Capsule 29/06/2456 – 1

Habitants de l'Amas. Je suis la Commandante Antéa. Silence Immobile vous ment. Les révélations sur le génocide perpétré par les S.I. par le passé sont vraies. Je suis celle qui a découvert cette épave. J'étais seule, ce jour-là. Vous trouverez une copie de l'intégralité des données que j'ai recueillies en pièces jointes. Les preuves sont incontestables. Nous devons régler nos problèmes dans le calme. Depuis l'extérieur de l'Amas, j'invite toutes les parties à se réunir à bord du vaisseau-couveuse : un lieu neutre où la nouvelle génération servira de caution au bon déroulement des négociations. Les différentes parties doivent trouver une Concorde dans l'intérêt du Peuple de l'Amas.

— La Petite Garce ! s'emporta le chef des S.I. Il semble que notre agente à bord ne soit pas parvenue à la garder sous contrôle.

 Il frappa sur son bureau de son poing.

 La pièce sombre et épurée fit résonner sa voix.

— Effectivement, nous n'avons plus de nouvelles, lui répondit le Prêtre-Programmeur.

— Quel est le taux de diffusion ? Calculez.

— Capté à 6 h ce matin avec un taux d'échanges de 73 %.

— Tout ça en 4 heures ? Et l'engagement ?

— Très élevé. On est sur du 54 %.

 Beaucoup trop de monde trouvait donc son appel pertinent. En sachant que tous les habitants de l'Amas n'étaient pas encore au courant. Mais combien la suivraient, réellement ?

 Le Chef des S.I. enrageait. La situation n'était déjà guère reluisante avec les enquêtes qui cernaient le Conseil. L'irruption de Silence Immobile en ce lieu symbolique rassemblant les représentants des comètes n'en finissait plus de faire parler.

 Une agitation était en train de gagner l'Amas.

 Le risque planait déjà, avant cette prise de position de l'Héroïne de l'Amas, de la survenue d'une vague de dissidence quand le danger serait éloigné, mais tout laissait suggérer qu'il s'était trompé. La Résistance comptait profiter de la marée neptunienne pour le déstabiliser.

— Que propose le Logos ?

— Nous vous avions prévenu que les drones poseraient problème. Sans sous-réseau, nous n'aurions pas à gérer cette situation.

— Vous allez l'avoir votre épuration des drones. Croyez-moi ! On va détruire le sous-réseau. Mais pas maintenant. Nous devons gagner la bataille de l'opinion. On ne peut pas exterminer la moitié du Peuple de l'Amas tous les quatre siècles.

— De fait, nous vous rejoignons. Dans un premier temps, vous devriez casser le capital-sympathie de cette petite commandante. Elle tente de se hisser au-dessus de la mêlée. Faisons-la redescendre. Il y a de quoi faire dans son dossier. Positionnez-vous en chef de bonne volonté vis-à-vis du Peuple. Nous pensons que vous devriez officiellement accepter son invitation à négocier. Une fois tout le monde rassemblé en un lieu, il n'y aura plus qu'à arrêter tous vos opposants d'un coup. Vous décrèterez ensuite un faux blackout. Dans le même temps, nous opèrerons à travers tout l'Amas et nous reprogrammerons tous les drones afin de détruire le sous-réseau et contrôler de nouveau l'information ?

— Un faux blackout en pleine Marée ? Il risque d'y avoir des blessés et des morts. Je ne sais pas...

— Il faut frapper vite et fort. La peur engendrée par ce moment de chaos est nécessaire. Il rappellera à chacun que seule la survie prime et restaurera durablement l'autorité de Silence Immobile. Montrez au peuple que Silence Immobile ne recule devant rien pour maintenir l'ordre. Vous n'avez pas à être aimé si vous êtes craints. Ainsi soit le Grand Dessein !

— Il reste une inconnue toutefois. Il y a un risque pour la nouvelle génération présente à bord du vaisseau-couveuse.

— Effectivement, cela pourrait arriver et ceux qui en porteraient la responsabilité perdraient tout soutien. Voyez-vous où le Logos veut en venir ?

