14 – Pseudo : Cocotte - L'Onde -- Auteur incipit : Ahinoa - Auteur texte : Vhaeraun2016
Encore un prospectus pour des canapés qui finit à la poubelle. Je compte les cigarettes dans le paquet laissé dans l’entrée. Douze. J’en grille une. Plus que onze. J’aime ce nombre. Les fenêtres du séjour sont toujours grandes ouvertes tandis que j’observe les deux tasses qui trainent dans l’évier.
J’écrase le mégot sur le rebords, inspire profondément l’air frais du matin mélangé à la nicotine.
Un dernier coup d’œil à ma montre. 8h11.
Il est l’heure.
Je me dirige sans empressement vers mon engin. Un émetteur de radio. On me l’a gracieusement confié pour m’acquitter de ma tâche. Chaque matin au même horaire.
Je me jette dans un siège, et j’allume la machine d’une main. De l’autre je me frotte la tempe. Ce métier commence à me fatiguer, quand bien même il reste amusant. J’ai toujours de plus en plus de mal à trouver quoi dire. Le gouvernement de la FNF en place depuis dix ans a une quantité folle de défauts à pointer du doigt. Les caméras dans toutes les rues, c’est passé et repassé comme des chemises. Il y a bien eu la création de la milice FNF et les exactions commises par celle-ci, mais crier au meurtrier et au violeur c’est pas mon genre, et c’est pas le plus efficace. Non, il me faut bien plus pour cristalliser les angoisses du petit peuple, leurs doutes, ce qui peut lentement mais surement les mener à la sédition. Je trouve que je commence à ressasser toujours les mêmes choses. Mauvais signe. Si je ne monopolise pas les avis négatifs, un autre plus teigneux viendra rafler mon public en montant sa propre radio pirate, et celui là sera complètement hors de contrôle.
Je balaie ces réflexions en même temps que j’essuie la bave au coin de mes lèvres. Je regarde l’heure. 8H20. Je suis techniquement en retard, mais quelle crédibilité j’aurais en tant que rebelle si j’étais toujours à l’heure ? Je saisis mon micro, et après avoir bien vérifié mes réglages, je me lance.
- « Salut c’est Nico ! Salut, vous les fiers ! Les insoumis ! Ceux qui ont encore des tripes ! Et des oreilles à dédier à L’Onde, la radio de ceux qui ont pas perdu leurs tripes ! Je sais que vous m’entendez, que vous m’écoutez au travail ou chez vous ! On s’en fout du moment que vous êtes sur L’Onde, et que vous savez que je suis Nico. Je suis votre voix, et vous êtes le cerveau derrière. Je parlerai toujours parce qu’il y aura toujours des choses à dire que le FNF voudrait nous empêcher d’exprimer. Je ne cesserai jamais de dénoncer, jamais! Je ne vous abandonnerai jamais camarades ! Pas tant que cette dictature du FNF existera ! Je dois biensûr saluer tous les camarades qui ont osé prendre le risque de m’écrire pour me soutenir. Merci les gars ! C’est grâce à vous que cette radio continue d’exister, que je continue de lui insuffler ma force et ma voix au péril de ma vie ! Et aujourd’hui on commence fort avec une nouvelle abomination de notre gouvernement : cette dictature de mes deux a envoyé ses lèches bottes de la milice assassiner un délégué de l’opposition dans le bois de boulogne. Une petite fille de huit ans passait par là et pour ne pas avoir de témoins ils lui ont carré une balle dans le gosier. La gamine a réussi à rentrer chez elle en courant et en laissant une trainée de sang derrière elle et à raconter ce qui s’était passé à ses parents avant de clamser. Ah ils sont beaux nos héros défenseurs de la nation ! Des bourreaux aux mains pleines du sang de notre peuple oui ! Mais ça ce n’est que l’accroche de la matinée, et croyez moi la matinée va être longue ! »
L’histoire était vaguement vraie. Pas besoin de plus. Si quelques personnes tombent sur mon canal par hasard et entendent ça, ça leur semblera si criant de vérité qu’ils poursuivront de toute façon. L’avantage avec la censure totale de la presse, c’est qu’on a pas beaucoup de concurrence dans le domaine de l’information. Je continue de les arroser d’infos comme ça pour une bonne heure, puis je leur passe de la musique pendant quelques instant pour reprendre mon souffle. Je bois un verre d’eau. J’en ai bien besoin. Je reprends peu de temps après, un léger goût d’humide dans le fond de ma gorge. Je me les figure tous, ces hommes ces femmes, ces vieux, ces jeunes, se pressant près d’un poste radio parce qu’ils savent que leurs ordinateurs les espionnent pour le compte du FNF, hochant la tête chaque fois que je crache ma haine pour nos dirigeants, grimaçant quand je leur décrit comment la milice a tabassé à mort une famille de gitans. Bref, des moutons. De temps à autre, je regarde ma montre. 12H11. Parfait. La bonne heure pour s’arrêter.
- « C’étair Nico, et L’Onde doit arrêter de diffuser pour aujourd’hui. Ces vautours nous guettent, mais je ne vous oublie pas camarades ! L’Ondes revient demain, même heure. Comme toujours. Restez forts les gars ! Je serai toujours là pour être votre voix ! Et vous, vous restez mon cerveau. Salut camarades ! »
Je coupe mon micro, je vérifie soigneusement que ma machine ne transmet plus rien. On est jamais trop prudent. Je finis juste à temps pour entendre des coups à la porte. Je me lève sans hésiter et j’ouvre. C’est le commissaire du FNF qui vient vérifier que tout s’est bien passé. Je lui fait un rapport vite fait sur la journée et il m’écoute attentivement en opinant du chef.
- « Tout semble en règle. Pas de signe d’une nouvelle radio pirate à l’horizon ?
- Pas signe.
- Excellent. Continuez comme ça. Voici votre chèque.
- Merci bien monsieur.
- C’est nous qui vous remercions. Ne nous décevez pas et demain votre chèque sera peut-être doublé. »
Il finit par sortir, et moi je m’étale sur ma chaise. Je m’allume une cigarette et je contemple mon chèque. La vie est simple quand on sait pour qui il est le plus rentable de produire.
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