Morgane : le réveil
Je me suis réveillée dans un lit douillé, dans ce qui pouvait être ma chambre. Le soleil transperçait à travers la fenêtre, créant des ombres féériques sur le mur de mon lit. Je me sentais bien, je ne voulais pas me lever. Du bruit en bas m'intrigua. Je repoussa la couette, ornée d'étoiles mais aussitôt debout, la pièce se mit à tourner à toute vitesse autour de moi, un tourbillon incessant. Je ne comprenais ce qu'il m'arrivait. J'ai attendu que le phénomène s'arrête mais en vain. Ma chambre a alors disparu, puis la maison entière. Je me suis retrouvée dans la neige, les pieds nus et je me suis rappelée.
L'accident de train, mon amnésie et le froid glacial.
J'étais toujours au pied de l'arbre et j'entendais des cris par delà la forêt. Les secours arrivaient, c'était sûr. Je me suis alors mise à courir, voulant à tout prix retrouver la civilisation. Ils étaient nombreux, policiers, pompiers, médecins, infirmiers à effectuer les recherches. J'étais si heureuse de les voir que je ne me suis pas aperçue de suite que quelque chose n'allait pas.
Ils sont passés devant moi, juste devant moi, un pompier m'a même heurté le bras mais ils ne me voyaient pas. Ils ont descendu en rappel jusqu'au train, fracassé dans la rivière rugissante. Ils ont commencé à remonter les corps, tellement de corps... Mon esprit me disait de ne plus regarder mais mes yeux ne pouvaient se détacher de ce spectacle horrible. Et pendant ce temps, j'étais invisible aux yeux des sauveteurs. Je me suis mise à hurler, à les frapper mais en vain. Je pouvais les toucher mais eux ne réagissaient pas. Mon coeur s'est emballé et une violente nausée me saisit. Que se passait-il ? Etais-je morte? Entre deux mondes ? Que se passait-il ? Pourquoi personne ne me voyait ?
Complèment paniquée, je suis restée à les observer, à lire la détresse sur leurs visages au vu des corps remontés. J'ai entendu celui qui devait être le chef de ce déploiement dire que tout était fini, qu'ils ne retrouveraient pas de survivants, que les quelques corps manquants seraient certainement retrouvés plus loin dans la rivière, emportés ppar les flots puissants. Quelque chose remuait dans ma mémoire défaillante, quelque chose de très déplaisant, d'angoissant. Je n'aimais pas l'eau, la vue de la rivière me terrifiait, surtout ainsi en furie, l'eau frappant de toutes ses forces contre les rochers. Pourvu que les pauvres malheureux éjectés aient péri au moment de l'impact et non noyés, entraînés par ce courant, se débattant de toutes leurs forces, allant vers la mort d'une façon inéluctable...Je me mis à frissonner et fermai les yeux un instant.
L'instant d'après, il faisait de nouveau nuit et plus personne ne se trouvait sur les lieux. Je commençais à me demander si je ne devenais pas folle. Ou alors j'étais un fantôme, errant dans les limbes de l'oubli...
" Non, tu n'es pas un fantôme et tu ne deviens pas folle, rassure-toi, me consola alors une très jeune voix derrière moi.
Je sursautai violemment et me retournai pour faire face à l'étrange petite fille à la robe rouge que j'avais déjà aperçue peu après l'accident.
"Qui est-tu, demandai-je alors, essayant d'apercevoir son visage sous le capuchon de son manteau. Elle semblait très jeune, dans les six, huit ans peut-être, pas plus.
- Personne de bien important. Je vais t'aider à rentrer chez toi. Il est temps maintenant, dit-elle en me tendant la main. L'espace d'une seconde, je vis l'éclat d'un bracelet qu'elle prit soin de vite dissimuler.
- Pourquoi personne ne me voit ? Que se passe-t-il exactement ? Suis-je la seule survivante ?, je me rendais compte que je la bombardai de questions mais les mots sortaient de ma bouche sans que je puisse les contrôler. Et c'était un tel soulagement d'être face à quelqu'un qui me voyait enfin.
- Oui malheureusement, tu es la seule à avoir survécu. Tu as eu de la chance de sortir au bon moment, avant que le train ne bascule dans le vide. Il se passe des choses terribles sur Terre. Tu dois rentrer.
- Je veux bien mais je ne me rappelle plus de rien, ni de mon nom, mon prénom, même mon âge. Je ne sais même pas d'où je viens, où j'habite.
- Tu n'es plus très loin, ta famille t'attend. Il faut rentrer maintenant."
J'ai suivi cette étrange petite fille dans un paysage grandiose. La neige recouvrait la totalité de la forêt, la rendant irréelle à mes yeux. On aurait dit un tableau sorti tout droit d'un conte pour enfants. La lune s'y refletait en des millions de rayons argentés. Les premiers rayons de soleil commençaient aussi à faire leur apparition. Nous sommes arrivés en haut d'une colline et j'ai enfin aperçu le village en contre bas. Il était entièrement illuminé par les décorations or et rouge de noël. Toutefois, aucun souvenir ne me revenait.
