13. William

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En premier, il y avait eu l'odeur du brûlé. Comme si sa vie entière prenait feu. Puis le pare-brise cassé. Ses rayures qui s'éparpillaient telle une toile d'araignée dont l'impact se situait sur la droite. Et enfin ces larmes à l'envers. Des larmes de sang, qui dévalaient les joues de sa mère et montaient vers ses yeux. Le rétroviseur les refléta. De son père, il ne vit que la main. Le poignet cassé, tourné dans un angle anormal. Il y avait cette sensation d'appartenir à un autre monde. La radio qui grésillait, comme si cela résumait le bruit de l'univers. Les morceaux de verre, plantés dans sa chair et éparpillés sur le toit de voiture intérieur.

— William, murmura sa mère.

Il la regarda. Elle avait de beaux yeux bleus, de la couleur d'un ciel d'été.

— Maman.

Ce mot s'échappa seul de ses lèvres.

— J'ai mal.

— Tout va bien se passer mon chéri, le rassura-t-elle avec un sourire.

Les larmes rouges continuaient de descendre vers ses yeux. Elle ferma les paupières. Il n'y eut plus de ciel bleu. Seulement l'odeur de fumée. L'odeur de sang, de mort, de poigné cassé.

— Maman, réveille-toi.

Il ne pouvait pas bouger, bloqué par la ceinture. Ses larmes touchèrent ses cils. Elle ne rouvrit pas les yeux.

— Maman ! cria-t-il plus fort.

Puis il hurla. Il hurla parce qu'il avait mal. Il hurla parce qu'il n'aimait pas voir ces larmes rouges remplacer ce beau ciel bleu. Il hurla parce que dans le fond il savait : le bonheur n'existait plus pour lui. Pas alors que cette radio grésillait. Pas alors que sa mère poussait son dernier soupir. Il continua de hurler quand on le tira dehors. Les morceaux de verre s'incrustaient dans sa peau. Mais ce n'était pas ce qui faisait le plus mal.

Il hurla quand il vit Liam ouvrir ses bras, l'accueillir près de lui. "Pas lui", ce fut ce qu'il hurla. Pas lui, pas lui, pas lui.

— William ! Eh, réveille-toi !

Son corps se souleva dans un soubresaut. Ses poumons se remplirent d'air et il ouvrit brusquement les yeux. La lumière de la chambre l'éblouit. Il nageait dans des draps humides. Deux mains se posèrent sur ses joues, le ramenant à la réalité. Le visage d'Erwin lui apparut un peu flou, mais ce fut assez pour le reconnaître.

— C'est fini. T'es là maintenant. Avec nous.

Pourtant, il sentait encore l'odeur de brûlé. Alexandre entra dans son champ de vision. Ses cheveux roux étaient emmêlés et son regard empreint d'inquiétude. William se redressa. Son torse était recouvert de sueur froide. Il avait beau s'être réveillé, les images continuaient de défiler dans sa tête. Les larmes de sang. Le poigné cassé, la radio qui grésillait, les débris de verre. Tout ça. Jamais ils ne partiraient. Jamais ils ne laisseraient en paix.

— J'ai besoin d'air frais, fit-il tout à coup.

Il se leva sans grande difficulté, puis quand il passa la porte, Alexandre lui emboîta le pas. Il ouvrit la porte vitrée du balcon et se laissa glisser contre le mur.

— Passe-moi mes clopes s'il te plaît.

Alexandre lui ramena le paquet entier, en sortit une et la plaça lui-même entre ses lèvres. William remarqua que ses mains tremblaient violemment. Il approcha le briquet du papier ; celui-ci s'enflamma. Plusieurs voitures passèrent sur la route noire. La lumière des lampadaires s'élevait dans le ciel, éblouissant les étoiles. Au loin, on pouvait entendre un soupçon de musique. Alexandre s'assit à côté, assez proche pour qu'il ne se sente pas seul, assez loin pour qu'il n'étouffe pas. Erwin était resté à l'intérieur.

