2. Prologue

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Au commencement il n'y avait rien. Cavité vierge et sombre. Silencieuse, sans écho.

Du rien, il y eut nous. Ma sœur et moi.

Alors nous étions deux et tout était paisible. Deux entités à l'état larvaire portées par les eaux, retenues par deux cordons qui nous permettaient de vivre dans cet espace clos.

Ma sœur et moi.

Notre père. Homme présent et amoureux, nous baignons dans sa chaleur. De sa voix naissaient les ondes lénifiantes troublant l'immobilité du liquide dans lequel nous étions immergés, effleurant notre peau frêle, encore transparente. Nous sentions sa main rugueuse lorsqu'elle caressait le ventre déformé de notre mère.

Notre mère. Elle demeurait silencieuse. Masse interne, désanimée. Dans cet état végétatif, seuls les battements rapides de son cœur et l'air gonflant ses poumons au-dessus de nos têtes nous rassuraient sur la vie qui conquérait son corps malgré elle.

Notre mère n'était jamais plus vivante que la nuit venue.

La nuit, notre existence paisible était troublée par ses rêves. Nous causant une grande anxiété et brisant l'illusion de notre quiétude, ses songes étaient faits des formes géométriques tantôt déchirées, tantôt symétriques, aux couleurs psychédéliques. Deux formes. Deux silhouettes. Deux chiens enragés. Deux cadavres décomposés.

Ma sœur et moi nous sommes aimés à l'instant où nos doigts encore à peine formés se sont frôlés. À l'instant où nos regards, de nos yeux immobiles, derrière leurs paupières à demi décollées, se sont croisés. Alors nous étions deux, mais nous ne faisions qu'un.

Bien vite, pour passer le temps dans cette étendue dont nous avions déjà exploré toutes les parcelles, nous nous lancions dans des ballets aquatiques. Tourbillonnant dans le flot de liquide, tournoyant contre les parois molles qui barraient le chemin de nos envies d'évasion. Quand nous ne dormions pas, quand nous ne mangions pas, nous dansions.

Notre primitif berceau devint bientôt trop étroit pour nous contenir, nous et nos chorégraphies. Nous n'avions d'autre choix que de nous frotter l'un à l'autre en permanence. La promiscuité n'était pas un problème et la symbiose de nos corps constamment enlacés nous proférait un bien-être que nous savions sur le point de s'achever.

Notre mère était alitée depuis plusieurs semaines déjà, sur les recommandations de notre père et du médecin. Immobile et toujours silencieuse. Cadavre couvant sa progéniture, simulant la mort avant de donner la vie. Nous imaginions ses seins flasques et froids nous privant de fontaines laiteuses. Ses doigts fins et décharnés nous privant de caresses. Dans son immobilité, elle dormait de plus en plus souvent et de plus en plus souvent, ses rêves nous dévoraient.

J'aimais ma sœur et mon intention ne fut pas de lui faire le moindre mal.

Je désirais seulement danser une dernière fois dans ce lieu que nous allions quitter pour toujours. Je voulais danser et la faire rire, la rassurer sur ce monde qui nous attendait, si près. Je voulais sentir une dernière fois l'admiration dans ses yeux alors que mon corps tournoyait dans les fluides, virevoltant autour d'elle. Mes cuisses se frottant aux siennes, ma tête cognant la sienne, mon ventre massant le sien, dans cet espace toujours plus réduit.

Je l'ai observé durant des heures. Elle était figée les yeux clos. Je pensais qu'elle dormait. Je l'ai secouée, gentiment. Je l'ai brutalisée, la poussant contre les parois de notre prison. Je voulais qu'elle se réveille, qu'elle me regarde. Son corps était las, sa peau bleutée, son visage anormalement gonflé.

La lumière a jailli, m'aspirant vers l'extérieur malgré mes efforts pour m’agripper.Je résistais, je ne voulais pas sortir d'ici. Pas sans elle. J'empoignais ses pieds, ses mains, j'étais exténué. Puis j'ai compris. J'ai compris que lors de mon ultime ballet, mon cordon avait enserré son cou. Et plus j'avais tournoyé, plus le tourbillon de joie m'avait emporté, plus l'étreinte s'était resserrée.

Au commencement nous étions deux. J'ai tué ma sœur avant qu'elle ne vive.

Antoine, 3.65 kg, né à 7h21.

Le corps inerte de ma sœur est arrivé quelques minutes plus tard. Ma mère a hurlé. Pour la première fois sa voix a résonné dans mes oreilles. Des hurlements et des larmes. Elle m'a repoussé.

Claire, 3.05 kg, mort-née.


 Au commencement, j'étais seul.

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