Chapitre 12 : Snoog et Loren
Snoog
- C'est beau, hein ?
Loren tourna la tête vers moi. Nous étions à Dunnet, le point le plus au nord de la Grande-Bretagne, si on exclut les îles bien entendu. Cela faisait deux bonnes heures que nous arpentions le sentier le long des falaises. La vue était à couper le souffle, une de ces vues que les Highlands offrent aux courageux prêts à défier les lois de la circulation et ne craignant pas de se perdre au milieu de l'horizon.
- Oui, c'est beau, répondit-elle. Le grand air, tout ça... Ca change de la ville.
- C'est sûr.
- Tu es pourtant un gars de la ville, fit-elle remarquer. Comment ça te vient d'aimer venir dans des coins comme ça ?
- C'est en Ecosse qu'on a connu nos premiers succès d'envergure, qu'on a pu vraiment lancer la carrière pro du groupe. C'est là qu'on a rencontré notre manager qui est toujours avec nous d'ailleurs. L'homme de l'ombre. Et on y a fait des tournées tous les ans ou presque. Sauf la dernière fois, on n'a pu faire que deux dates. C'est aussi pour cela qu'on a choisi Glasgow pour s'établir, même si on aurait sans doute pu aller n'importe où ailleurs. L'opportunité s'est présentée, on l'a saisie.
Je fis quelques pas de côté. Mon regard courait sur la mer, un infini à découvrir. Elle était calme, mais grise. Comme le ciel. Mais le temps était dégagé et on voyait loin. La pluie serait pour plus tard. Je repris :
- J'avoue que Glasgow, pour moi, c'est un peu comme Manchester. Un camp de base. Et avec le studio à nous, maintenant... C'est un lieu de travail aussi. Qui m'permet de partir explorer. Lorsqu'on a fait notre première tournée avec Treddy, il nous a fait découvrir son "pays" comme il dit - ne va surtout pas lui dire que l'Ecosse fait partie du Royaume-Uni, il te répondra quelque chose comme "pour son malheur" ou "plus pour longtemps". Et j'ai kiffé grave tout ce qu'il nous disait. J'ai eu envie de mieux connaître ses habitants, son histoire, ses paysages. Du coup, quand j'ai l'temps, j'fais comme maintenant : de l'exploration. Et c'est comme ça aussi que m'est venue la chanson Morte Ghlinne Comhann.
- Celle que vous ne jouez que sur scène ?
- Ouaip. J'aime bien l'idée que ce soit une chanson "à part".
Nous poursuivîmes notre marche. Mais j'étais un bien piètre pronostiqueur météorologique, car la pluie nous cueillit alors que nous étions à deux bons kilomètres du village. Nous rebroussâmes chemin et arrivâmes trempés au B&B qui nous hébergeait pour la nuit. Pas grave, j'allais réchauffer Loren d'une façon bien agréable, ma foi.
Loren
Nous rentrâmes bien mouillés au B&B. Même sans l'averse, nous n'aurions sans doute pas tardé à faire demi-tour, car la nuit tombait très tôt. Nous étions fin janvier et j'avais pu noter la nette différence de la durée du jour entre Newcastle et le nord de l'Ecosse : il y avait bien une heure d'écart au moins.
Snoog avait une façon bien à lui de se réchauffer après avoir subi de telles trombes d'eau, sans oublier le vent qui avait fouetté nos visages. Une bonne douche chaude était la première étape du programme. La deuxième était de finir sous la couette et de faire bouillir le sang dans nos veines. La troisième était, éventuellement, d'effectuer un autre round avant de gagner le pub le plus proche - ou le seul ouvert à vingt ou trente kilomètres à la ronde.