"Je dois te laisser là maintenant. Je ne peux pas aller plus loin, m'annonça alors la petite fille.
- Pourquoi ? Accompagne moi jusqu'en bas, que je présente celle qui m'a sauvée. Tu n'es pas du village ? J'étais étonnée, qu'elle m'abandonne ainsi.
- J'aimerais que ce soit aussi simple, soupira-t-elle. Je ne serais jamais bien loin. Mais je dois partir.
-Dis moi au moins ton prénom, demandai-je alors, tandis que le soleil faisait enfin son apparition dans le ciel. Il me semblait que ma vision devenait plus fou, j'avais de plus en plus de mal à la discerner.
- Il y a bien longtemps que je n'ai plus de nom...Souviens toi toujours de suivre la lanterne rouge, elle te guidera là où tu dois aller..."
Et elle disparut soudainement, comme par magie. J'ai entendu un chien aboyer et un gros chien de berger est apparu, me sautant dessus, me faisant tomber à la renverse.
"Cerbère, où tu trimballes encore mes vieux os ? Tu sais bien que je n'arrive plus à monter cette colline... Oh mon Dieu, mademoiselle, vous allez bien ? Que faîtes-vous là ?
J'ai regardé le vieil homme et j'ai senti quelque chose remonter dans ma gorge, un soulagement tellemet intense que je me suis mise à pleurer. J'étais sauvée, il me voyait lui aussi.
- Vous êtes blessée ? Vous devez être gelée ma pauvre à errer ainsi sans manteau... Venez, on va redescendre et rejoindre le cabinet du médecin. Vous étiez dans le train, n'est-ce pas ? Celui qui est tombé dans la rivière ? Ils avaient dit qu'il n'y avait pas de survivant... Votre visage ne m'est pas inconnu, vous êtes d'ici ?"
Je n'arrivais plus à répondre, mes dents se sont mises à claquer et je sentais le froid m'envahir à nouveau. Mes membres commençaient à s'engourdir. J'avançais difficilement tandis que le vieil homme, Pierre, m'avait-il dit, continuait à me parler, certainement pour me tenir éveillée. Nous sommes arrivés sur la place du village, où trônaient un magnifique sapin entièrement décoré et une fontaine représentant un ange qui pleurait. Je ne sais pas pourquoi cette sculpture me glaça le sang.
Nous sommes enfin arrivés chez le médecin, qui s'est empressé de me faire entrer et de me donner immédiatement une couverture pour me réchauffer. Il était jeune, une trentaine d'années pas plus. Il marmonnait tout en m'auscultant, que j'étais une véritable miraculée, que je n'aurais jamais du survivre ainsi à un accident et au froid glacial. Je n'avais qu'une petite blessure au front et un poignet foulé. Rien de bien grave en somme. Il m'a laissé allongé sur le divan, demandant à Pierre d'avertir le chef de la police de ma présence.
" Alors comment t'appelles-tu , Pour que l'on puisse rechercher ta famille.
- Je ne me rappelle plus de rien. La dernière chose dont je me souvienne, c'est de m'être réveillée dans le train, sous une couche de neige. Je suis sortie par la fenêtre brisée et j'ai essayé de trouver du secours.
- Tu as du prendre un sacré coup sur la tête. Ta mémoire reviendra, ne t'inquiète pas. Il te faut juste être patiente. Est-ce que tu portes une gourmette ? Quelque chose avec ton prénom ? Tu n'as aucune pièce d'identité ? Je n'ai rien trouvé dans ton sac à part une vieille boîte à musique."
J'ai vérifié mais je n'avais rien sur moi. Rien qui ne puisse m'identifier. J'ai quand même regardé la boîte à musique. Il y avait une inscription mais qui n'allait pas m'aider : de L à M, à jamais dans les étoiles.
Le chef de la police est arrivé en trombe, le visage rouge d'avoir couru certainement. ll avait un certain embonpoint qui devait le gêner dans l'exercice de son travail même si dans un village, il ne devait pas y avoir grand chose à faire. Ce qui expliquait cela. Mais son regard était stupéfait, passant de mon visage à un papier qu'il tenait dans la main. Il montra le document aussi au médecin qui fut aussi étonné que lui, mélange de stupeur, d'incompréhension et de compassion peut-être aussi. Avant de sombrer dans un sommeil réparateur et nécessaire, j'ai eu le temps d'apercevoir le document qu'ils voulaient me cacher tous les deux.
Un avis de recherche pour une jeune fille de quinze ans qui avait disparu il y a deux ans : c'était moi et un prénom qui me semblait familier : Morgane.
Le M sur la boîte à musique.
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