— Vous allez trop loin. Merci pour votre analyse. Je vais réfléchir à ce que j'en retiens.

*

 Antéa était très inquiète des conséquences de sa prise de parole publique à travers une capsule particulaire expédiée sur le sous-réseau des drones. Elle avait pris cette décision seule sans consulter personne. Elle l'avait enregistrée et envoyée avec l'aide d'Amitié en toute discrétion.

 Si Cephei et Caron trouvaient son initiative excellente, elle lui avait valu la réprobation d'Hélya tant elle estimait ce coup d'éclat imprudent. Pourtant Antéa l'avait en partie faite pour la disculper d'avoir visité l'épave avec elle. En outre, elle n'avait plus rien à perdre maintenant que Silence Immobile voulait l'arrêter. Comme à son habitude la généticienne n'avait guère émis d'avis. Elle semblait ne même pas avoir eu vent de sa démarche avant qu'Antéa ne l'en informe. Son comportement lui paraissait très en décalage. Elle pouvait tout aussi bien être ce qu'elle prétendait être : une scientifique dont seul comptait son travail sur les embryons de la nouvelle génération. Antéa ne parvenait pas à trouver d'indices, mais Hélya ne la lâchait plus d'une semaine, discrètement, mais efficacement. Et elle avait rapporté à Antéa plusieurs routines suspectes de cette dernière. Elle finirait bien par commettre une faute.

 Amitié la coupa dans sa réflexion.

— Antéa. Hélya m'informe d'un incident sur le pont périphérique. C'est un code 2.

 Ce qui signifiait qu'un membre de l'équipage était à terre, blessé, pas loin du tout de là où elle se trouvait présentement.

— Préviens les autres, Amitié. Suis-moi !

 Tout en courant à travers les couloirs, elle demanda à Amitié :

— C'est qui ?

— Le manutentionnaire.

 Lorsqu'Antéa déboucha sur le pont périphérique, Caron gisait sur le flan, le visage tourné vers elle, évanoui. Une flaque de sang s'était formée sur le sol dans son dos.

 Amitié braqua ses instruments sur le corps du manutentionnaire.

 Après un bref moment, il dit :

— Il a perdu beaucoup de sang. Il a une perforation sous l'omoplate au niveau du poumon. Je vais le retourner et comprimer sa plaie avec un champ de stase. Il y a de l'oxygène au bout du pont dans le caisson de survie, ramène-la-moi. Vite.

— OK.

— Fais attention, Antéa ! Ce n'est pas un accident qui a pu causer une telle blessure. C'est sans doute un objet tranchant manipulé par quelqu'un...

 Antéa ne ralentit pas pour autant. Elle jeta un œil à la dérobade et resta sur ses gardes tandis qu'elle forçait l'ouverture du caisson de survie.

 Lorsqu'elle revint, Amitié avait déjà placé Caron en lévitation sur le dos. Il était inconscient. Sa peau avait viré au gris et ses lèvres étaient en train de bleuir. Amitié activait ses programmes médicaux.

— Mets-lui de l'oxygène, Antéa. Un de ses poumons est perforé. Je contiens le saignement avec une microstase localisée. Il n'y a plus de risque de ce côté. Par contre, il faut que je lui insère un drain pour créer un vide. Son poumon s'est décollé de sa plèvre et appui sur son cœur qui de surcroit se fatigue pour alimenter davantage son corps en oxygène. Si tout se passe bien, il devrait s'en sortir.

 De fait, Caron respirait encore, mais un seul côté de son thorax se soulevait, mouvement étrange qui hypnotisa Antéa.

 Elle observa Amitié administrer les premiers soins à Caron en se sentant impuissante. Quelques minutes après, ils furent rejoints par Cephei.

— Désolé pour le retard. Je m'occupais de l'autre Code 2.

— Comment ça « l'autre Code 2" ? Où sont les autres ? demanda aussitôt Antéa.

— Il y a eu une bagarre au labo. Hélya a assommé la généticienne. Elle dit qu'elle l'a vu attaquer Caron. Tu devrais y aller. Je reste ici.

