V
La mort dans l’âme et fatigué comme jamais, Osseni quitte Houefa et prend congé de cette fête funéraire qui n’en finit plus et qu’il rejette corps et âme. De loin, il salue Kadjola et Sourou, les parents de la défunte, ses amis, ces hommes et ces femmes emportés par les rythmes syncopés ; personne ne lui prête la moindre attention. Seul dans l’horizon sans lune, il s’éloigne de ces fantômes bigarrés qui dansent autour d’un feu tels des possédés en transe, invoquant la vie qui les anime sans cesse.
D’un pas lourd, alors que les sons s’évaporent peu à peu dans les ténèbres, il traverse le village désert pour rejoindre l’humble case qu’il partageait avec Houefa : le vide, la solitude de cet espace le tourmentent à présent. Il erre en pensée au confluent d’un impossible futur, d’un passé condamné, lui qui a toujours pensé n’être qu’une infime poussière sur un continent. Alors, le corps engourdi, il sombre dans les eaux tourmentées du rêve jusqu’à ce que le soleil blanc déchire les voiles tendres de l’horizon et le rappelle au monde.
Quand il se réveille enfin, retrouvant sa vie d’autrefois, le cœur chargé de sanglots, il aperçoit, dans l’encadrement de la porte, une silhouette familière. Il pense tout d’abord à Houefa, revenue d’entre les morts, vivante ou animée par le vaudou, mais c’est un homme qui se tient là. Rachitique, élancé, il semble le dévisager longuement. La lumière crue le dissimule en ombre, mais ses traits se dessinent à l’encre du jour dès lors qu’il pénètre le seuil de la maison.
Stupéfaction : Osseni se voit comme au travers d’un miroir, d’une eau pure et diamantine ! Il a beau se frotter les yeux plusieurs fois, c’est bien un sosie parfait qu’il aperçoit. Effrayé de cette rencontre presque surnaturelle, il ne répond ni à son sourire large comme la vie, ni à ses paroles pleines d’entrain qui le laissent sans voix :
« Je suis là, Houefa ! Mon amour, tu m’as tant manqué ! »
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