Chapitre 33 : Snoog
J'étais dans la loge et je tournais comme un lion en cage. Nous avions quitté Glasgow pour Paris avant que les résultats de l'analyse ADN ne soient connus. Nous étions arrivés la veille, les balances nous avaient occupés une bonne partie de la journée, et maintenant, nous attendions pour entrer en scène. Ce soir, nous aurions Ally et Jenna en coulisses avec nous, Edna étant restée à l'hôtel pour garder les deux loulous. Elles s'arrangeaient entre elles, de façon à ce qu'il y ait toujours une des trois à s'occuper des enfants. Je ne savais pas comment elles faisaient leur choix, ça ne me regardait pas et pour tout dire, je m'en fichais un peu. Sauf ce soir, car j'étais bien content que Jenna soit avec nous. Elle était peut-être la seule à être capable de me calmer un tant soit peu, avec Gordon. Les autres d'ailleurs, ne disaient rien, évitaient même de me parler. Tout le monde devait sentir que j'étais à fleur de peau.
J'avais pourtant bien spécifié à l'hôpital que je serais absent très vite et que j'apprécierais beaucoup qu'ils me fassent parvenir les résultats par téléphone et non par courrier. Loren, de toute façon, les recevrait aussi et elle avait promis de m'appeler dès qu'elle en aurait connaissance, quel que soit le résultat. Mais c'était toujours silence radio, autant de son côté que de l'hôpital et la soirée s'avançant, j'étais certain que rien n'arriverait maintenant. Je ne pouvais pas dire si c'était mieux ou pire avant le concert. Je savais juste que j'avais hâte de monter sur scène et d'évacuer toute cette tension. Je ne connaissais que deux moyens pour y parvenir : la scène et une fille dans mon lit, voire deux. Mais Loren était à Edimbourg et je n'étais pas certain que je pourrais m'éclater avec une groupie ce soir. La scène serait la bonne échappatoire.
**
Après le concert et un temps de repos dans les loges, nous regagnâmes l'hôtel. J'étais vidé. J'avais tout donné et à voir la tête des autres, j'avais dû les entraîner bien loin. Mais c'était de bonne guerre. Parfois, c'était Lynn qui était totalement à fond et là, quand le batteur est à fond, les autres n'ont rien à dire : il faut suivre, c'est tout. Néanmoins, j'étais assez content de notre prestation.
Je regardais mon téléphone au moins toutes les trente secondes, mais aucun message ne m'était parvenu. J'étais bon pour une nuit blanche, à moins que je ne trouve une jolie fille sur le passage d'ici ma chambre.
Ce fut effectivement une nuit quasi blanche. Je ne m'endormis que sur le petit matin, content de ne pas avoir de concert à donner avant trois jours, à Lyon. Deux dates en France seulement, avant l'Espagne. Je dormis jusqu'en milieu de matinée et ce fut le téléphone qui me tira du sommeil. J'émergeai, un peu sonné, mais je repris bien vite mes esprits d'autant que c'était le numéro de Loren qui s'affichait. Je décrochai aussitôt.
- Loren ?
- Oui... Je te réveille ?
- Ouaip. J'ai eu du mal à m'endormir après le concert, du coup, chuis décalé... T'as des nouvelles ?
- Oui... C'est toi.
Je fermai les yeux et me laissai aller contre les oreillers. Un gros poids en moins sur le cœur, le bide, le cerveau, tout quoi.
- Sûr ? fis-je quand même.
- Oui, sûr. Il n'y a pas d'erreur possible. Tous les traceurs s'alignent. Tu verras avec le document.
- J'le montrerai à Jenna car moi, j'y comprendrai rien.
Elle eut un petit rire léger. Je la sentis soulagée.
- Tu es contente du résultat ?
- Oui, me répondit-elle franchement. Je suis heureuse que ce soit toi. J'en ai pleuré quand j'ai ouvert le courrier de l'hôpital. Je me sens vraiment soulagée de savoir, aussi. De ne plus être dans l'incertitude.
