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Tout ira bien ! Je ne te lâche pas, regarde !
Nous sommes à une dizaine de mètres du rivage, déjà je n'ai plus pied. Je te soutiens par le ventre, tu patauges maladroitement. Je t'encourage.
Nos corps immergés sont rafraîchis par la douceur de l'eau opaque sur laquelle la faible lueur des étoiles se reflète.
Je me sens léger, porté par les fluides.
Ne me lâche pas !
Tu m'éclabousses de tes gestes malhabiles.
Je ne te lâcherai plus jamais.
Tu t'immobilises, te laisses flotter à ton tour.
C'est quoi toutes ces traces ici ? Et ici ?
Tu pointes du doigt mes épaules, la partie de mon torse émergé. Mes cicatrices.
Des bêtises de grande personne.
Nos corps nus sont bercés par le courant à peine perceptible. Tout est paisible.
Je mime de t'attacher un bracelet autour du poignet. Je répète le même geste autour du mien.
Ces cordons, seuls nous pouvons les voir. Ils nous unissent, nous rattachent l'un à l'autre. Nous ne craignons rien tant que nous les portons et même si nous devions être séparés par de longues distances, alors ce fil qui les unis nous ramènerait l'un à l'autre. Avec ces cordons, nous ne serons plus jamais séparés.
Tu ris. Et moi aussi. Nous profitons d'un instant de quiétude pure. Le tout premier.
Est-ce que tu as déjà mis la tête sous l'eau ?
Tu fais non de la tête. Alors je t'explique.
Je t'explique qu'il va falloir prendre une grande inspiration et que nous allons nous laisser entraîner sous la surface, nous laissant couler telles des pierres qu'on aurait jeté dans le lac, de tout notre poids. Sous l'eau, c'est un autre monde. Un monde qui n'appartient qu'à nous.
Tu ouvres grand la bouche et les yeux en même temps et tu inspires la plus grande quantité d'air que peuvent retenir tes poumons, puis nous nous laissons couler.
Tout est noir.
Je tiens tes mains. Je sens tes petits doigts s'accrocher vigoureusement aux miens.
Le silence est total, à peine troublé par le bourdonnement de nos oreilles.
Je te sens calme et confiant, alors je me lance.
Je lâche tes mains quelques secondes et je tournoie. Le battement de mes jambes brasse l'eau dans un tourbillon de bulles, le mouvement de mes bras agite la tranquillité des flots. Et je tourne. Je tourne sur moi-même, tourne autour de toi comme en ces temps immémoriaux. Je suis un fœtus de nouveau.
Et pour quelques secondes, nous sommes trois.
Toi, notre sœur et moi.
L'air de mes poumons s'échappe, l'oxygène de mon sang se raréfie.
Je remonte en surface prendre une grande inspiration et te retrouver. Voir ton sourire émerveillé. Je fends l'étendue calme du lac, le contact soudain avec l'air me provoque un frisson tout le long du corps.
Mais tu n'es pas là.
Un regard me suffit pour comprendre.
Le bracelet autour de mon poignet s'est brisé.
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