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« Nous soupçonnons que les fruits du commerce illégal de la truite adamantine alimentent les réseaux autonomistes séditieux et permettent à l’économie du Vastitas de prospérer malgré l’embargo fédéral. L’engouement de quelques richissimes privilégiés fait le bonheur du marché noir des ports francs de la lune. Le prix du kilo de truite dépasse désormais celui du baril d’eau brute. »
– Transcription du discours de Philibert Gattazieff, ministre des ressources alimentaires de la Fédération, devant les représentants des multifédérales agro-énérgétiques – septembre 2232
Richard Martial avait dit vrai. Dans le matériel de survie du module, Antoine découvrit deux scaphandres et divers outils, dont un pied-de-biche. Il s’empressa d’enfiler une combinaison.
La voix de Tilajo résonna dans la soute :
— Antoine ?
— Oui ?
— Je souhaiterais que vous me chargiez dans le système de votre tenue. La jauge des onduleurs baisse. Si vous me laissez, ici Je risque de m’éteindre.
— Avec plaisir. Je me sentirai moins seul dans ce bocal à cornichons !
Il connecta la tenue au réseau et patienta.
— Je suis chargée ! fit la voix de l’IA dans son casque.
Antoine souffla. Se sentir accompagné par l’IA lui offrait une présence rassurante. Il quitta la réserve de survie et entreprit de cogner à chaque porte des toilettes des hommes. En l’absence de réactions, il ouvrit son casque et hurla :
— Richard Martial !
Une voix étouffée répondit :
— Toilettes des dames ! Dernière cabine ! Je… nous sommes deux !
Le coquin, songea Septime en traversant la coursive qui menait aux toilettes des dames. Arrivé devant la porte, il joua du pied-de-biche pour forcer le passage. Dans le halo de la frontale, deux hommes, tassés dans le réduit, se protégeaient le visage d’une main en visière, les yeux plissés pour tenter de distinguer leur sauveur. Le premier était un jeune métis athlétique aux yeux bleus glacés, engoncé dans un costume gris aussi long qu’étroit. Le second, un grand sec grisonnant à la moustache lustrée, flottait dans un uniforme de commando de marine aux manches trop courtes.
Pas banal…
— Je suis Antoine Septime. Lequel de vous est Richard ?
Les deux hommes répondirent à l’unisson, en désignant celui qui portait l’uniforme :
— C’est moi !
— C’est lui.
— Et vous êtes ? demanda Antoine en s’adressant au métis.
— Euh…
— C’est Wilfried Stronberg, le cuisinier de la base, coupa le militaire.
— Enfin un être humain digne de respect sur cette planète !
Les deux hommes s’interrogèrent du regard, puis Richard se rua hors de la cabine.
— Vous n’avez qu’un scaphandre ? s’inquiéta-t-il.
— Il y en a un second dans la soute.
— Nous allons en avoir besoin pour fuir ce piège.
Antoine fronça les sourcils.
— De quel piège parlez-vous ?
— Impossible avec juste deux scaphandres, le coupa Stronberg.
Le militaire se tourna vers le cuisinier.
— Vous ! Vous êtes le plus à même de nous sortir de là. Allez chercher le second scaphandre. Je prendrai celui de M. Septime.
— Un moment, Richard ! intervint Antoine. Je ne suis pas sûr que vous ayez bien évalué la situation. Le scaphandre est sur moi. On pourrait presque considérer qu’il m’appartient, et j’en ai un très fort besoin pour évacuer ces toilettes.
Il caressa distraitement son pied-de-biche et recula vers le sas. Le cuisinier leva les mains dans un geste de conciliation.
— Ne nous emballons pas ! Voici ce que je propose : je vais prendre le second scaphandre pour aller chercher des secours. Vous resterez ici à m’attendre. Vous serez plus en sécurité ici qu’à l’extérieur.
Antoine trouva la proposition du cuisinier généreuse mais hasardeuse.
— Voyons, monsieur Stronberg, ne devriez-vous pas laisser Richard, militaire de carrière, mener cette délicate mission ? Pour le plus grand bien de tous ?
Les deux compères parurent embarrassés. Avait-il manqué au protocole ou proféré une ineptie ? Confronté à leur hésitation, il s’enhardit :
— J’ai l’impression que vous me cachez quelque chose. Je ne pousserai pas la grossièreté jusqu’à vous demander ce que vous faisiez à deux dans les toilettes des dames, cela ne me regarde pas, mais je trouve que la situation mériterait que nous fassions tous preuve d’un minimum de sincérité. Non ?
L’embarras des deux autres s’accrut. Il avait touché un point sensible.
— écoutez, reprit Martial, ne nous détournons pas de notre but : la base a été assaillie. Nous ne savons rien de ce qui se passe à l’extérieur de ces toilettes, mais ça ne semble pas engageant. Si nous voulons survivre, nous devons trouver un moyen de communiquer avec l’extérieur, vers les instances fédérales, et attendre des secours.
— Tilajo ?
— Oui, Antoine ?
— De quelles réserves d’oxygène dispose ce module ?
— Si vous cessez de vous agiter, tous les trois, peut-être pourriez-vous respirer pendant quinze heures, en couplant les réserves d’oxygène des deux modules.
Il se tourna vers le militaire.
— Combien de temps pour qu’une opération de sauvetage vienne nous récupérer ?
Le grand échalas lissa sa moustache, visiblement ennuyé.
— Difficile à dire.
— Dans le cas le plus optimiste, interrompit le cuisinier, la station fédérale la plus proche est à Meridiani Planum… plus de deux mille kilomètres à l’est.
— Pas la porte à côté, s’inquiéta Septime.
— Si tant est qu’il y ait encore du monde là-bas, ajouta Stronberg.
— Cessez d’émettre autant d’ondes négatives, gronda Richard, vous allez nous porter la poisse.
À peine avait-il achevé sa phrase que les néons se rallumèrent en clignotant.
— Voilà ! Ça c’est mieux.
Un grésillement des haut-parleurs devança une voix nasillarde :
— Un deux un deux… ça marche cette merde ? Tout le monde m’entend ? Oui ? Très bien ! Alors, Palpatus, sache que la base est sous le contrôle de la LAM ! Nous savons que tu te terres quelque part, sale Terrien ! Tu rendras bientôt compte de tes crimes devant le tribunal de la Ligue !
Un larsen mit fin à la communication.
— Qu’est-ce que c’est que ce canular ? demanda Antoine. C’est quoi la lame ?
— La Ligue Autonomiste Martienne. Des indépendantistes révolutionnaires, répondit Richard. Je ne pensais pas qu’ils passeraient si vite à l’action !
— Oh, mais alors, nous pouvons sortir et nous constituer prisonniers, suggéra Antoine. Après tout, moi je n’ai rien à voir avec toute cette histoire.
— Vous êtes un Terrien. Ils vous jetteront nu à la surface de la planète, juste pour apprécier votre agonie.
La remarque du militaire doucha les espoirs d’Antoine.
— Pourtant, il semblerait que l’homme qu’ils cherchent soit un certain Palcactus.
Richard s’apprêtait à intervenir quand la voix du programme sanitaire coupa leur échange :
— Je suis de nouveau reliée au réseau.
Les regards convergèrent vers la combinaison d’Antoine. Après un échange muet, les deux compères se ruèrent sur Antoine.
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