Chapitre 19 : Loren

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Salut Loren,

Tu vas bien ? Je voulais te faire un cadeau. J'espère qu'il te plaira. C'est la version "de luxe".

Joyeux Noël. La bise.

Snoog

Je venais de relever le courrier du jour. Une enveloppe à mon nom, assez longue, un peu épaisse, voisinait avec deux factures et un relevé bancaire pour Jim. J'avais ouvert sans tarder l'enveloppe et pris connaissance du message de Snoog. Pas très loquace, mais l'attention était touchante. Son petit mot accompagnait un paquet emballé qui se révéla être leur dernier album, Dark Tour 2016-2017.

C'était en effet une version luxueuse, tirée à un nombre limité d'exemplaires. L'album n'était pas encore sorti, je le savais par les notifications que je recevais depuis leur site internet officiel. Cela me permettait d'être au courant de leurs projets. Et le dernier en date était donc cet album, enregistré en grande partie à Wembley.

Il y avait deux disques, chacun portant la signature de Snoog et la mention "A Loren", avec le "o" toujours en forme de cœur. Si ça l'amusait... Moi, j'en souriais un peu jaune quand même. Mais je ne m'attardai pas à ce sentiment, ne voulant qu'aucun ressentiment ou tristesse n'émaillent ce moment. La pochette était superbe, une belle photo du groupe sur scène, à Wembley. Et à l'intérieur, un livret imprimé sur papier de luxe, avec de nombreuses photos de la tournée, mais aussi des anecdotes. Cela faisait comme un récit, l'histoire de cette tournée racontée par le groupe.

Je m'y plongeai, oubliant le travail qui m'attendait. J'y trouvai sans surprise la mention du Hellfest et du cadeau fait à Stair, la rencontre avec Angus Young en Australie, des échanges passionnés à Glasgow et Edimbourg. Sur une des photos, je reconnus même les deux cuisiniers de Fort William, Sam et Mickaël, posant avec tous les musiciens autour d'un verre... de whisky, bien sûr. En revanche, l'histoire ne disait pas si Sam avait désormais un tablier estampillé Dark Angels.

Mais l'heure tournait, et il était grand temps que je me replonge dans mon travail, aussi lançai-je l'écoute du disque tout en me réinstallant à mon bureau.

Lorsque nous avions cherché un appartement pour nous deux, Jim et moi avions bien en tête le fait que je travaillerais à domicile. Il tenait donc à ce que je puisse avoir un vrai bureau, si possible lumineux et pas trop petit. Pas question que je sois installée dans un cagibi, avait-il souligné. Nous avions fini par trouver à nous convenir, avec ce beau duplex. Mon bureau était au rez-de-chaussée et donnait sur une petite terrasse. Il était séparé de la pièce principale par un mur vitré, ce qui m'apportait effectivement beaucoup de lumière, tout en me laissant deux pans de murs suffisants pour ranger mes dossiers. La cuisine complétait ce niveau. A l'étage, nous avions deux belles chambres et une salle de bain. Nous vivions dans un quartier résidentiel d'York, un peu éloigné du centre-ville, mais ce dernier était facilement accessible par une ligne directe de bus. Jim, de toute façon, travaillait à la périphérie et mettait environ un quart d'heure à faire le trajet, parfois un peu plus aux heures de pointe du week-end.

Les premières notes se firent entendre alors que je relançais ma session. Le rythme déjà envoûtant de la batterie de Lynn couvrait les cris du public. Je revoyais clairement la scène, à Wembley, et ne fus pas surprise en entendant les autres musiciens placer leurs notes, puis Snoog faire son entrée, toujours tonitruante.

Par rapport au concert de Wembley, il y avait cependant quelques changements. Ils n'avaient pas conservé les reprises de Queen, Scorpions et Maiden, mais les avaient remplacées par la version du Hellfest de The Trooper, avec l'accord de Steve Harris et d'Iron Maiden. Puis suivait Amanda's song, dans la version de Santiago du Chili, ce qui ne me surprit guère. Enfin, la version de Redemption était aussi celle du Hellfest, d'après ce que je pus lire sur le livret.

C'était vraiment un bel album qui dégageait beaucoup d'énergie et était bien à l'image du groupe. Je me dis que les musiciens pouvaient en être satisfaits.

A l'écouter, je revivais aussi "l'après". L'attente dans le salon VIP, la façon dont Snoog était parvenu à manoeuvrer pour que je passe plus que la soirée avec lui. Et cette nuit-là, justement. Comment, après notre retour un peu mouvementé à l'hôtel et ses caresses déjà aventureuses dans le taxi, j'étais parvenue à lui échapper et à me camper au milieu de la chambre. Il avait voulu s'approcher, tel le félin s'avançant vers sa proie, mais ma main tendue l'en avait empêché. J'avais profité alors de ce petit répit pour finir de dégrafer les boutons de mon chemisier, le laisser tomber au sol, puis, alors qu'il souriait, comprenant bien ce que j'avais en tête, j'avais retiré mes autres vêtements. Il voulait fêter dignement cette fin de tournée et ce concert magistral à Wembley. Ce devait être notre dernière nuit. Je la voulais, moi aussi, réussie.