— Tu sais pourquoi on a eu cet accident ? lâcha-t-il brusquement.

Alexandre secoua la tête.

— Parce qu'un putain de lapin est passé devant nous. Ma mère ne voulait pas l'écraser. Alors elle a freiné. Trop brusquement. La voiture a tourné sur elle-même et a percuté un rocher sur le bord. Alors elle a tournoyé dans les airs et on s'est écrasés comme des merdes.

Il recracha sa fumée blanche.

— Tout ça à cause d'un lapin.

Alexandre rapprocha ses genoux de son torse et entoura ses bras autour.

— Camus disait que la vie était absurde.

— Il a raison.

— Avait.

— Il est mort ?

— Ouais.

Pauvre Camus. Pour une fois que quelqu'un disait quelque chose de censé. William déplia ses jambes et tint sa cigarette entre ses deux doigts. Ses mains ne tremblaient plus. Les images s'effritaient peu à peu, envolées dans la brise nocturne.

— J'avais dix ans quand c'est arrivé. Chloé en avait dix-sept.

— C'était la fille de ta mère ou de ton père ?

— Je ne t'ai jamais dit ?

Il secoua la tête.

— Tu ne parles jamais de ça, et je ne veux pas non plus être indiscret.

William ne put s'empêcher de sourire. Certains avaient la phobie des araignées, puis il y avait Alex avec sa peur de gêner.

— De mon père. Mais elle vivait la plupart du temps avec sa propre mère, à Paris. Elle venait pendant les vacances. Je l'adorais. J'aurais aimé que ce soit elle qui me prenne après la mort de mes parents. Je n'avais ni grand-parents, ni oncles, ni tantes, ni rien du tout. Seulement mon cousin de vingt-quatre ans, avec ses parents morts de cancer du poumons à cause de trop fumer.

— Liam ?

— Ouais, lui. J'ai été maudit pour avoir un cousin comme lui. Il y en a qui disent que c'est la malchance, moi je dis que c'est la vie qui s'est acharnée sur moi. Au début, il était tout gentil. Il vivait seul, et les services sociaux n'ont pas cherché à connaître ses antécédents. Il ne faisait pas grand chose à l'époque, juste vendre deux trois drogues par ci par là. C'était la famille, alors il m'ont balancé dans ses bras et se sont dit "un de moins".

Il secoua la cigarette pour faire tomber les cendres.

— J'avais onze ans quand j'ai vendu mon premier paquet. Je n'étais qu'un gamin. À douze ans, il m'a autorisé à en prendre. Moi j'étais jeune et con, j'étais fier d'avoir sniffé ma première cocaïne. Je ne me doutais pas que ce genre de truc signait ton arrêt de mort. Puis Chloé a débarqué, elle a vu dans quoi je vivais et elle m'a prise avec moi. Elle n'avait pas d'argent, pas de boulot, que dalle. Mais elle n'a pas voulu me laisser avec Liam. Sauf qu'on ne sort pas de ce monde là si facilement.

— Tu es arrivé dans notre groupe l'année d'après.

— Grâce à Emma, oui. J'étais encore plongé dans mes drogues. Liam m'avait donné un téléphone pour communiquer avec moi. Je passais par la fenêtre de ma chambre la nuit, il m'en filait quelques unes que je passais à d'autres, puis j'en gardais pour moi. Personne n'en savait rien, j'étais heureux. Détruit mais heureux. Puis une nuit, Chloé a entendu le bruit de ma fenêtre. Elle était là quand je suis revenu. Elle a vu ce qu'il y avait dans ma main.

— T'avais quel âge ?

— Quinze ans.

Il ne restait presque plus rien de la cigarette. Parler asséchait sa bouche, mais il se surprit à aimer ça. Sur ce balcon, avec Alexandre à ses côtés, il se sentait protégé. Il n'avait plus honte de ses bêtises, ça faisait parti de lui à présent. Et le rouquin écoutait tranquillement, sans jugement, sans réaction exagérée, puis sans hochement de tête comme les psy faisaient. Ce silence le réconfortait.

