Chapitre 14 : Loren
Les choses étaient vraiment bien claires. C'était le fond de mes pensées en rentrant à Newcastle. Et, finalement, cela me convenait bien. Je n'avais pas envie de revivre les affres que j'avais traversées et dont je n'étais pas encore totalement guérie. Je ne me sentais ni l'envie, ni la force de retomber amoureuse, pas tout de suite, ni de refaire des projets à deux. Si c'était pour que cela s'écroule... J'avais donné. Je voulais consacrer mon énergie à moi-même, à construire ma propre vie sans dépendre de quiconque. Et, d'une certaine façon, en cela, je rejoignais la philosophie de vie de Snoog.
De toute façon, ce n'était pas dans ses projets de vie de s'encombrer d'une nana. Néanmoins, nous avions convenu de garder le contact et de prendre des nouvelles de temps à autre. Il m'avait dit aussi que, si j'avais un coup de mou ou des difficultés, je pouvais compter sur lui et ne pas hésiter à l'appeler.
Nous nous étions quittés aussi simplement que la première fois, en bons amis. Il avait proposé de me ramener à Newcastle, mais j'avais décliné l'offre : d'une part, il était temps qu'il retrouve les autres membres du groupe pour préparer leur tournée et d'autre part, j'avais tant apprécié le voyage aller, en train, que je voulais par ce moyen rentrer chez moi. Et le train, c'était aussi un bon moyen de laisser mes pensées vagabonder.
Je garderais forcément un bon souvenir de cette escapade, tant des rencontres et des découvertes que j'avais faites puisque je n'avais jamais été plus au nord qu'Edimbourg - ville que j'appréciais d'ailleurs grandement -, que du fait d'avoir appris à connaître Snoog un peu mieux. C'était un homme complexe, au caractère bien trempé, aux idées nettes, mais dans le même temps, il était très ouvert à la discussion et curieux de tout. Tout l'intéressait, j'avais pu le constater au fil des jours. Il était autant capable d'écouter un vieux assis sur un banc, dans un village, qui lui expliquait la météo du jour, que de lire tous les panneaux explicatifs d'une exposition que nous avions visitée, comme cela avait été le cas à Bettyhill, où se trouvait un petit musée consacré à la période des Clearances.
J'avais ainsi eu le sentiment qu'on pouvait parler de tout avec lui. Et il m'avait raconté la genèse de chacun des morceaux du troisième album. J'avais été estomaquée par les connaissances qu'il avait engrangées avant d'écrire des chansons comme Children of Freedom ou Amanda's Song. Tout ce qu'il évoquait dans ces chansons était véridique. Il possédait de ce fait un bagage impressionnant, alors que, pourtant, il n'avait pas fait d'études.
Autant la nuit que nous avions passée ensemble, après le concert de mes vingt-cinq ans, m'était apparue comme une sorte d'éclat fugace dans ma vie, juste une aventure un peu folle et surtout exceptionnelle qui avait eu quand même l'avantage de me faire avancer dans mon deuil de Dylan, autant je revins à Newcastle dans un état d'esprit bien différent. Nous nous étions bien entendus, nous avions passé de très bons moments ensemble et nous avions décidé de garder le contact et de nous revoir quand l'occasion se présenterait. Certes, avec la tournée qui allait débuter pour le groupe, cela ne se ferait pas avant plusieurs mois, et autant je n'aurais jamais cru qu'on se serait revus l'autre fois, autant là, j'en étais certaine. Mais je savais aussi que je ne devais rien attendre d'autre de lui qu'une relation amicale, que des moments un peu "hors du temps" comme ceux que nous venions de passer tous les deux, comme deux baroudeurs libertaires, n'ayant pas de limites, pas de carcans. Juste des envies.
Et, ma foi, cela me convenait assez.
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Salut Loren, on est à Hambourg. Notre hôtel se trouve à côté d'un éco-quartier. Je me suis dit que ces photos t'intéresseraient sûrement. Je peux essayer de te glaner de la documentation si tu veux. Tu vas bien, sinon ? La bise. Snoog
Salut Snoog, merci pour les photos ! C'est chouette. Je ne connaissais pas ce quartier, je vais me débrouiller pour trouver des renseignements. Je vais bien et j'espère que la tournée se déroule bien pour vous tous ! Je t'embrasse. Loren
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J'étais en plein travail, cet après-midi-là. Il faisait beau, un peu chaud et j'avais ouvert la fenêtre de ma salle à manger qui était plus un bureau qu'une pièce de vie. La rumeur de la ville montait jusqu'à moi, ce qui ne me dérangeait nullement. Mon téléphone bipa et, croyant qu'il s'agissait de l'interlocuteur avec lequel j'étais en contact quasiment chaque jour pour le projet de centre de tri, voire plusieurs fois par jour, je le pris machinalement. C'était en fait juste un message et pas du tout ce à quoi je m'attendais.
Salut Loren,
Tu vas bien ? J't'envoie un p'tit souvenir de France... Pour nous, tout roule. Et j'peux même t'assurer qu'y en a un, il est sur son petit nuage. J't'embrasse.
Snoog
Et, accompagnant le message, une vidéo. Un extrait de concert. Mais pas n'importe quel extrait : le moment où Steve Harris avait rejoint les Dark Angels, sur scène, au Hellfest. Je n'avais pas le temps de suivre leur tournée via les réseaux sociaux, même si je l'avais fait une ou deux fois, à l'occasion de précédents messages que Snoog m'avait envoyés et notamment quand ils étaient en Allemagne. Je pris le temps d'une pause pour regarder ce moment qui resterait très certainement comme un des moments forts de leur carrière. C'était très bien filmé, sans doute par l'équipe vidéo du festival. On voyait Snoog attraper Stair par les épaules avant d'haranguer la foule. Celui-ci n'avait pas l'air de comprendre ce qui se passait et on pouvait voir nettement sa surprise, son ébahissement total quand Steve Harris avait fait son entrée et s'était approché de lui. Le morceau était génial, ils avaient réussi là une belle interprétation. A mon avis et à moins de faire vraiment le difficile, Steve Harris devait en être certainement content lui aussi.
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Salut Loren,
J't'envoie... Le moment le plus fort que j'ai jamais connu de toute ma carrière.
La bise.
Snoog
Ce fut à mon réveil, ce matin-là, que je trouvai le message et la vidéo que Snoog m'avait envoyés. Je ne pus retenir mon émotion dès les premières secondes, quand le public se mit debout alors que les musiciens entamaient à peine le début du morceau. J'avais reconnu aisément les premières notes, quand bien même Snoog n'aurait pas annoncé le titre de la chanson. Mais ce qui suivit était si bouleversant que j'en pleurai. J'eus aussi le sentiment qu'à la fin de la chanson, Snoog était particulièrement fragile.
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