- Yep. J'comprends. Moi aussi, je suis content de savoir. Ca me fait bizarre, même si je m'étais préparé à l'idée. Disons que je commençais à m'y faire...
Elle demeura quelques secondes silencieuse, puis reprit :
- On va avoir beaucoup de choses à se dire et à voir ensemble, mais là, d'une part, je me sens un peu "sans force", comme si j'avais les nerfs qui retombaient, tu vois ?
- Oui.
- Et puis, je préférerais qu'on ait cette discussion autrement que par téléphone.
- Je pourrai peut-être faire à un saut prochainement à Edimbourg, en milieu de tournée. Faut que je revoie les dates avec Gordon, en fonction des liaisons aériennes aussi. Je pense qu'il y aura bien un moment où ce sera possible. Je lui en parle et je te redis.
- D'accord. Je te laisse. Récupère bien.
- Merci. Toi aussi.
Puis j'ajoutai, juste avant de raccrocher :
- Fais un gros câlin à April pour moi.
- Promis.
Je souris et raccrochai.
**
- C'est moi.
Tout le monde était installé dans une des salles privées de l'hôtel, pour le brunch. J'étais le dernier à débarquer car j'avais eu besoin d'un petit temps de répit, après ma conversation avec Loren. Tous les visages - même ceux des mômes - s'étaient tournés vers moi quand j'avais franchi la porte. Je n'avais pas attendu pour livrer le verdict. Lynn fut le premier à réagir, mais Jenna avait déjà le sourire jusqu'aux oreilles.
- Au moins, c'est clair maintenant.
Et il se détourna de moi pour aider sa fille à manger. Ca me fit bizarre : j'essayai de m'imaginer faire la même chose avec April. Je devais bien reconnaître que j'avais un peu de mal. Mais que c'était tentant en même temps. Maintenant que les gamins venaient avec nous pour les tournées, sans m'en rendre compte, j'avais pris l'habitude de leur présence, de la façon dont il fallait s'occuper d'eux. Même si, pour ma part, je m'étais contenté de donner un ou deux biberons à l'occasion et de les surveiller du coin de l'œil quand leurs parents étaient occupés. On ne pouvait pas vraiment dire que cela avait développé ma fibre paternelle.
Stair était le plus proche de moi. Il avait un sourire au moins aussi débile que celui de Jenna sur la figure. Il me donna une bourrade dans l'épaule en disant :
- Bienvenu au club ! Tu verras, c'est sympa.
- Crétin, rétorquai-je en grognant.
Puis je les regardai tous. Pourquoi avais-je l'impression que je n'étais pas crédible pour un sou ?
**
Quand j'ouvris les yeux ce matin-là, ma première pensée fut de me demander où je me trouvais. Puis je reconnus les lieux : c'était la chambre de Loren. J'étais arrivé très tard la veille, en pleine nuit, à cause d'un retard d'avion qui avait mis mes nerfs à vif. Déjà que la situation n'était pas simple... Enfin, bon, j'avais fini par arriver. Loren m'attendait, les yeux au bord du sommeil. Elle avait déplacé le lit d'April dans la salle pour qu'on puisse avoir la chambre pour nous deux.
Nous n'avions pas eu le temps de parler, elle était trop fatiguée pour cela. Néanmoins, son visage était plutôt serein et c'était rassurant. Je me tournai dans le lit, pensant la trouver à mes côtés, mais la place était vide. J'entendis qu'on parlait dans l'autre pièce. La petite voix d'April babillait des phrases sans queue ni tête, et Loren lui répondait. Je me levai sans bruit, m'approchant de la porte. Je ne l'ouvris pas, mais y collai mon oreille pour les entendre. Rien que la voix de la louloute était un enchantement. On aurait dit un petit ruisseau vif qui courait dans la montagne.
