Le vestiaire est désert.

Je suis resté longtemps sous la douche, oubliant le temps. Laissant l'eau brûlante pénétrer mon corps, jusqu'à ce que la vapeur me fasse tourner la tête.

J'enfile un boxer et un jeans. Je me dirige vers les lavabos. Une envie irrépressible de passer mon visage rougi sous l'eau glacée.

J'entends le piaillement des baigneurs tout proche. Les enfants rient, hurlent et plongent en bombe dans le bassin. Les mères les réprimandent. Les coups de sifflet du maître nageur.

J'observe mon reflet dans le miroir.

Un filet d'eau circule le long de l'arête de mon nez, ruisselle sur mes lèvre et goutte de mon menton.

Ploc. Ploc.

Mon visage est émacié. Mes joues creusées.

Mon corps malgré tout a conservé sa superbe. Épaules saillantes. Cou robuste. Torse puissant. Et mes cicatrices.

Je les touche. Une à une. Chacune d'elle me replonge dans son souvenir.

La première. Celle-ci, au-dessus du téton gauche. Une brûlure. Mon initiation.

La dernière, encore fraîche. Celle-ci, à droite au dessus de l'élastique de mon boxer. Lacération d'une lame aiguisée.

Quand j'y pense, seul mon pénis est intact. Indemne de tous sévices. Cela me fait sourire.

Voilà mon corps. Martyrisé.

Je suis éreinté, mais la douleur me sauve.

La douleur et l'eau.

Sous l'eau je vis. Je ne ressens plus rien. Ni joie, ni peine, c'est quelque chose d'autre, de plus puissant. Je me déconnecte. Plus de réalité. Je ne ressens plus rien mais alors je vis. C'est merveilleux, imprévisible et terrifiant. Sous l'eau je suis un vagabond. Les fluides s'engouffrent dans mes aspérités, effacent mes cicatrices. Je nage, je vole. Je ne sais pas.

Sous l'eau j'oublie tout. Mon enfance. Ma mère. Ma sœur.

Sous l'eau je danse et je comprends.

 Je comprends qu'il faut te sortir de là.