— Ça a été le début du cauchemar. Quand tu grandis avec cette merde, t'es convaincu que ça te fait du bien. Tu en as besoin pour vivre. C'est vital. Mais Chloé n'a rien voulu entendre. Elle ne comprenait pas que ça m'aidait plus que ces médicaments qu'on me donnait, ces maudits antidépresseurs inutiles. Elle a fermé ma fenêtre à clef, a tout fait pour que je ne puisse plus fuir. Elle venait me récupérer à la sortie de l'école, je crois même qu'elle a menacé Liam de le dénoncer à la police s'il ne me laissait pas tranquille. Alors j'ai pris ce que j'avais en main.

— Les antidépresseurs inutiles.

— Pas si inutiles quand c'est la dernière chose qu'il reste. Il n'y avait pas qu'eux. Les médecins étaient convaincus qu'avec trois bonnes boîtes de médicaments, ton traumatisme s'en allait. Sauf qu'il ne part pas, il s'enfonce profondément dans ton esprit et te fait croire que tu n'as plus rien. Puis la nuit, ils reviennent. Alors j'en prenais toutes les deux heures. Je ne cherchais pas à lire la notice avant, je voulais juste me remettre à oublier. Être de nouveau heureux comme je l'étais avec mes sachets en poudre. J'ai fait ça pendant deux mois.

— Tu dormais en cours et tu t'énervais pour rien, je me rappelle. Erwin pensait que t'étais insomniaque.

— J'ai rien dit parce que j'avais honte.

— Je sais.

William écrasa sa cigarette au sol.

— Chloé a remarqué qu'il en manquait beaucoup trop. Ce soir-là, elle s'est mise à pleurer. Elle ne s'est pas mise en colère, elle a juste insulté Liam, insulté tous ces "connards de médecins incompétents". Puis elle s'est retournée et elle a dit "qu'est-ce que je vais faire de toi". Elle aurait pu m'envoyer dans un centre de désintoxication. Ça l'aurait arrangée, même. Sa paye était petite et elle avait à peine de quoi pouvoir se payer à manger. Mais encore une fois, elle n'a pas voulu me laisser. Chloé c'est mon ange tombé du ciel.

Et avec ces mots, il fixa le ciel. Il ne voyait pas les étoiles, mais la lune était bien présente, à son quart ou son demi quart, il n'en savait rien.

— Elle m'a tellement saoulé à être derrière mon dos, à me surveiller sans arrêt que j'ai fini par arrêter. J'ai laissé les médicaments dans la pharmacie. J'ai coupé tous les contacts possibles avec Liam. Ça m'a pris du temps. J'étais fatigué de lutter, moralement et physiquement. Mais le prix, c'était son sourire. C'était moi qui lui avait pris son bonheur, alors je voulais le lui rendre. Et je le lui ai rendu. C'est la seule chose que j'ai bien fait dans ma vie.

— Tu as fait des tas de bonnes choses après ça.

— Peut-être. J'en sais rien. Puis après ça il y a eu Emma. J'ai alors compris ce que ça faisait de voir quelqu'un de proche se détruire. Et je me suis promis de ne plus jamais replonger. Ça me tuait de la voir s'affamer. J'ai rien dit et j'aurais dû.

— Tu sais pourquoi elle a fait ça ?

— Tu demandes ça parce que tu sais ou tu veux que je...

— Non, parce que je sais, fit-il en souriant un peu. Elle me l'a dit une fois.

— Alors ?

— Tu sais comment était Emma avant. Elle voulait être le centre du monde. Attirer tous les regards sur elle. Alors en arrêtant de manger, elle se disait que peut-être, elle deviendrait ce centre là. Une petite chose à plaindre. Quand elle s'est rendue compte que ça ne fonctionnait pas, c'était trop tard. Elle était rentrée dans le cercle vicieux du miroir et des calories.

