerner que ses longs cheveux réunis dans deux tresses délicatement nouées avec un joli ruban. Noir comme les roses du jardin.

— Rosalie… Nos chemins se croisent à nouveau. Mais qu’est-ce donc que cette histoire de sorcellerie ? Comment vous êtes-vous retrouvée mêlée à ce que le Seigneur appelle une « diablerie » ?

— Je n’ai rien à vous dire à ce sujet, je vous laisse mener votre enquête et parvenir à vos conclusions. Je suis juste heureuse de savoir que mon sort est entre vos mains. J’aurais préféré que ce soit mon corps, mais il faut croire que ce n’est pas ce que le Destin a en tête pour nous.

— C’est étrange que vous ne désiriez pas me parler alors que vous vous êtes accusée de ce phénomène qui me laisse perplexe.

— Je connais votre talent, Domenico, et je sais que vous ne me laisserez pas croupir dans cette pièce jusqu’à la fin de mes jours. Ne serait-ce que pour me mettre dans votre lit. Et je suis convaincue que vous verrez clair et comprendrez comment je peux couvrir de noir tout ce que je touche.

L’enquêteur remarque alors que malgré la température agréable, la belle porte en effet des gants rouges qui doivent lui servir à protéger l’environnement dans lequel elle se trouve.

— Je vais m’y efforcer, Rosalie, surtout si la récompense est aussi alléchante que vous semblez le promettre.

Afin de poursuivre son enquête, Domenico effectue des entretiens avec tous les domestiques du château. Ne sachant pas trop ce qu’il cherche vraiment, il les laisse parler de toutes leurs difficultés, de la poule qui s’est enfuie au plat qui a trop longtemps mijoté, du manque de compétences des nouveaux valets à la disparition trop rapide des sacs contenant le combustible pour allumer les fourneaux. Il note tout sur son petit carnet et part se coucher à peine le souper avalé afin de réfléchir à tout ce qui lui a été raconté dans la journée.

Son esprit divague malheureusement rapidement vers la jolie blonde et ses pensées se tournent dans des directions trop sensuelles pour être évoquées devant la Sainte Trinité. C’est au milieu de tous ces errements impurs qu’une petite lumière commence à briller dans le noir de ses rêves et cauchemars. Il nage à contre-courant dans les nimbes de sa psyché jusqu’à parvenir à la brillante source de chaleur qu’il attrape et fait glisser dans son cœur pour percer le mystère du noir des roses du jardin.

Au petit matin, lorsqu’il se réveille, il écoute son intuition et retourne au jardin des Roses. Il pense avoir trouvé l’explication du phénomène mais a besoin de vérifier ce qu’il en est. Une fois ses hypothèses vérifiées, après un petit passage par les réserves, il demande audience à Archibald qui le reçoit immédiatement.

— Domenico, vous avez résolu le mystère ? Expliquez-moi tout ! Dois-je faire venir le curé pour exorciser le jardin ?

— Non, non, pas besoin du curé pour ça. Si j’étais vous, je demanderais plutôt au jardinier de prendre des seaux d’eau et de les balancer sur ses malheureuses fleurs victimes d’une passion trop longtemps frustrée. Vous verrez, après un tel traitement, votre jardin des Roses retrouvera toute sa beauté, parce qu’en réalité, dans le noir, y’a du rose. Et je souhaite m’entretenir avec Rosalie une nouvelle fois et faire disparaître chez elle toute trace de sorcellerie afin de vous libérer à tout jamais de ce mal qui vous a tant inquiété.

— Qu’il en soit ainsi fait, répond le Seigneur, intrigué par ce discours pour le moins ténébreux de la part de l’enquêteur romain.

Lorsqu’on lui permet de se rendre dans la pièce du donjon où est enfermée la jolie blonde, il jette un coup d’œil par une fenêtre et constate que le jardinier est en train de redonner son éclat au jardin. Son raisonnement s’est donc avéré juste et c’est confiant qu’il vient à la rencontre de la belle Rosalie.

— Eh bien, Madame, je dois avouer que vous m’avez surpris.

— Aurais-je réussi à intriguer le célèbre enquêteur romain ? répond-elle en souriant. Allez-vous me jeter dans le feu qui consume toutes les sorcières ?

— Oh, ce serait dommage de réduire en poussière un cerveau aussi brillant que le vôtre, Rosalie. J’ai bien saisi que vous aviez utilisé le charbon que vous avez par je ne sais quel moyen réduit en poudre pour en couvrir tout le jardin, mais ce que je ne comprends pas, c’est le motif d’un tel agissement. J’ai un doute, mais je n’ose croire que je puisse avoir raison.

— Et quel est donc ce doute, Domenico ? l’interroge-t-elle en se rapprochant de lui après avoir ôté ses gants.

Domenico est un peu décontenancé par son attitude pour le moins cavalière mais il ne se recule pas et affronte la jolie blonde sans peur.

— Eh bien, si j’écoute ma vanité, je dirais que vous avez monté cette affaire juste pour pouvoir profiter de ma présence dans un endroit comme celui où nous sommes en ce moment, sans risque d’être dérangés. Quel meilleur endroit pour ça que la prison du donjon ? J’ai l’impudence de croire que vous désiriez me faire venir afin de me retrouver car vous avez envie de plaisirs coupables. Ai-je raison de penser que vous souhaitez que je vous exorcise et que les cris que vous pousserez certainement seront les preuves pour les serviteurs du château que je vous ai libérée de toute sorcellerie ?

La belle Rosalie ne répond pas mais vient se lover dans les bras de Domenico qui se fait un plaisir de mettre en pratique toutes les techniques qu’il a appris à maîtriser avec ses précédentes conquêtes. Ce jour-là, le célèbre enquêteur romain s’est fait une réputation d’exorciseur de sorcière et de sauveur de jardins. L’histoire ne dit cependant pas qu’elle rose Domenico est allé cueillir ni quelle utilisation il en a fait.

Encore une mission accomplie pour Domenico Scribus qui, comme à chaque fois, fait don de sa personne pour obtenir les résultats les plus merveilleux !

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