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Mes parents se disputaient souvent. Trop souvent. Tous les soirs. Ils n'attendaient ni que le soleil soit couché, ni que je dorme à poings fermés pour se lancer dans leur joute d'hostilité.
Les reproches se révélaient sans prévenir, fusant par dessus les assiettes du dîner ou au beau milieu d'un reportage sur le chômage au journal télévisé.
Je plaquais mes mains sur mes oreilles aussi fort que je le pouvais, et alors seulement ils se rappelaient ma présence. Dans cette courte interruption, ils m'envoyaient dans ma chambre même si mon assiette n'était pas finie et poursuivaient leur querelle de plus belle.
L'eau m'a sauvé.
Mais avant que je ne le comprenne, il était déjà trop tard.
Mon prénom était cité à chacune de leurs disputes. Je ne différenciais plus la voix de mon père de celle de ma mère. Tout n'était que vibration de rage résonnant partout dans ma tête.
ANTOINE. ANTOINE.
Si tu crois que je ne sais pas ce que tu fais subir à notre fils.
ANTOINE. ANTOINE.
Un jour j'ai couru jusque dans la salle de bains. Je me pensais à l'abri mais les cris me parvenaient toujours plus fort. Alors j'ai ouvert le robinet de la douche. L'eau coulait, éclaboussait, ruisselait dans le siphon, vibrait dans les canalisations, plus fort que la clameur nerveuse de mes parents.
La seconde fois, j'ai tourné le robinet et je me suis glissé dans la baignoire sans même retirer mes vêtements. Immobile, je laissais l'eau couler sur mes cheveux, mon visage, mon corps vêtu. Je laissais l'eau me posséder et faire silence autour de moi.
La troisième fois, je mis en place le rituel final que je pratiquerai alors durant de longs mois. Je retirais mes vêtements, me glissais sous l'eau et dansais.
Soulevant mes bras, tournoyant sur moi-même, me cognant aux carreaux froids et glissant dans un bruit sourd. Mais je me relevais autant de fois que je glissais et je dansais. Sans m'arrêter je dansais au son d'un rythme que moi seul percevais.
BOUM BOUM...BOUM BOUM
Les percussions d'un cœur qui bat.
BOUM BOUM
Les battements du cœur de ma sœur.
BOUM BOUM
Et puis plus rien.
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