Funeste Elévation
Le vent souffle dans des vêtements de velours noir. La malette de cuir à la main, il attend que le temps passe. Le ciel est gai en cet bel après-midi d'Octobre. Les immeubles répandent leur lumière éclatante par la confluence entre le verre et l'acier. La ville poursuit son activité de la matinée, sans se soucier de ce qu'il se passe à l'extérieur. Hommes, voitures, animaux circulent de quartiers en quartiers en empruntant trottoirs, routes et égouts. Les bruits habituels de la métropole sont recouverts par le son des bourrasques traversant la ville. Bref, c'est une journée bien paisible.
L'homme est seul dans son suaire noir, portant le poids de sa culpabilité à bout de bras. Il regarde l'horizon, espérant apercevoir au moins une fois ce dont il rêve dans le paysage grisant. Mais rien n'y fait. Ce n'est pourtant pas la volonté qu'il lui manque. Il a attendu. Il a attendu longtemps. Mais son rêve ne s'est jamais réalisé, son espoir ne s'est jamais matérialisé. Alors maintenant, il regarde du haut d'un gratte-ciel l'horizon lointain, il observe de loin son oeuvre inachevée.
Est-ce que le poids de la culpabilité est-il si lourd qu'on le dit ? Il ne sait pas, il réfléchit, il hésite. Son bras ploie sous le poids de sa malette, de sa culpabilité. Il a des scrupules, il se tâte, il doute. Puis il se décide enfin. Il met un premier pied devant lui, puis un second et poursuit la manoeuvre jusqu'à se trouver très proche du bord. Enfin il tend le bras portant l'atroce valise, ferme les yeux, grince des dents et ouvre sa main. La culpabilité chute du haut de la tour pendant une, deux, trois.... une infinité de secondes. Elle tombe, tombe, tombe... le jeune homme s'en croit enfin débarrassée, mais pendant sa chute, les clapets de la valise lâchent. Elle s'ouvre en grand pour montrer son abominable contenu. Ce ne sont pas des feuilles de bureau, ni un ordinateur, et encore moins des liasses de billets. De l'affreuse malette sort une tête cadavérique aux yeux encore brillant de vie qui regardent son persécuteur le long de sa chute, avant de s'écraser misérablement sur le sol, comme une dernière attaque sournoise portée au pauvre homme.
Le bourreau prend soudain peur de ce moribond presque vivant. L'éclat de ses yeux était tellement persistant, tellement insistant qu'il déstabilise le coupable. Qu'a-t-il pensé pour exécuter une action aussi macabre ? Il ne sait pas, il prend peur, il pleure. Il pleure des larmes de remord pour son horrible acte, il pleure des larmes de douleur parce qu'il est paralysé par sa souffrance. Comment voir l'avenir en de telles circonstances ? Comment espérer un futur quand on vient de détruire celui d'un autre ? Un simple éclat d'oeil d'une chose appartenant uapassé le fait trembler, déséquilibrer. Ce simple regard a brisé la carapace que c'était forgé le tueur. Et maintenant, il pleure. Il sanglote jusqu'à ce que l'envie de pleurer cesse de se manifester, puis essuie ses larmes.
Il a pris sa décision. Rien ne le fera reculer maintenant. Celui qui pleure a disparu maintenant. Il s'avance, le visage fermé, la démarche assurée, vers son destin. Il veut s'élever, s'élever de cette basse terre, aspirer à des courants philosophiques régissant le ciel. Il veut que la nature soit son allié, il veut que le ciel le protège de sa couche bleu azur. Et un pas, deux pas, trois pas... Il est au bord du précipice. Il regarde le sol du haut de l'immeuble. On voit encore la valise en piètre état, entourée de passants, mais pas de trace de la tête. Mais peu importe, car il va s'élever. Il bascule en avant, tombe du haut de son refuge, et commence son ascension.
Celui qui a renié à son passé vole maintenant. Du moins, il a la sensation de voler. Les images défilent sur les carreaux des grattes-ciels. Chacune d'entre elle lui rappelle un souvenir d'enfance. Une après-midi sur la balançoire, une franche rigolade entre amis, un câlin de ses parents, que de souvenirs de jeunesse aux goûts exquis. Il joue maintenant avec le vent, son ami de toujours l'ayant accompagné dans les moments les plus importants de sa vie. La tête a disparu de ses pensées, son acte s'est volatilisé pendant son ascension. Il va enfin accéder au moment suprême. Il est au point final de son ascension, il arrive à toucher le sommet de la montagne de ses rêves, il va atteindre une autre réalité, il est... mort ! Mort de sa chute, écrasé par son propre poids, il s'est enfin élevé.
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