*

 Les mains d'Hélya tremblaient. Sa voix chevrotait.

— Je la suivais comme tu me l'avais demandé. Il y a eu une altercation entre elle et Caron. J'ai entendu qu'il lui reprochait d'avoir jeté quelque chose dans le circuit d'éjection. Elle l'a alors frappée violemment avec ça pendant qu'il lui tournait le dos.

 Elle désigna un objet de laboratoire à l'usage inconnu d'Antéa.

— Ensuite, elle a sorti une seringue d'on ne sait où et l'a piqué avec au niveau du coup. Caron s'est effondré. J'ai donné l'alerte et je l'ai suivi jusqu'ici, mais elle s'en est aperçue. Je me suis battue avec elle. Ce n'était plus du tout la même personne, Antéa. Elle était d'une froideur... On aurait dit une professionnelle, mais je suis parvenue à l'assommer. Elle n'a pas bougé depuis tout à l'heure. Je... Je crois que je l'ai tuée. Elle n'a plus de pouls.

 Hélya se mit à avoir un hoquet de panique.

— Calme-toi, Hélya.

 Antéa attrapa son communicateur.

— Amitié. Tu as remarqué la trace de piqure au niveau du cou. La généticienne lui a injecté quelque chose. J'ai la seringue ici. Je te l'apporte ?

— Inutile. Je m'en suis rendu compte. C'est un tranquillisant violent. Dans sa bonté, elle nous a plongé notre patient en coma artificiel. Pour lui éviter de parler, elle lui aura au moins offert de ne pas souffrir le martyre. J'ai terminé, ici. J'arrive dans quelques instants pour m'occuper d'elle.

 Tandis qu'Antéa tentait d'apaiser Hélya, Amitié virevolta au maximum de vitesse.

— Je l'ai tuée, déclara Hélya. On s'est battue. Je l'ai poussée de toutes mes forces et elle s'est cognée. Elle a commencé à sortir quelque chose de sa poche. Je... Je crois que j'ai continué à heurter sa tête jusqu'à ce que j'entende un... craquement.

 Elle désigna du menton une des lourdes caisses métalliques qui abritaient des embryons.

 Amitié s'approcha et pointa ses capteurs vers la généticienne.

— Pas encore morte, déclara-t-il, mais elle est bien esquintée : fracture et hématome sous crânien. Son pouls est à peine perceptible, mais il est bien là. Je vais drainer l'hémorragie sinon c'est un légume que nous récupèrerons. Si je ne la perds pas...

 Tandis qu'il soignait la généticienne, il braqua ses capteurs sur Hélya.

— Tu as une contusion au visage et une trace de griffures dans le cou. Antéa, j'aimerais que tu lui désinfectes ses plaies, s'il te plait. Elle est en état de choc. Je préconise du repos, mais ne la laisse pas seule, par contre.

— Amitié, dit Antéa. Quand tu l'auras soignée, je veux que tu l'enfermes dans un champ de stase et que tu la gardes toi-même. Autorisation DF389U de mise en captivité d'un membre d'équipage par la Commandante du vaisseau.

— Techniquement, tu n'es plus Commandante, mais je pense que tout le monde a compris maintenant que je suis doué d'une personnalité et de mon libre arbitre. Donc – et même si je serai fort étonné qu'elle reprenne rapidement conscience – je vais effectuer ton ordre. Je transfère le support médical du manutentionnaire à un autre drone de l'équipage.

 Il déploya un champ de stase sur la généticienne.

— Si elle se réveille, appelle-moi

*

— Comment va Caron ? demanda Hélya qui semblait s'être remise du choc.

— Il est stabilisé, mais inconscient. Son drone dit qu'il le fera sortir de coma artificiel d'ici quelques jours quand son pneumothorax sera résorbé. Au final, son état facilite son traitement. Je... Je suis désolé de t'avoir poussé à prendre un si gros risque.

— Et l'autre traitresse, comment va-t-elle ?