Il regarda les voitures passer d'un air vide.

— C'est aussi con que le lapin.

— Sauf que le lapin, c'était un accident.

Emma avait toujours été la plus fragile. Il suffisait qu'on la pousse un peu pour qu'elle tombe au sol et se brise. Seuls les gens proches d'elles remarquaient à quel point elle était instable. Une minute elle souriait, planifiait de grands projets, puis la minute d'après, tout s'effondrait. Leila était un peu comme ça aussi. Les disputes éclataient souvent entre elles pour cette seule et unique raison, mais elles étaient les plus proches dans leur groupe. Et ça avait été Leila qui l'avait tirée par le haut après son passage à l'hôpital.

— Tu vois, c'est pour ça que je ne peux pas être avec Emma. On est tous les deux des désastres. Et ensemble, on ne ferait que se détruire à coup de massues. Parce qu'on ne connaît que ça, la destruction. On a chacun besoin d'un complément, par d'un semblable.

— Pourtant, tu l'as embrassée.

— Arrête avec ça.

Il n'avait jamais autant regretté un baiser.

— J'ai embrassé des tas de filles dans des soirées, reprit-il. Je ne connaissais même pas leur nom. Je n'ai jamais eu l'intention de sortir avec elle et elle le sait. Peut-être qu'elle cherche quelqu'un qui la comprenne, quelqu'un qui ait eu aussi mal qu'elle, j'en sais rien. Mais moi, je veux une personne qui m'aide à oublier où j'ai mal. J'ai compris le sens de la vie et j'ai envie de la partager avec cette personne qui a aussi envie de vivre. Vivre et pas faire semblant de vivre.

Il tourna la tête dans sa direction. Ses tâches de rousseur remplaçaient les étoiles invisibles. Alexandre regardait toujours face à lui, muet.

— J'ai été con, souffla-t-il. C'est vrai, je ne me souviens de pas grand chose, mais il y a truc qui m'est resté : c'est l'envie immédiate de t'embrasser. Le baiser s'est effacé de ma mémoire, mais pas ça.

—;Tu dis ça pour ne pas me blesser.

— Non Alex. J'ai arrêté de mentir au moment où j'ai laissé les médicaments dans la pharmacie. Je t'assure que c'est la vérité. Tout comme ce que j'ai dit après le concert. Tu te souviens n'est-ce pas ?

— Tu as dit que tu trouvais mon âme belle.

— Je le pense toujours.

Il leva sa main et alla chercher la sienne. Leurs doigts se touchèrent puis s'entortillèrent entre eux. Une chaleur naquit entre leurs paumes. Sous la nuit fraîche, William trouva la définition même de la beauté. Et c'était sous ses yeux. À ce moment-là, il fut persuadé de son choix. Ce n'était peut-être pas encore de l'amour pur et dur, l'amour qu'on voyait dans les romans à l'eau de rose, mais c'était un besoin de respirer. Une envie de goûter à la vie, à la jeunesse qui s'étalait devant lui. La nécessité de vivre en beauté. Alexandre était tout ça à la fois. Il était l'art et la pensée. Il était l'existence simple mais resplendissante.

Et William avait besoin de ça pour continuer à avancer.

— Ça m'a donné envie de revoir Chloé, avoua-t-il dans un soupir.

— Appelle-la. Demain on est samedi, peut-être qu'elle peut venir.

— Je le ferai.

— Fais-le maintenant.

— Il est presque minuit.

— Tu m'avais dit une fois qu'elle aimait dormir tard.

— C'est vrai.

Alexandre eut un petit sourire de victoire. Alors William ne résista pas à l'envie et déposa un baiser sur sa joue. Il embrassa le ciel et toutes ses étoiles disparues. Puis Alexandre se tourna au dernier moment et toucha ses lèvres. Ce fut simple, bref, mais il se sentit mieux que jamais.

