4 – Pseudo : Koua de Plubok1paVdanlamar - Il est tard, tête de lard ! -- Auteur incipit : ooelleoo - Auteur texte : Vis9vies

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Quand Jill ouvrit les yeux ce matin-là, rien ne laissait présager des extraordinaires vingt-quatre heures qui suivraient son éveil.

Les premiers rayons perçaient avec nonchalance la paroi translucide. Jill se retourna d’un léger coup de reins, offrant la peau de son ventre à la chaleur bienfaisante. Du dortoir proche, elle entendit ses frères et sœurs s’agiter. Peut-être un peu plus que d’habitude. Tout à son plaisir, sous la caresse de l’astre solaire, elle refusa de s’inquiéter. Quel danger pourrait se montrer ? Le monde n’était que musiques et bercements. Ses oncles et tantes, son père, sa mère n’étaient-ils pas toujours à proximité pour veiller sur eux ?

Elle avait encore grossi. Il faudrait qu’elle demande à changer de chambre ; dans celle-ci, elle s’y sentait à présent trop à l’étroit. Était-il possible d’obtenir une place plus proche du soleil ? Le soleil était comme un ami. Il jouait sur sa peau, entre les ombres inquiétantes, et l’aidait à supporter la solitude. Elle se savait entourée, et rares étaient les bousculades à son encontre, mais avec le soleil, elle sentait monter comme une envie à l’intérieur d’elle. Une envie de… Elle ne savait pas. Comment aurait-elle pu imaginer…

Elle se détendit. Se rendormit. Rêva de musiques douces. Un tambour flappait au loin. Elle s’alanguissait dans la menthe. L’odeur piquante la mit en appétit. Le tambour battait, plus proche désormais. Faim. Elle avait faim. Le tambour l’assourdit, amplifiant le malaise provoqué par un besoin irrépressible d’emplir ses intestins. Elle allait se nouer de l’intérieur. La panique la saisit. Elle se débattit, déchira la couverture qui cherchait à l’emprisonner. L’eau froide la réveilla.

Jill s’échappa de sa chambre.

L’étonnement la cueillit. Pour la première fois, elle vit le vaste monde sans écran opalescent interposé. Des couleurs ! Des mouvements ! Les verts éclataient de fraîcheur, les bleus balayaient les nuages tout là-haut ! Et les bruits ! Les sons, sans la sourdine de l’écran, chantaient, plouffaient, claquaient l’eau dans des gerbes d’argent. Que c’était beau ! Que c’était beau.

Que c’était grand… Et gros.

Sa famille, qu’elle distinguait clairement. Tonton Jack… était énorme ! Et Mama, et Baba. Des dinosaures tout droit sortis d’un décor de vieux contes d’horreur. Avec des gueules goulues, capables d’avaler toute la fratrie en deux coups de langue ! Leur taille dépassait l’entendement.

Jill se tapit dans l’ombre la plus proche. Ses pensées, tant elles cognaient entre ses deux yeux écarquillés, lui faisaient mal.

Peu à peu, les battements de son cœur se calmèrent. La faim reprit possession des sensations. Jill n’osait pas encore s’aventurer hors de cet espace qu’elle jugeait sécurisant. Elle se mit à lécher une feuille. Se concentrer sur un besoin essentiel la rasséréna. De sa cache, elle voyait le dortoir, où plusieurs de ses frères et sœurs s’accrochaient encore. Certains se tenaient fermement à la porte de leur chambre. D’autres y étaient retournés, la tête enfouie sous la protection de l’écran déchiré.

La première leçon qu’elle tira de cette expérience à la fois merveilleuse et traumatisante fut que le beau n’était pas indissociable de la violence. Sa lutte ne faisait que commencer, car Jill décida de vivre un maximum d’aventures dans un plus beau possible.

À patienter et raisonner, elle prit de l’assurance. Elle n’avait subi aucune agression, hormis de son imagination. Son corps ne réclamait plus à manger. Elle se dégourdit en dansant lentement sur place, comme par peur de déranger. Elle allait prendre son élan pour franchir le vide qui la séparait de sa fratrie quand une alerte retentit : Attention à la naïade ! Attention au masque !

Jill se retourna, tétanisée, scrutant en haut, en bas, derrière, sur les côtés, afin de repérer le danger. Quelle naïade ; une jolie fée irisée ? Quel masque ; un loup méchant, un domino chatoyant ? Les interrogations la renvoyaient à sa naïveté. Il devenait urgent d’apprendre les codes de ce nouveau monde afin de s’y mouvoir sans risque. Elle hésita, et son hésitation lui sauva la vie, à bondir près de ses frères et sœurs pour trouver refuge dans le foisonnement. Un monstre rampait sur la vase. Pourquoi ses parents ne venaient-ils pas à leur secours ? Ils auraient pu l’écraser d’un coup de talon, eux si gros, si forts. Le monstre, de couleur sable, progressait résolument en direction du dortoir. Et hop, son masque se déplia et le petit Joe disparut dans la bouche de la naïade ! Et puis, ce fut le tour de Jules, et de Julia, Kor, Inès, Magie, et Jill détourna le regard devant le carnage.

Ses yeux contemplaient maintenant avec tristesse les pans de la draperie sale flottant dans le courant. Ce cocon offert à sa prime enfance partait en lambeaux. Pauvre petit Joe qui n’avait pas eu le temps de grandir. Et Dora qu’on n’entendrait plus se plaindre. Jill se redressa. Le monde était beau et violent, et n’aidait ni les aventuriers ni les timorés. Le monde serait comme elle le regarderait, et elle avait bien l’intention d’en découvrir toute les facettes.

La voix de Baba se fit entendre par-dessus toutes les autres : Il est tard, les têtes de lard, laissez reposer la mare ! À demain, mes petits têtards. Et on l’entendit, un ton plus bas, répondre à Mama : Quoi, encore… Mais non, pas nous. Nous, on chante les berceuses.

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