— Amitié est mitigé. L'hématome a eu le temps de comprimer une zone de son cerveau et il ne sait pas quelles seront les séquelles. Pour l'heure, elle est enfermée dans sa cabine par un champ de stase. Elle n'a pas repris connaissance, mais tu ne l'as pas tuée. Rassure-toi.

 Hélya ne parut pas pour autant soulagée. Antéa comprit aisément pourquoi. Ses coups l'avaient peut-être transformée en légume.

 Le communicateur d'Antéa bipa.

— Euh... Commandante ?

 C'était la voix de Cephei.

— On parle de vous dans des capsules S.I. Je pense que ça ne va pas vous plaire. Vous devriez y jeter un œil.

*

Capsule 29/06/2456 - 13.1

La Commandante Antéa n'est pas une personnalité neutre pour chapeauter la réunion de Concorde comme le prouvent ces images où on la voit en compagnie du Terroriste et Résistant nommé l'Artiste. Il n'était qu'un de ses nombreux amants. Elle aurait même à plusieurs reprises forcé une de ces subordonnées à avoir des relations homosexuelles non consenties. De nombreux dissidents ont avoué sa proximité avec l'Oligarque. Après tout, l'Artiste n'est-il pas son propre fils ?

Capsule 29/06/2456 - 13.3

De fait, son état mental a toujours inquiété. Ainsi, nous avons découvert qu'elle avait menti sur sa stérilité pour dissimuler son statut d'inutile à notre société. Il est choquant de découvrir qu'on a confié la responsabilité de la nouvelle génération à une stérile. N'aurait-elle pas d'ailleurs orchestré elle-même l'incident ayant conduit à la destruction du précédent vaisseau-couveuse ? Tout ceci ferait-il partie d'un plan muri de longue date avec des complicités ? La Commandante du précédent vaisseau-couveuse mise en retraite depuis et dont l'homosexualité était de notoriété publique était-elle une de ses amantes ?

Capsule 29/06/2456 - 13.4

L'éducation égoïste d'Unique que la Commandante Antéa aurait reçu d'une mère qui aurait fondé la secte du Havre dont il est question ces derniers jours comme le prouve ces documents. Ce serait sa mère qui aurait inventé ce mythe avant d'être arrêtée et envoyée en rééducation par Silence Immobile. Nous pensons qu'elle aurait fait subir à sa fille un véritable lavage de cerveau. Voyez en pièce jointe un court extrait de ses aveux.

Capsule 29/06/2456 - 13.7

Les états de service de la Commandante Antéa sont éloquents. Désobéissances multiples, mises en danger, injures, violences. Tout est documenté dans ces rapports académiques et de Contrôle. Elle n'est pas une héroïne. C'est un individu perturbé qui a toujours vécu isolé du reste de la société. Quelqu'un de dangereux.

Capsule 29/06/2456 - 13.8

Peuple de l'amas, en tant que Chef de Silence Immobile et garant de la sécurité de l'amas, j'ai décidé d'accepter la proposition de négociation de la dangereuse Antéa, de ses alliés résistants et de sa secte. L'heure est grave. Ils ont pris en otage la nouvelle génération et je ne peux me dédire de mon serment de protéger coute que coute l'Humanité.

*

 Humiliée.

 Désespérée.

 Il n'existait pas d'autres mots pour désigner ce qu'elle ressentait en cet instant. Il en était un autre toutefois qui supplantait tout le reste : furieuse. Antéa enrageait.

 Ces dernières vingt-quatre heures, elle n'avait pu s'empêcher de lire et relire avec nausées la dizaine de capsules la dénigrant qui étaient parues sur le sous-réseau.

 Plus encore que les odieux mensonges, des photos d'elles en pleins ébats amoureux avec Hélya ou avec l'inconnu de la fête clandestine étaient jointes aux capsules. Des vérités secrètes sur elles étaient aussi révélées à tous. Cela la mettait dans une colère noire.

 D'une voix douce, Amitié lui dit :

— Tu sais Antéa. Personne ne croit les capsules des S.I. Les gens ne sont pas dupes. Tu étais décrite comme une héroïne il y a deux jours et te voici une moins que rien. Ça ne peut que paraitre étrange.

— Mais il y a des photos de moi en train de...

