Chapitre 8 : Snoog
J'avais bien profité du retour à Glasgow. La ville s'offrait à moi et je retrouvais des habitudes que j'avais à peine eu conscience de prendre. Avec Lynn et Treddy, nous avions passé quelques soirées dans les pubs, à écouter de la musique. C'était ça qui était bien à Glasgow : quel que soit le jour de la semaine, même le lundi, il y avait toujours un endroit où ça jouait. Souvent du traditionnel, mais pas que. Du folk-rock aussi, du rock celtique, du classique... un peu de tout, en fait. C'était aussi à traîner dans ces endroits, à écouter ces musiques nouvelles pour moi, que j'avais eu l'idée de la mélodie de la chanson "Loren". Ce serait sans doute un ovni, dans tout notre répertoire, mais les gars avaient trouvé l'idée géniale. Treddy, qui avait une expérience musicale beaucoup plus large que la nôtre - je parlais là des styles de musique -, avait aussitôt embrayé sur l'idée. Et c'était à ce jour notre seul morceau enregistré avec une guitare acoustique.
Quand je l'écoutais, je revoyais très nettement les beaux yeux verts de Loren et sa chevelure brune tombant souplement sur ses épaules. Quand elle s'était éloignée, sur le trottoir devant l'hôtel, j'avais eu cette mélodie à me venir à l'esprit. J'étais remonté dare-dare dans ma chambre, saisissant cette idée au vol. J'avais écrit les paroles dans la foulée et peaufiné la mélodie au cours du trajet vers York que nous avions effectué dans la journée. Mais je n'avais pu commencer à prendre la mesure de ce morceau qu'à la fin de la tournée, quand, de retour à Manchester où nous vivions encore à l'époque, j'avais gratouillé et pincé les cordes de ma guitare pour en avoir le premier aperçu.
Après ces premiers jours à vadrouiller dans la ville, à arpenter les quais, à humer l'humeur des habitants, je me décidai finalement à l'appeler. J'étais assez curieux de prendre de ses nouvelles, son petit message n'étant pas des plus explicites. C'était bien la première fois depuis longtemps que je rappelais une fille avec laquelle j'avais couché juste une nuit, j'avais vite appris à ne pas le faire si je ne voulais pas d'emmerdes. Et c'était bien ma ligne de conduite depuis que j'avais largué Maggie. Finies les pétasses qui s'accrochent et me prennent la tête. Fallait vraiment être timbré pour renoncer à sa liberté. Ou alors, fallait tomber sur Jenna ou sur Ally, mais même si j'étais tombé le premier sur l'une des deux, j'étais pas certain que je serais encore avec elle. C'était pas pour moi. Il y avait toujours un moment où la fille me prenait la tête, ou bien c'était moi qui la gonflais. Bon, ok, Jenna et Ally prenaient rarement la tête à Lynn et à Stair, et ces deux derniers les gonflaient rarement, et inversement. Mais ça devait être les exceptions qui confirmaient la règle.
Bref, pour éviter les emmerdes, j'avais toujours refusé de garder le contact, même quand la fille n'était pas une nunuche. Enfin, après tout, j'avais déjà fait une exception pour Loren, avec la chanson. Je n'aurais jamais cru que j'aurais écrit un jour une chanson pour une fille, je l'avais fait en toute amitié et finalement, c'était une belle chanson. Elle la méritait bien.
**
- Allo, Loren ?
- Oui ? Allo ?
- C'est Snoog, ça va ?
Un petit temps de silence me répondit, puis je l'entendis :
- Oui, ça va. Je suis surprise de ton appel.
- Tu m'avais laissé ton numéro... Alors j'me suis dit qu'j'allais prendre de tes nouvelles...
- Et bien, ça va.
- Tu r'montes la pente ?
- Oui, tranquillement, mais je remonte. Je vais bien. Je dirais que je vais plutôt bien, oui.
Sa voix était claire et son ton posé. Elle ne me racontait pas des craques. J'étais content pour elle.
- Et toi, ça va ? Content du nouvel album ?
Je souris :
- Ouais... Il est beau. On l'a peaufiné, travaillé, comme on le voulait. On avait du temps aussi, autant qu'on voulait. Stair et Treddy ont hyper bien bossé les arrangements. Et on avait un ingé-son avec nous, très pro. Un pote à Treddy qui s'est mis à notre service, qui adore le hard-rock et qui nous a fait un son qu'on aime vraiment. Tu l'as écouté ?
- Oui, et plusieurs fois. Ca fait quand même quelques semaines que je l'ai acheté, rit-elle.
