Les rails du destin
Chaque jour, en me rendant à l'école, je passe sur un pont qui surplombe des rails. Des deux côtés, la nature s'empare de ce bout du centre-ville intouché. L'hiver, on peut voir des traces de pattes cotoyer des traces de bottes tout le long alors que l'été héberge les déchets rejetés par les passants nocturnes. Un divan sale aux motifs démodés y est déjà resté pendant des mois.
Lorsque le train passe en-dessous de moi, je suis prise de vertige et marche en zigzaguant. Un pas de travers et je risque de terminer mes jours dans la rue passante. Parfois, je m'imagine rester impassible devant ce monstre mangeur de charbon à confronter la Mort. L'optique de mourir aussi vite me convient mieux que celui de me jeter dans l'eau glacée et sale de la rivière qui accueille les eaux de la ville.
Je pourrais sauter dans la neige en croisant les doigts pour que mon atterrissage ne soit pas trop brutal et longer les rails au lieu d'aller en cours, mais la société me tient en cage. Je pourrais passer la journée à remonter la piste en écrivant un récit de mes dernières pensées avant de m'endormir au sein d'un banc de neige entre deux villes.
L'école ne me mène nul part, mais les rails ont toujours une destination qu'on peut retrouver, une gare où attendent passagers et marchandises. Quelqu'un m'y attend peut-être, moi aussi. Il patiente peut-être depuis des heures à respirer dans son foulard, toujours le même air dont l'humidité glacée a marqué la laine de son écharpe. Quand j'arriverai à la gare, il verrait en moi l'ange essoufflé en manteau noir qu'il espère depuis sa naissance.
Nos regards se croiseraient, d'abord timides de cette rencontre fortuite, avant que nous marchions l'un vers l'autre. Sans une parole échangée, nos lèvres se rencontreraient, scellant notre destiné. Les flocons tomberaient sur nos têtes et teindraient nos cheveux en blanc. Nous compenserions cette longue attente en prenant notre temps, en nous découvrant avec hâte, mais patience.
Il m'inviterait chez lui en voyant que le bout de mes doigts et de mes oreilles virent au bleu. Comme en proie à un instinct primaire, nous enlèverions nos vêtements passé la porte. Cherchant un peu de sa chaleur à transposer sur ma froideur, je ferais le tour de son corps avec mes lèvres bleutés. Ses yeux ne pouvant pas me guérir de la morsure du froid sur ma peau, il caresserait tout ce qu'il trouverait congelé. Il glisserait mes mains sur ses hanches, ses cuisses puis son membre en m'embrassant dans le cou. Les joues en feu, je me mettrais à genou devant lui pour le remercier de m'accueillir.
Je dois calmer mes fabulations, je suis presque rendue à ma salle de classe... Je le retrouverai ce soir sous les couvertures après une douche brulante.
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