Quand sonne le glas
Certains arrivent par grappes, par deux, ou même seuls.
Certains en silence, d’autres en chuchotant. Une marée sombre qui s’écoule lentement vers l’église, répondant à l’invitation funèbre.
Sur le parvis, on se salue d’un signe de tête, on se murmure quelques mots. Il y a des accolades furtives, des mains pressées plus longtemps qu’à l’ordinaire. Des regards fuyants, ou au contraire, insistants. Et ces phrases, répétées à mi-voix comme une litanie :
— C’est fou quand même…
— Un tel drame.
— On s’en doutait, quelque part.
— Qui aurait cru…
Personne ne parle trop fort. Personne ne veut avoir l’air de savoir. Et pourtant, la foule attend. La foule guette.
Le vent agite les branches neuves des arbres de la petite place pavée. Derrière, la mairie-école. Devant, l’église. Et entre les deux, ce parvis qui n’a jamais vu autant de monde.
Ils signent les registres posés sur des chevalets en bois de chaque côté de l’entrée, un vieux monsieur se tient là, les joues creusées, la main tremblante. Il ne demande rien, tend juste le stylo à la personne suivante. Les noms s’ajoutent les uns aux autres, montrer qu'on y était, dans une lente procession de lettres et de soupirs.
Certains attendent dehors, d’autres entrent déjà, inquiets de ne pas avoir de place assise. La petite église s’anime peu à peu de cette foule lasse tout autant que curieuse. Le murmure s’épaissit, engourdit l’espace, se dépose sur les épaules. On dirait qu’il flotte dans l’air quelque chose qu’on n’ose pas nommer. Une gêne peut-être. Une honte. Ou une fatigue ancienne.
Puis, enfin, les cloches résonnent, lentes et graves, comme un souffle suspendu. Un son lourd, profond, qui semble faire vibrer la pierre elle-même.
Une silhouette s’avance.
Le prêtre.
Et dans la foule, le silence devient total.
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