Il se leva et retourna dans le salon. Lui qui avait pensé que Erwin était retourné se coucher, il eut la surprise de le voir assis sur une chaise de la cuisine, des papiers en main. La moitié était posée sur la table et il lisait dans un silence lourd

— Erwin ?

Il sursauta légèrement. William n'arriva pas à distinguer ses traits dans l'obscurité de la maison.

— Tu vas mieux ? s'enquit-il.

— Ouais. Beaucoup mieux. Tu fais quoi ?

— Rien, c'est rien.

— Ça te dérange si j'invite Chloé demain ?

— Non. Mais demain après-midi je ne suis pas là. Je dois aller à la gendarmerie pour l'amande et voir si je peux récupérer la voiture.

— Ok.

Il y eut un bref moment gênant, puis il tourna les talons et se réfugia dans sa chambre. Alexandre s'assit sur le bord de son lit tandis qu'il prenait son téléphone. Chloé fut surprise de son appel, mais il fut rassuré de savoir qu'elle s'apprêtait justement à se mettre au lit. Il lui proposa de venir le lendemain. Il l'entendait presque sourire dans le combiné. Elle accepta, précisant que Mathéo, son compagnon, viendrait aussi.

— J'ai quelque chose à t'annoncer et je voulais te le dire en personne.

— Bonne ou mauvaise nouvelle ?

— Bonne.

— Tu mets ma curiosité à rude épreuve.

Elle éclata de rire puis ils raccrochèrent après s'être souhaité bonne nuit. Alexandre le regardait avec un demi-sourire.

— Quoi ?

— Tu vois qu'elle ne dormait pas.

Il reposa le téléphone sur la table de nuit.

— Je ne sais pas si je vais pouvoir fermer les yeux à nouveau.

— Tu veux que je sois avec toi ?

La question le surprit mais réchauffa instantanément sa poitrine.

— Ok, mais avant il faut changer les draps, à part si tu veux te rafraîchir dans ma sueur.

Il réussit à se rendormir et il releva ça d'un miracle. Peut-être que c'était du fait d'avoir parlé de lui juste avant. Peut-être que c'était l'effet rire-de-Chloé, ou peut-être que c'était juste la présence d'Alexandre qui le rassurait. Ils dormirent chacun de leur côté mais cette distance ne les éloigna pas. Au contraire. Il se sentit plus proche de lui que jamais.

Le lendemain, Madden sonna à la porte vers onze heures. William s'en montra bien surpris, surtout si on prenait en compte le fait qu'elle évitait soigneusement la présence d'Erwin depuis des mois. Mais ce jour-là, elle salua celui-ci comme s'ils étaient de bonnes vieilles connaissances qui se retrouvaient. Alexandre dissimula lui aussi son étonnement mais le sourire malicieux d'Erwin leur fit comprendre que ce changement était récent.

— Tu veux une bière ? proposa-t-il à Madden.

Elle accepta et au final, ils en prirent tous une. Placés entre la cuisine et le balcon, le soleil s'infiltrait à travers la baie vitrée et caressait leur peau.

— Tu as tout lu ? entendit-il Madden demander.

— Lu quoi ? fit-il sans pouvoir retenir sa curiosité.

— Occupe toi de tes affaires toi.

Erwin étouffa un rire en buvant une gorgée.

— Eh les gars, apostropha-t-elle sans aucune transition. Hier je suis allée dans le bar de René, vous savez celui de l'angle de la plage.

— Qu'est-ce que tu es allée faire là-bas ? la coupa Erwin.

— D'après toi, qu'est-ce qu'on fait dans un bar ? Bon, et j'ai eu une désagréable surprise.

Elle sortit son téléphone de sa poche et le leur tendit. L'encadrement de la photo était à refaire, mais on y voyait clairement le principal : cette saleté de Simon avec deux filles à ses côtés. Ses mains étaient posées sur leur hanche et son sourire laissait entendre qu'elles n'étaient pas de simples amies.

