Chapitre 55 : Loren

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J'étais sur les nerfs. Voir ma fille pleurer, revoir Jim, l'entendre encore m'insulter, contrôler Snoog... Cela faisait beaucoup. Mais la fin de journée fut vraiment pénible. April avait somnolé dans le taxi nous ramenant à l'appartement et malgré les précautions prises par son père, elle s'était réveillée à peine nous étions sur le trottoir et alors que je réglais notre course. Elle se remit à pleurer et il nous fut impossible de la faire dormir, malgré des câlins, une histoire, des chansons... Nous finîmes par sortir au parc pour prendre l'air, mais une pluie fine accompagna notre balade et nous dûmes l'interrompre.

A peine rentrés, Snoog m'envoya dans la salle de bain et me donna presque l'ordre de prendre un bain pour me détendre. Il allait s'occuper d'April. J'acceptai, car je me sentais tellement tendue et épuisée que j'aurais été capable de me mettre en colère ou de pleurer pour un rien. Je n'avais pas menti à l'avocat en lui disant que j'avais hâte que tout soit terminé. Dans moins de deux semaines, si le juge avait dit juste, nous devrions être fixés. Ce serait encore une étape à passer et il faudrait nous y préparer le mieux possible. Et sans doute que ce moment de détente que Snoog m'offrait en était la première pierre.

Je gagnai donc sans discuter la salle de bain. J'ôtai mes vêtements tout en faisant couler l'eau. J'ouvris un flacon de sels parfumés et en versai un peu dans la baignoire. Aussitôt le parfum bien agréable me parvint. Je nouai mes cheveux en chignon, je n'avais pas besoin de les laver, puis je me glissai avec volupté dans l'eau. Une fois le robinet coupé, malgré la porte fermée, un léger murmure me parvint : c'était la voix de Snoog. Il parlait posément, doucement, chantonnait parfois. Nul doute qu'il était en train de s'adresser à April, de cette voix qui prenait un timbre particulier, de cette voix qu'il n'avait que pour elle. Mon cœur s'en émut. Oui, je voulais ardemment qu'il soit reconnu comme son père. Certes, depuis la fin de la tournée, nous étions tous les trois ensemble sans même nous être posé la question, lui et moi, de savoir comment nous allions passer ces quelques semaines qui nous séparaient de notre voyage sur les îles. Mais même quand il n'était resté qu'une journée avec nous, il s'était occupé d'elle bien mieux que Jim ne l'avait jamais fait, sauf au cours des premières semaines qui avaient suivi sa naissance. Il n'y avait pas que les analyses, il n'y avait pas que les ressemblances, frappantes comme l'avait souligné l'avocat, qui prouvaient qu'il était son père. Il y avait ce que mon cœur ressentait. Cette certitude de l'amour inconditionnel qu'il lui portait. Et peut-être même avant d'avoir connaissance de mes doutes. Avant d'être la sienne, April avait, pour lui, été ma fille. Et cela lui avait donné, d'emblée, une place à part. Comme pour Thilia et Steve.

Je demeurai dans l'eau un bon moment, somnolant presque, bercée moi aussi par les murmures qui provenaient de la salle. Je finis par sortir de la baignoire, dans un meilleur état d'esprit et le corps un peu détendu. Je me séchai et enfilai juste mon peignoir. Le soir tombait, nous allions dîner et j'espérais qu'April s'endormirait cette fois sans difficulté.

Lorsque j'entrai dans la salle, je trouvai mes deux amours assis dans le canapé, April sur les genoux de Snoog. Il avait rapproché la table basse du salon et il était en train de guider sa main pour faire des petits coloriages. J'admirai le tableau un instant, en souriant. C'étaient ces moments que j'avais espéré, au cours des premiers mois, pouvoir vivre et partager entre Jim, April et moi. Mais il n'y en avait jamais eu. Peut-être était-ce parce qu'ils n'étaient finalement possibles qu'avec Snoog ?

Quelle groupie pourrait imaginer le voir ainsi ? Lui le chanteur engagé, défendant fièrement les couleurs des opprimés, des moins que rien ? Lui toujours prêt à partager, à donner un peu de son temps pour des autographes, quelques mots avec les fans ? Je l'avais bien vu à l'œuvre lors des quelques dates au cours desquelles j'avais pu rejoindre le groupe. Il aimait ce contact, il aimait ces échanges. Ils étaient aussi une de ses sources d'énergie.

Peut-être sentit-il mon regard, toujours fut-il qu'il releva la tête et me fixa. Puis un léger sourire se dessina sur ses lèvres et je m'approchai alors. Je me penchai un peu au-dessus du dossier du canapé, pour regarder l'œuvre d'art de ma fille. Mais son père m'intercepta pour m'embrasser et je sentis bien son regard glisser vers l'échancrure du peignoir. Coquin, mon homme, d'avoir toujours les yeux qui traînaient au bon endroit...

Je fis le tour du canapé et vins m'asseoir auprès d'eux. April me regarda et dit :

- Mama, dessin.

- Oui, très joli dessin, ma puce. Que fais-tu ?

- Leur.

- Une fleur ? Oh oui, quelle belle idée.

- Leur pour mama.

- Une fleur pour moi ?

- Vi.

Je me penchai pour déposer un baiser sur sa tempe, puis je me redressai et m'appuyai contre l'épaule de Snoog. Je regardai faire April, puis fermai les yeux un instant.

- Loren ?

- Hum ?

La voix douce murmurée à mon oreille me fit rouvrir les yeux.

- J't'ai laissée dormir, mais va falloir manger. J'te confie la louloute et j'm'occupe de préparer le repas, tu veux ?

- Hum, oui. J'ai dormi ?

- Ouais. Une vraie marmotte.

Je me redressai et pris April sur mes genoux. Elle ne semblait plus décidée à dessiner et voulut suivre son père jusqu'à la cuisine. Elle savait bien pourtant que nous n'aimions pas l'avoir dans les pattes là-bas et elle resta à la limite. Puis elle se laissa tomber sur les fesses et tout en tenant son doudou qu'elle câlinait, elle regarda son père s'activer. Je finis par quitter le canapé pour dégager la table et mettre le couvert. April s'endormit avant la fin de son assiette de soupe et nous la couchâmes sans tarder. La journée avait été longue et éprouvante pour elle, pas la peine de faire durer. Le plus discrètement possible, pour ne pas la réveiller, nous terminâmes notre repas, mais en abandonnant tout sur la table. La vaisselle serait pour demain matin.

Je rejoignis Snoog dans la chambre, après avoir remonté un peu la couverture d'April et avoir rapproché son doudou d'elle, car elle l'avait repoussé près du bord du lit. Ici, à Edimbourg, elle dormait dans un lit à barreaux, mais elle parvenait à en sortir toute seule le matin. A Glasgow, chez son père, c'était dans le lit prêté par Lynn et Jenna qu'elle dormait encore. Snoog m'avait dit qu'après nos vacances, nous lui ferions une vraie chambre d'enfant pour qu'elle ait son espace à elle. Quand il m'en avait parlé, il avait ajouté : "Même si on n'habite pas tout le temps ensemble. Au moins, quand vous viendrez ici, elle se sentira bien." Je savais qu'il avait dit cela pour ne pas me bousculer, ni me mettre la pression. J'avais bien compris qu'il espérait fortement que je déciderais d'aller vivre là-bas avec lui.

Et pour toujours.

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