Une fois nue, déjà frémissante de désir sous son regard de feu, j'avais porté les mains à ma chevelure et dénoué ce qui restait de mon chignon. Mes cheveux s'étaient alors répandus en vagues sur mes épaules. Il s'était approché, tournant autour de moi pour finir par m'enlacer par derrière. De mon ventre, ses mains étaient remontées l'une vers ma poitrine, l'autre vers mon cou et s'il avait commencé à caresser mes seins déjà tendus, il avait aussi repoussé mes cheveux pour saluer mon papillon.

Alors qu'il m'était apparu tout feu, tout flamme dans le taxi, il s'était montré là beaucoup plus retenu, éveillant mon corps par des caresses subtiles, tendres et précises à la fois. Je n'étais déjà plus qu'une poupée de chiffons entre ses bras alors qu'il n'avait pas encore ôté le moindre de ses vêtements. Et ses doigts, aventureux, firent exploser mon plaisir tandis qu'il me retenait fermement pour m'empêcher de tomber au sol. Je n'avais repris pied qu'une fois étendue sur le lit, mais cela avait été à mon tour de profiter du spectacle qu'il m'offrait, me révélant son torse musclé, puis ses jambes bien campées avant de dévoiler le reste de sa nudité.

Il était venu jusqu'à moi, remontant lentement tout le long de mon corps, couvrant chaque centimètre de ma peau de baisers tour à tour légers, insistants, mordants, sensuels. Dans le même mouvement, il était venu en moi et m'avait emportée vers des cieux brillants de mille soleils.

Oui, cela avait été une nuit de folie, une nuit d'étreintes passionnées, une nuit qui pouvait tout balayer. Sauf que c'était juste notre dernière nuit ensemble.

Mais je ne devais pas avoir de regrets. Ce concert était un beau cadeau et les heures qui avaient suivi aussi. Pour moi, certainement, et je l'espérais pour lui aussi.

**

J'avais hésité un bon moment sur la façon dont j'allais remercier Snoog pour ce cadeau. Je n'en avais pas parlé à Jim, il n'aimait pas le hard-rock et je me gardais bien d'écouter cette musique en sa présence, je pouvais comprendre que cela lui "arrachait" les oreilles comme il me l'avait dit d'une façon très comique lorsque nous avions échangé au sujet de nos goûts musicaux. Cependant, il ne détestait pas quand il s'agissait de l'album symphonique de Scorpions, composé essentiellement par les ballades écrites par ce groupe. Il avait d'ailleurs reconnu avoir été impressionné, en découvrant ce disque, par la façon dont les mélodies s'étaient bien mariées avec la musique symphonique.

Je n'avais jamais parlé non plus de Snoog à Jim. Lorsque nous avions évoqué nos vies, nos relations passées, j'avais mentionné Dylan et il savait que j'avais eu quelques aventures sans lendemain. Mais pas que j'avais entretenu une relation avec une rock-star, relation à laquelle j'aurais été et étais toujours bien incapable de donner un nom. Ni même que j'avais gardé un contact "amical" avec lui. Je m'étais même dit qu'il aurait eu bien du mal à me croire et il m'arrivait, je le reconnaissais, de penser que cela pouvait effectivement s'apparenter à un rêve, même si des albums dédicacés, des billets de concert et même une chanson à mon nom en formaient des preuves concrètes. Sans oublier mes propres souvenirs, oscillant entre nuits torrides, instants magiques, découvertes fabuleuses et moments de grande complicité.

J'avais donc attendu plusieurs jours après la réception du cadeau, réfléchissant bien à ce que j'allais faire : lui téléphoner ou lui envoyer un simple message ? Depuis le concert de Wembley et notre dernière nuit ensemble, les contacts avaient été rares. Je n'avais pas cherché à prendre de ses nouvelles, ni à lui en donner des miennes. Je voulais éviter aussi toute tentation et j'avais gardé trop nettement le souvenir du deuil de ma relation avec Dylan, les moments douloureux que j'avais traversés, pour revivre quelque chose de semblable à cause de Snoog. D'autant que, contrairement à Dylan, je savais pertinemment qu'il n'aurait pas aimé me faire souffrir, alors que Dylan s'était bien fichu de me causer de la peine.

Les contacts que nous avions donc eus, Snoog et moi, depuis Wembley, s'étaient limités à quelques sms, toujours à son initiative, et auxquels j'avais à chaque fois répondu. Au cours de l'été dernier, il m'avait envoyé plusieurs photos de ses balades en Ecosse. J'ignorais s'il était parti seul ou s'il s'était trouvé une autre copine pour l'accompagner. J'évitais là aussi de me poser la question.

