Chapitre 49 : Snoog
Nous étions à bord du ferry pour effectuer la traversée entre Dublin et Liverpool. Une partie du groupe était décimée par le mal de mer, Gordon et Stair en premier lieu. Réfugiés dans des cabines, ils comataient. Les enfants semblaient bien supporter. David était un peu pâle, mais tenait le coup. Edna somnolait contre l'épaule de Treddy et, à mon avis, il n'allait pas tarder à devoir la mettre au lit : mais j'hésitais encore dans mon interprétation. Peut-être qu'Edna faisait ça pour se retrouver toute seule avec son chéri. Pour tous les autres, ça allait, et Lynn et moi enquillions des bières pour nous occuper. Si on était malade, tout à l'heure, ce ne serait pas à cause de l'état de la mer. On pourrait toujours dire que la bière était tiède.
Nous avions quitté l'Irlande tôt ce matin et allions entamer la dernière partie de la tournée, avec toutes les dates en Angleterre. Nous commencerions par Cardiff et finirions par Londres. Retour prévu à Glasgow courant février. Loren devrait avoir bouclé le projet pour Stirling à cette date, même si elle assurerait un suivi au cours du deuxième semestre. Elle ne savait pas encore si elle pourrait me rejoindre une ou deux fois lors des prochaines semaines, mais j'avouais que j'aurais bien aimé prolonger ce break avec elle et April, profiter de leurs présences pour quelques temps encore. Rien qu'à l'idée d'être séparé d'elles dans quelques heures, ça me tordait le bide. L'état agité de la mer n'y était pour rien.
April, Steve et Thilia cavalaient entre le couloir et le salon où nous étions installés. Loren était assise à côté de moi, ses doigts noués aux miens. Notre nuit avait été courte, entre le concert, les câlins et April qui était venue nous réveiller aux aurores en grimpant dans le lit avec son doudou. J'avais eu dans l'idée de m'occuper de sa mère, mais elle était tellement mignonne que j'avais abandonné. De toute façon, nous devions partir tôt pour le port. Les deux semi-remorques avec le matériel s'y trouvaient déjà, prêts à embarquer.
Les moments parfois pénibles, en tournée, étaient ces temps morts liés au transport. Le pire, c'était vraiment dans les aéroports, surtout avec les gamins. Là, à bord d'un bateau, c'était plutôt sympa. En plus, on pouvait se balader et quand il faisait beau, on pouvait rester sur les ponts. Lors de la première tournée avec Treddy, quand nous étions venus en plein été en Irlande, les deux traversées s'étaient déroulées dans de bonnes conditions et j'en gardais un bon souvenir.
Nous débarquâmes en milieu d'après-midi. Stair et Gordon étaient tout pâles, Lynn hilare - je le soupçonnais d'avoir un peu abusé de la bière -, les gamins surexcités, piaillant dans tous les sens. Edna avait bien du courage pour tenter de les calmer. C'était peut-être tout simplement de l'inconscience.
J'avais réservé un taxi pour Loren, pour qu'elle puisse rentrer directement à Edimbourg. Ce serait plus confortable que par le train, plus rapide aussi. Elle avait protesté, je n'avais pas cédé. Je voulais qu'elle et la louloute voyagent dans de bonnes conditions. Quant à nous, nous embarquerions directement dans le bus pour arriver à Cardiff ce soir.
Tout le groupe fit la bise à Loren et à April, ma puce avait bien du mal à quitter ses petits amis, malgré la promesse de les revoir bientôt. Nous parvînmes finalement à nous éloigner et à rejoindre la file d'attente des taxis. Je m'efforçais de ne pas le montrer, mais je n'en menais pas large. Je savais déjà que je ressentirais plus durement encore leur absence dans les prochains jours et que Gordon me trouverait "insupportable" en langage diplomatique. Bref, que j'allais faire chier tout le monde. Limite, ils en viendraient à regretter qu'on ne joue pas tous les soirs, car ce serait le seul moyen que j'aurais à ma disposition pour évacuer mes sentiments.
Le chauffeur nous attendait comme prévu. Je l'inspectai de pied en cap, mouais, ça allait. Il n'avait pas l'air craignos. Bon papi d'une bonne cinquantaine, l'air sérieux, mais souriant. Il avait bien tenu compte de mes demandes et prévu le siège pour April. Alors qu'il chargeait le bagage de Loren, je la pris dans mes bras tout en tenant April contre moi.
- Voyagez bien, dis-je. Tu m'appelles quand vous arrivez.
- Pas de soucis. Toi aussi, me répondit Loren en souriant doucement. Tout ira bien, ne t'inquiète pas, ajouta-t-elle en me frottant le bras.
Puis elle me prit April et l'installa dans le siège auto.
- Papa !
Entendre ma louloute m'appeler alors que, dans quelques minutes, je les verrais s'éloigner me fendait le coeur. Je respirai un grand coup, attendis que Loren ait fini de l'attacher, puis je me penchai à la portière, pour être à sa hauteur.
- A bientôt, ma pitchoune. On se voit bientôt.
Puis je déposai un dernier bisou sur son front, lui glissai son doudou contre sa joue. Je la fixai un moment, comme incapable de détacher mon regard du sien, puis je me redressai. Loren était restée à côté de moi, je la pris directement dans mes bras et nous nous embrassâmes sans doute trop langoureusement, mais tant pis. Merde après tout !
L'instant d'après, elle faisait le tour de la voiture et y montait pour s'asseoir à l'arrière, à côté d'April. Un dernier geste de la main et le chauffeur démarra. Mon regard resta, perdu, à fixer la voiture qui s'éloignait lorsque deux poignes solides se posèrent sur mes épaules, l'une à droite et l'autre à gauche.
- Allez, vieux, on nous attend pour partir nous aussi, fit Lynn.
- Tu les r'verras bientôt, pour Noël, ajouta Stair.
Ouais, il pouvait dire. Dans trois semaines. Et pour quelques jours seulement, après, il faudrait achever la tournée. Gordon avait intérêt à se démerder pour me permettre de rentrer, même en coup de vent, à Edimbourg pour l'anniversaire d'April. J'avais manqué sa première bougie, hors de question que je loupe les suivantes.
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