 Sa voix s'étrangla dans sa gorge.

— De fait, c'est la capsule la plus partagée par voyeurisme, mais je doute que le Peuple de l'Amas voie ça d'un mauvais œil. Je pense que Silence Immobile connait ton profil psychologique et que cette capsule ne vise qu'à te blesser. Bizarrement, il est possible que le Peuple de l'Amas se reconnaisse en toi dans ce genre d'actes.

— Tu parles !

— Je suis sérieux, Antéa. Enfin, tu sais bien que tu es un peu « coincée » par rapport aux autres. Tu as le droit, d'ailleurs.

— Merci. Continue de m'enfoncer. Si leur but était de me faire du mal, c'est réussi. J'ai honte. Ces salauds ont aussi dévoilé tous mes secrets. Le Peuple de l'Amas doit me détester, désormais.

— J'en doute. À mon avis, même ceux qui croient aux capsules de Silence Immobile éprouvent de la compassion pour toi à l'heure qu'il est.

— Chouette. J'inspire de la pitié, maintenant. Et c'est censé me remonter le moral. Je veux dire : tu penses vraiment que c'est mieux ?

— Oui. — Ils doivent se dire que tu es très courageuse. Orpheline, Unique et stérile. Et pourtant tu t'en es sortie dans la vie !

— Voilà qui reste encore à prouver... Je suis plutôt mal barrée pour vivre une année de plus.

 Elle frappa du poing sur sa cloison y imprimant une nouvelle profonde bosselure.

— Antéa, je pense que ta colère dissimule autre chose ? J'ai ressenti l'accélération de ton pouls en particulier sur la vidéo d'archive des S.I. où l'on voit des images de ta mère. Tu sais que j'ai le décompte exact du nombre de fois où tu l'as visionnée...

 Amitié avait visé parfaitement juste avec son agaçante précision informatique.

 Des larmes montèrent aux yeux d'Antéa. Elle ne parvint pas à dire un mot, jusqu'à ce qu'elle explose de chagrin et que se déverse un torrent. La boule qui s'était formée dans sa gorge disparut alors.

 Elle enserra Amitié dans ses bras de toutes ses forces.

— Elle ne s'est pas suicidée. Ils lui ont fait du mal, dit-elle. Elle ne m'a pas abandonné. Ils me l'ont prise ! Elle connaissait le mythe du Havre. Cette...

 Elle désigna l'artéfact ramené depuis l'épave dans sa chambre.

— ... Étoile, je la connaissais. Je l'ai toujours connue. Je la voyais parfois dans des rêves qui devaient être des souvenirs.

— Tu étais trop jeune, ma belle. Le cerveau des enfants est malléable. C'est normal que tu ne t'en sois pas rappelée avant.

 Quelqu'un toqua à la porte de sa cabine.

— PAS MAINTENANT ! cria-t-elle.

— Désolé Antéa, dit Cephei. Mais l'Oligarque est arrivé et demande à monter à bord.

— Ils sont en avance d'un jour, reprocha Antéa.

— Je leur ai dit, mais ils n'avaient pas le choix, pour des raisons de sécurité. N'oublie pas qu'ils sont traqués par Silence Immobile.

— J'arrive.

*

 L'Oligarque qu'elle avait déjà rencontré était escorté de deux hommes jeunes et musculeux qui scrutaient les alentours. Des gardes du corps sans aucun doute.

— Bonjour Conseiller Halley.

— Bonjour chère Antéa. Tout d'abord, j'ai vu l'odieuse campagne de dénigrement dont vous avez fait l'objet et j'en suis terriblement attristée. J'imagine votre émoi. Sachez que les gens n'y croient pas. C'est trop gros. Le revirement brutal de Silence Immobile à votre propos ne prend pas. Mais ce qui compte dans l'immédiat c'est que le dénouement soit aussi surprenant qu'inattendu. Silence Immobile se dit prêt à négocier, à mon plus grand étonnement. Et la Résistance répond présente à travers moi, bien que nous ayons des doutes sur la bonne foi des S.I.