Mais j'étais une fille bien élevée et je ne pouvais plus, ce jour-là, retarder encore mes remerciements. J'avais attendu la fin de matinée pour lui téléphoner, après plusieurs heures de travail bien productives.

- Loren ?

- Salut, Snoog, tu vas bien ?

- Ouais, content de t'entendre... Et toi ?

- Je vais bien. Je t'appelais pour te remercier du cadeau...

- Ah, t'as pas attendu Noël pour l'ouvrir ?

- Non ! ris-je. J'étais un peu impatiente de le découvrir... Et puis, cela valait mieux sinon, j'aurais acheté le disque et je l'aurais eu en double.

- Yep. C'est juste, fit-il. Mais là, j't'ai envoyé la belle version. Avec le livret et tout. T'en penses quoi ?

- L'album est superbe, et le livret aussi. Les photos sont très réussies et je trouve que l'idée du mini-récit, avec des anecdotes, cette sorte d'interview du groupe, enfin, c'est une belle idée et j'ose le dire, mais c'est comme une œuvre à part entière.

- On est content du résultat aussi, fit-il. C'est Ally qui a eu l'idée de raconter les choses ainsi. Après, ça a découlé tout seul. Les photos, les petites histoires... C'était une autre façon d'évoquer la tournée et d'en garder la trace. Autrement qu'avec les chansons, j'veux dire.

- J'ai relevé quelques différences par rapport au concert de Wembley...

- Ouais, on a pas voulu abuser avec les reprises. Déjà que les groupes avaient été sympas de nous donner l'autorisation de jouer leurs chansons sur scène...

- Sauf pour celle avec Steve Harris.

- C'est lui qui a fait savoir à Stair que si on voulait la graver, il était d'accord. Au départ, on pensait juste conserver la version de Rédemption du Hellfest, puisqu'il était revenu sur scène pour la jouer avec nous, mais du coup, on a aussi The Trooper. C'est chouette pour Stair. C'est vraiment un beau cadeau.

- Et comment va le groupe, alors ? Quelles sont les nouvelles ?

- Tout le monde va bien. On a tous décidé de lever le pied, maintenant que le live est sorti. Enfin, on est encore en pleine promo, jusqu'aux fêtes, et après, on s'pose.

- Vous êtes à Glasgow, là ?

- Nan, à Londres.

- Ah, ok.

- Interviews pour des journaux spécialisés, pour le site internet aussi avec quelques exclusivités, radios, télés, dédicaces... Un peu le cirque, quoi, mais j'supporte encore. Lynn et Stair, ça commence à les gaver sérieux, par contre. Ils ont hâte de retrouver leurs chéries et leurs loulous.

- Stair a eu un bébé ?

- Ouaip... Y'a deux semaines, autant te dire que la promo, ça lui passe au-dessus. Tin, j'vais te dire, ils sont graves, mes potes. Et j'te l'donne en mille... Chuis sûr qu'tu vas trouver le prénom du gosse de Stair sans difficulté. C'est un p'tit mec.

- Heu... fis-je en réfléchissant un moment avant de dire : Steve ?

- Gagné ! Pourquoi ça surprend personne ?

J'éclatai vraiment de rire.

- Je pense effectivement que c'est assez facile à deviner, mais bon, tu m'as bien mise sur la voie aussi en me parlant de Steve Harris.

- Et sinon, toi ?

- Ca va. Je termine un projet de recyclage des déchets, dans une entreprise.

- Ok. Et après, tu fais quoi ?

- Après... Je vais chercher un autre contrat. J'ai quelques pistes, en Ecosse notamment.

Je me mordis la langue d'avoir laissé échapper cette précision. Car Snoog, lui, n'allait pas la laisser échapper du tout.

- Cool. Tu m'diras quand tu viendras ? On pourrait s'revoir...

Et voilà, ça n'avait pas loupé. Quelle idiote ! Maintenant, j'allais y penser...

- Ce ne sera pas pour tout de suite, répondis-je avec autant de sérieux que possible. Et puis, rien ne dit que ces pistes aboutiront.

- Les Ecossais sont pas cons. Ils vont vite comprendre qu'tu bosses bien. Tu commences à avoir une belle carte de visite, non ?

- C'est vrai. Et j'ai mené plusieurs projets assez différents. Mais ça peut intéresser des Anglais aussi, tu sais.

- Evidemment.

Et je fus certaine qu'il souriait en me répondant.

- Attends, deux secondes, fit-il.

Je devinai alors qu'il posait une main sur son téléphone ou le mettait contre son épaule, car un échange assourdi me parvint.

- Faut qu'j'te laisse. On passe en conférence de presse dans cinq minutes. Continue bien et passe de belles fêtes.

- Merci, pour toi aussi. Et bon retour à Glasgow...

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