Nous y passâmes une soirée très agréable, dans une ambiance chaleureuse, étonnante pour un lieu perdu au milieu de nulle part. Snoog discuta avec les habitués, s'intéressant à ce que les gens faisaient, étant vraiment attentif et curieux. Je demeurai la plupart du temps spectatrice, appréciant simplement de le voir faire. Il avait cette aisance pour aller vers les gens, se mettre à leur niveau. Là, il était bien loin de jouer à la rock-star. Je l'aurais presque plus vu dans la peau d'un écrivain ou d'un journaliste, d'un documentariste ou encore d'un sociologue cherchant à comprendre les gens de ce pays, la façon dont ils vivaient.
Alors que nous n'allions pas tarder à partir, un des clients avec lequel nous discutions nous demanda :
- Vous en avez déjà vu ?
- De quoi ? demanda Snoog.
- Des aurores boréales.
- Non, jamais, fit-il. Pourtant, ce n'est pas mon premier voyage dans votre pays, mais je ne suis jamais venu si haut.
- Moi non plus, dis-je. Je n'en ai jamais vu. Vous pensez qu'on pourrait avoir cette chance ?
- Ah ça... Possible ! Le temps s'y prête bien...
- Il y avait des nuages quand on est arrivé, fit remarquer Snoog.
- Les nuages, c'est comme le vent. C'est comme les filles, fit un autre, à côté. Ca va, ça vient...
J'en souris. Etrangement, cette remarque convenait très bien à Snoog. Lui aussi allait et venait, libre d'aller où il le voulait, de ne rien se laisser imposer. Du moins, rien qu'il n'ait décidé et accepté de se voir imposer.
- Bon, alors, on pensera à lever les yeux au ciel, hein, Loren ?
- Oui, répondis-je en souriant.
Puis je me penchai un peu vers lui et lui glissai à l'oreille :
- Après tout, quand on vise le septième ciel, il y a des chances qu'on ne puisse pas ignorer l'aurore boréale si elle se trouve sur notre chemin...
Il se tourna un peu vers moi, les yeux pétillants et déjà chargés de promesses. Par la peine d'en faire trop avec lui, il était des sujets sur lesquels il était toujours prêt à démarrer au quart de tour...
**
Ce ne fut pas à Dunnet, mais au-dessus de la plage de Balnakeil que le ciel nous offrit le magnifique spectacle du rideau de lumière, trois jours plus tard. C'était absolument splendide. Nous nous étions couverts très chaudement pour affronter la nuit froide et le petit vent piquant. Les étoiles brillaient doucement, la mer était très calme. On devinait la forme sombre des deux pointes qui entouraient la plage.
Nous avions quitté la voiture et fait quelques pas sur le sable. Je regardai le ciel étoilé : ici, pas de pollution lumineuse comme à Newcastle et la voûte céleste me parut des plus belles. Les étoiles brillaient d'une douce lueur. Puis, soudain, la lumière changea et j'agrippai la manche du blouson de Snoog. Lui avait porté son attention vers la plage, faisant attention où nous marchions. Nous nous arrêtâmes et il leva les yeux comme moi. Seconde après seconde, l'aurore boréale se déploya, passant de tons verts à mauves et couvrant une large partie du ciel. C'était vraiment un spectacle inoubliable et je songeai que je vivais là un moment rare, de ceux qui ne s'offrent qu'à quelques chanceux.
Nous étions seuls sur la plage et cela rendait ce moment d'autant plus particulier et précieux. L'émotion me gagnait aussi et j'en frissonnai. Snoog le sentit et se plaça derrière moi, m'entourant de ses bras. Cela me réchauffa et me donna plus encore le sentiment de vivre quelque chose d'unique. Le spectacle dura une bonne heure, formant des vagues de couleurs, puis s'estompant. Nous regagnâmes notre B&B en silence, phénomène notoire avec Snoog car il avait l'habitude de commenter nos rencontres, nos visites, de me livrer ses impressions.
Cette nuit-là, il se fit très tendre et, à l'image de l'aurore déployant ses couleurs, il déploya des vagues de tendresse pour nous amener au plaisir.
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