— J'espère que vous vous trompez, dit sobrement Antéa.

— Je l'espère de tout cœur aussi. Merci en tout cas de m'accueillir en avance. Je m'excuse de la gêne occasionnée. Ce ne fut pas simple. Nous avons dû prendre des chemins détournés pour vous rejoindre.

 Antéa esquissa un timide sourire qui s'évanouit rapidement.

 Un des hommes qui accompagnait l'Oligarque était en train de la reluquer.

 Antéa se mordit la lèvre pour ne pas exploser. Elle devina qu'il avait dû voir les images d'elle dénudée et était en train d'en évaluer les concordances. Elle prit sur elle et fit les présentations de Cephei et Hélya.

 Une fois ces mondanités bâclées avec application par Antéa dont ce n'était pas le fort, elle entraina l'Oligarque à part et murmura à son oreille.

— Avant toute chose, j'ai besoin de savoir s'il est vrai que mon intendant et mon manutentionnaire appartiennent à la Résistance et ont pu rencontrer votre fils par le passé.

— Effectivement. Vous n'avez rien à craindre d'eux.

 Antéa laissa échapper un soupir de soulagement.

— Je croyais que vous aviez déjà démasqué votre espion ?

— Il pourrait y en avoir un autre. Simple précaution.

— Vous devenez prudente.

— Paranoïaque surtout.

 Ils mirent fin à leurs messes-basses.

— Je suis porteur de deux bonnes nouvelles, reprit l'Oligarche pour tout le monde. Tout d'abord, je sais de source sure que mon fils est en vie.

 Le cœur d'Antéa fit un bond dans sa poitrine, mais Antéa tenta d'informer ce dernier qu'elle s'en fichait tant elle lui en voulait de l'avoir mise ainsi en danger. Son cœur n'en eut cure et continua à battre la chamade.

— Silence Immobile le garde pour en faire un outil de négociations, poursuivit l'Oligarque. Suite à votre déclaration, Antéa, les plus grosses comètes ont organisé des assemblées pour débattre de la situation au grand damne de Silence Immobile.

— Je souhaite simplement que les tensions dans l'Amas ne s'enveniment pas davantage, dit Antéa avec candeur.

— Ça... Tout va dépendre de l'attitude des S.I. Malheureusement, l'expérience m'a prouvé qu'on ne faisait pas facilement bouger ce pouvoir. Il faut vous attendre à d'autres sacrifices.

— J'ai déjà perdu beaucoup.

— Mais vous avez encore la vie et c'est un bien éphémère dans une période aussi troublée que la nôtre. Si vous n'êtes pas préparée à être tuée, retirez-vous du jeu mon enfant. Il n'est pas trop tard.

— Je n'ai plus guère le choix.

— Si. Nous pourrions vous cacher. Vous avez déjà beaucoup accompli.

 Antéa réfléchit à la proposition. La Résistance essayait-elle de l'écarter ? C'était probable. Elle était un électron libre. Le Peuple de l'Amas – pour une raison qui lui échappait – et qui allait au-delà de son acte de bravoure passé pour sauver le vaisseau-couveuse semblait la croire elle bien plus que les deux autres camps. Peut-être était-ce lié à sa jeunesse ? C'était elle, sur son initiative, qui avait forcé et obtenu cette réunion. Mais si elle l'avait fait, c'était pour éviter que la situation dans l'Amas n'empire, pour prévenir des morts, des arrestations, pour que des libertés survivent à la répression. Certes elle ne cachait pas sa sympathie pour la Résistance et son dégout pour la méthode de Silence Immobile, mais sans le vouloir elle avait tracé son propre camp sans trop savoir ce qu'il était.

 Antéa se sentait responsable de ce qui pouvait arriver ensuite.

— Je vous promets d'y réfléchir quand les négociations auront abouti.

— Je dois me préparer aux pourparlers. Pouvez-vous faire visiter les lieux à mon chef de la sécurité tandis que je m'entretiens avec votre intendant ?

 Le garde du corps – celui qui ne l'avait pas détaillé – s'approcha sans dire un mot.

 Antéa l'entraina pour une visite.