Je me sentis un peu couillon. Je devais reconnaître que je n'avais pas fait attention à la date à laquelle elle avait posté sa lettre, dans tout le "paquet cadeau" de Gordon, certaines dataient de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Je ne me laissai pas démonter et je lui dis :
- Et alors, t'en penses quoi ?
- Je l'aime beaucoup. Il est très différent des deux autres, mais on vous retrouve bien. Différent, mais en même temps vous-mêmes. Si je peux dire... Et il y a de très belles chansons.
- Ta préférée ?
- Entre Fire man et Children of Freedom, j'ai beaucoup de mal à me déterminer. Ca dépend des jours, de ce sur quoi je porte mon attention. Si ce sont les paroles ou la musique, si j'écoute plutôt la basse, la guitare ou la batterie. Cela dépend vraiment. Et vous avez fait comme pour le deuxième albums ? Deux guitares ?
- Yep. C'est Treddy qui joue les deux lignes. Et t'as rien r'marqué ?
- A quel propos ?
La maligne. J'en souris. Cette fille était vraiment loin d'être conne. Mais j'allais ruser moi aussi. Fallait pas me la faire.
- Les guitares. Il y a deux sons différents. Treddy ne joue pas avec la même.
- Ah ? Non, je n'avais pas remarqué, fit-elle. C'est différent par rapport au deuxième disque ?
- Oui, répondis-je. Treddy a aussi utilisé la guitare de Ruggy. Pour Fire Man, notamment, c'est avec cette guitare qu'il joue la mélodie. On trouvait que le son était plus adapté, un poil plus aigu et plus tranchant.
- Hum, je comprends. Je ferai attention à cela à la prochaine écoute.
- Et il joue aussi de la guitare sèche. Sur une chanson.
- Sur Loren, fit-elle. Là, j'avais remarqué.
Puis elle n'ajouta rien, demeura un instant silencieuse. Je me sentis un peu bête, me demandant bien quoi dire, mais cela ne dura pas bien longtemps et je glissai :
- Tu l'aimes bien ?
- Oui, répondit-elle franchement. Mais je n'aurais jamais pensé... qu'une histoire aussi banale aurait pu t'inspirer.
- Ce n'était pas une histoire banale, répliquai-je. C'est la tienne. Et ce n'est pas la première fois que j'écris à partir d'une tranche de vie. Et Lynn le fait souvent aussi, d'ailleurs.
- Hum, fit-elle simplement.
- Et sinon, tu bosses ? fis-je pour changer de sujet.
- Pas en ce moment. Je viens de finir un contrat, me précisa-t-elle. J'en cherche un autre, mais je n'ai encore rien en vue. Pourquoi me demandes-tu cela ? fit-elle, surprise.
- Et bien, j'pensais à un truc… Ca te dirait de v'nir passer une dizaine de jours en Ecosse ? J'pars en balade avant qu'on se plonge dans la préparation de la tournée. Et j'me disais que si t'étais dispo, ça aurait pu être sympa que tu viennes avec moi.
Il y eut un blanc au bout du fil. Là, je lui avais carrément coupé la chique.
- Tu peux répéter ?
J'éclatai de rire, mais je repris, bon prince :
- Je te propose de venir passer quelques jours de vacances en Ecosse. J'ai pas encore eu l'occasion de monter tout au nord, j'me f'rais bien cette côte-là et pourquoi pas, un saut jusqu'aux Orcades si on a le temps.
- Et bien… Ma foi, comme je n'ai pas de boulot en ce moment, je peux décaler mes recherches de contrat de quelques jours.
- Alors, c'est ok. Tu peux arriver quand ?
Loren réfléchit un moment, avant de me répondre. Elle finit par me dire :
- Dans deux jours.
- Ok. Tu penses que tu peux arriver le matin ? Fin de matinée environ ? On pourrait partir directement de Glasgow et faire une première étape, voire faire la route jusqu'à Inverness.
- Je me renseigne pour les horaires de train et je te tiens au courant.
- Ca marche, Loren. Et... Je prends tout à ma charge, hein. Je t'embarque, alors je paie.
- Tu es sûr ?
- Certain. T'as pas ton mot à dire là-dessus.
- C'est gentil. J'accepte.
- Parfait. Tu m'rappelles quand t'as des précisions pour ton heure d'arrivée ?
- Oui. Je regarde et je te redis ça vite.
- J't'embrasse. A plus.
- A plus tard.
Et je raccrochai, bien content de partir en vadrouille avec une fille sympa et mignonne. Tout ce qu'il fallait pour agrémenter quelques jours de vacances sans se prendre la tête.
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