21 – Pseudo : Sans Remords - Titre : Des morts, en veux-tu, n'en vois-là pas ! -- Auteur incipit : Renard . - Auteur texte : Vis9vies
C’était un orage comme tant d’autres. Les éclairs éclairaient, puis le tonnerre tonnait. Ils étaient assis dans le sofa en cuir blanc devant la baie vitrée.
– Il pleut ?
– Non.
– Ce serait mieux qu’il pleuve, non ?
Jacques émit un son grumeleux que Sophie décida de prendre pour une approbation. Elle en remit une couche.
– C’est plus facile de creuser quand la terre est mouillée, non ?
Jacques haussa les épaules. Pauvre débile, pensa Sophie, incapable de communiquer. Un vrai mec quoi ! Elle ne le supportait plus, elle se leva, enjamba le cadavre et alla se servir un porto.
Jacques l’observa du coin de l’œil remplir son verre. Elle revint près de lui et posa ses fesses nues sur le cuir blanc. Il n’avait même plus envie d’elle, il ne fit pas un geste. À quoi sert un mec ? se demanda-t-elle. Jacques ne l’aidait pas, ne la regardait plus. Ce en quoi elle avait tort : Jacques ne quittait pas des yeux le verre de porto qui allait de ses lèvres à la table basse, maitrisant d’un admirable flegme son excitation grandissante.
– Il y a une pelle et une pioche dans l’appentis du jardinier, tu prends quoi ? relança Sophie.
– Pour creuser, une bêche, c’est mieux, marmonna-t-il.
Elle eut un mouvement d’énervement. Se reprit. Tenta de le faire réagir à travers sa fierté masculine.
– C’est toi l’homme, c’est toi qui vois…
Jacques s’avachit encore un peu plus dans le moelleux du canapé, le menton venant se loger sur sa poitrine qui se levait en émettant le son caractéristique des gens avinés. Il suivit du regard le verre de Sophie qui montait et redescendait comme pendu à un engrenage bien huilé, puis essaya de compter les cadavres sur le sol. Les trois grosses, la petite fine, la noire aux hanches rondes qu’on apercevait derrière le fauteuil où s’était tenue Mamy Caradec durant des heures, avant de terminer comme les bouteilles de champagne, de cognac et de porto : inerte, au pied du fauteuil. Jacques avait sacrifié son cognac XO en y versant un mélange de ce qu’il avait trouvé dans la salle de bain. Au diable Mamy Caradec ! Elle leur avait pompé l’air durant tout le repas de midi avec ses fichus conseils qu’elle pouvait bien se mettre où il pensait.
Jacques était pour euthanasier les vieux. Sophie n’était pas contre. Ne restait plus qu’à assumer.
Le verre de Sophie tomba mollement sur le tapis en mohair sans se casser. Une tache s’ajouta aux couleurs criardes. Sophie porta une main alanguie à son front.
– Maintenant, j’ai la migraine… se plaignit-elle.
Pas étonnant, pensa son mari, avec les somnifères que j’ai versé dans le porto. Elle s’affala sur l’épaule de Jacques. Elle eut le temps de se demander qui Jacques allait enterrer en premier : elle, ou Mamy Caradec ? En un sursaut de panique elle voulut crier de ne pas la mettre en dessous, surtout pas sous Mamy Caradec, elle préférait être au-dessus. Aucun son ne sortit. La langue trop pâteuse barrait le chemin. Elle n’eut plus que la sensation d’avoir l’orage dans sa tête.
Jacques repoussa Sophie et s’extirpa du canapé. Il s’étira, solide sur ses pieds. Il ne se bitturait qu’au champagne : c’était pratique, ça permettait de dessouler plus vite et de ne pas perdre tous ses moyens en cours de route. Il se pencha sur Sophie et l’allongea sur le canapé en lui murmurant
– Deux femmes qui veulent commander à la maison, il y a des jours où c’est trop demander à un seul homme.
Il se retourna, avisa la bouteille de porto, la saisit et alla la vider dans l’évier. Il la rinça et la jeta à la poubelle. Demain, la femme de ménage aurait encore à faire avec tout ce qui jonchait le salon.
En passant devant l’entrée, il mit le nez dehors. Le soir tombait. L’orage s’éloignait sans avoir versé une goutte d’eau, mais un second approchait. Il devenait urgent de se dépêcher. Jacques courut jusqu’à la cabane du jardin. Il hésita entre deux bêches, les soupesa en pensant que celle en métal serait plus lourde, mais c’était le contraire.
– Deux mètres devant le cyprès doré, avait dit Sophie. Voilà, on y est, ma chère, ça va être l’endroit parfait !
Il se mit à creuser. La terre était meuble, le trou s’agrandissait sans efforts.
Dans le hall d’entrée, Jacques dépaqueta le pied de l’objet du délit. Un rosier buisson, qualifié de rare et soi-disant indigo. Mamy Caradec les avait tannés pour qu’ils le plantent dans la journée.
– Et arrosez-le bien !
Et puis encore d’autres conseils pour la taille, pour l’exposition, pour le jardinier…
Sophie avait craqué. Jacques avait mis le holà pour avoir la paix.
Quand il eut terminé, Jacques planta la bêche au pied du rosier pour lui servir de tuteur temporaire et revint à la maison. Ignorant le salon, il se dirigea vers la salle de bain. Une bonne douche, et il pourrait enfin jouer à manpower dans le grand lit conjugal.
En passant, il ouvrit doucement la chambre d’amis. Mamy Caradec ronflait. Il referma la porte avec un froncement de nez et un hochement de tête signifiant qu’il pensait qu’elle ne manquait pas d’air. Ils l’avaient transportée jusqu’ici. Quand Sophie l’avait allongée, la vieille dame lui avait vomi dessus. Sophie, furieuse, s’était déshabillée à côté du lit et avait abandonné ses vêtements par terre. L’odeur aigre avait envahi la pièce.
Jacques eut une pensée attendrie pour sa femme ; elle était encore belle toute nue. Il se dit que demain, avant qu’elle se réveille, il irait au club de tir. Il devait s’entrainer. Un homme est celui qui a la bonne réponse défensive face aux plus diverses agressions. Tout est dans la manière de répondre. Sans excès, mais sans modération…
Dehors, l’orage se déchainait. Un tchtt sec claqua, immédiatement suivit d’un grondement terrible qui fit trembler les murs. La bêche vira un instant au blanc, et toute la peinture s’écailla. Du rosier, ne resta qu’un scion calciné.
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