De ce que je compris, elles devaient être en train de déjeuner. Je décidai de les rejoindre.
J'avais à peine aperçu April la veille, endormie dans son lit. Là, elle était bien éveillée et quand elle me vit apparaître, elle me fixa un moment, un peu étonnée. Puis elle frappa dans ses mains et me tendit une biscotte déjà entamée et mâchouillée. Hum, pas très appétissant, mais le geste était mignon tout plein.
Je m'assis à côté de Loren, la place était libre. April était installée dans sa chaise haute au bout de la table. Je glissai ma main sur la taille de Loren, mais j'hésitai à l'embrasser dans le cou devant la louloute. Elle me sourit et me dit :
- Le thé est encore chaud, mais si tu veux que j'en refasse, tu me dis.
- Ca ira très bien.
- Tu veux des oeufs ?
- Dis-moi où c'est, je me débrouille, répondis-je.
Je n'avais pas du tout envie qu'elle fasse le service, après tout, elle était occupée avec la petite. Je me levai donc et gagnai le coin cuisine. C'était vraiment bien aménagé, tout l'espace avait été occupé, et utilisé au mieux, même si ce n'était pas très grand. Mais comme la pièce principale était quand même spacieuse, ça pouvait aller. Je trouvai tout le nécessaire pour moi dans le frigo et je rejoignis bien vite les deux louloutes à table. Loren avait presque terminé son déjeuner, mais sirotait encore son thé. April semblait vraiment intéressée par sa biscotte. Un petit fruit attendait aussi.
Nous mangeâmes tranquillement, puis Loren me laissa pour habiller April, avant de me proposer une petite sortie au parc. Ma foi, c'était aussi bien pour discuter. Nous fîmes une bonne balade avant de nous installer sur un banc. Et là, Loren me fit part de ses réflexions :
- J'ai l'intention de dire la vérité à Jim, fit-elle d'abord.
- Comment penses-tu qu'il réagira ? demandai-je un peu inquiet.
- Je ne sais pas... Mais je ne veux pas qu'il se sente obligé de quoi que ce soit par rapport à April. Et toi non plus, d'ailleurs.
- Quoi, moi ? Tu crois que...
- Je ne crois rien, dit-elle en posant sa main sur mon bras comme pour me calmer. C'est soudain, inattendu pour toi. Elle n'était pas prévue dans tes projets, dans tes envies. Je ne veux pas que tu aies le sentiment de lui devoir quelque chose, de me devoir quelque chose. Tu as ta vie, ta façon de vivre. Ta liberté. Et tu y tiens. C'est aussi un des rêves que tu avais et que tu as pu concrétiser. Moi et April... Nous sommes à la marge de tout cela.
- C'est ce que tu crois.
- Je ne veux pas être naïve, Snoog, me dit-elle avec sérieux. Je ne veux pas t'empêcher de la voir, de participer à sa vie, à son éducation, de partager des moments avec elle, avec moi, si tu en as envie. Mais je ne veux pas que ce soit une obligation. Tu comprends la différence ?
- Oui, répondis-je, un peu amer.
Je gardai un moment le silence, regardant la louloute s'amuser avec son petit jouet. Puis je dis :
- Sache que j'avais l'intention, si tu es d'accord bien entendu, de faire une reconnaissance de paternité. Ca protégera son avenir aussi.
Nous en restâmes là et je repartis le lendemain avec juste la promesse mutuelle d'avancer encore dans nos réflexions. Mais j'espérais bien que son ex ne ferait pas d'esclandre et ne leur pourrirait pas la vie. Je ne serais pas là pour m'occuper de lui, ni pour veiller sur elles. Et j'espérais que Loren s'en tiendrait là aussi à ce que j'étais parvenu à lui faire admettre : qu'elle attende mon retour en Ecosse pour reprendre contact avec lui et engager une éventuelle procédure. On verrait cela ensemble, en temps et en heure.
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