William crut être en train d'exploser.

— Quand je vous disais que ce mec était un connard ! s'exclama-t-il.

— Surtout que techniquement, il est en train de la tromper, ajouta Madden.

— C'est-à-dire ?

Lui, il était resté avec le dîner et la grande capacité de Simon à ne jamais lâcher sa prise. Il l'avait su présent à la soirée du complexe mais doutait qu'il se soit passé quelque chose.

— Ils sortent ensemble, l'informa Alexandre.

Il faillit lâcher sa bière.

— Depuis quand ?

— Depuis qu'elle t'a balancé un verre d'eau glacé dans mon lit.

Les yeux d'Erwin et de Madden s'écarquillèrent. Mais William ne se sentait pas de leur expliquer maintenant. Il était en ébullition. Simon méritait vraiment un poing dans son nez.

— Tu as envoyé la photo à Emma ?

— Oui. Elle est en droit de savoir.

Simon avait athlétisme le samedi matin. Il pourrait arriver à temps pour lui faire comprendre de ne jamais plus s'approcher d'Emma. Et que s'il osait lui faire du mal encore une fois, il était un homme mort.

— Alex, je peux te prendre ta voiture ?

— Pourquoi faire ?

— S'il te plaît.

Avec un regard plein d'avertissement, il lui donna les clefs et William sortit de l'appartement, délaissant sa bière sur le comptoir. Il arriva à Memphis en moins de dix minutes. Il était inutile de rentrer sur les pistes pour assister au travail des athlètes. Les grillages permettaient aux élèves de regarder leurs amis courir tout en papotant entre eux. William décida d'inspecter d'abord le lieu pour vérifier que Simon était bien là. Debout près du buisson, il l'aperçut enfin, se remettant de sa course avec un sourire qu'il eut envie de lui arracher. Léandre lui tapa dans la main puis lui donna une serviette. Au moment où William voulut rentrer pour lui faire comprendre la vie une dernière fois, Emma déboula de la porte du gymnase, une expression de fureur perçant ses traits.

Visiblement, elle avait été plus réactive que lui.

Elle se jeta sur lui et le poussa, si fort qu'il en tomba presque. Il n'arrivait pas à distinguer ses paroles par la distance, mais sa voix porta haut dans le ciel. Simon tenta de la calmer mais il ne fit qu'empirer les choses. Autour, les élèves se retournaient. Emma cria, l'insulta certainement tandis qu'il essayait de rétablir le calme. L'entraîneur hésitait à s'interposer. Puis il y eut un moment où elle s'emporta trop et il la gifla.

William sentit tous les muscles de son corps se tendre.

Le silence se posa telle une pierre sur la piste. Emma regardait le sol, choquée. Simon avait la main encore levée, menaçante. Personne ne parla. Personne ne s'interposa non plus. Tout le monde fut trop lâche pour oser dire quelque chose.

Finalement, Emma recula, peu à peu, comme si son instinct de survie lui hurlait de partir mais que son esprit l'attachait encore au sol. Simon voulut la rattraper mais elle gagna à grands pas la porte du gymnase. Ils disparurent tous les deux dedans. Léandre les suivirent en toute discrétion.

Peut-être bien qu'après ça, Emma se rendrait compte de l'ordure qu'il était.

Elle apparut seulement deux minutes plus tard sur le parking de Memphis. De sa position, William pouvait en voir une partie. Simon appela son nom en criant puis elle se retourna et lui fit un doigt. Il ne put s'empêcher de sourire. Il voyait enfin la vraie Emma se révéler.

Quand celle-ci démarra au quart de tour avec autant de bruit qu'une moto cross, il croisa le regard de Simon. Il y vit tout le dédain possible. Le dégoût aussi. D'Emma, de lui-même, de la vie, il n'en sut trop rien. Il se serait approché pour le battre si Léandre ne l'avait pas tiré par le bras vers l'intérieur. Le fait que l'entraîneur l'attende les bras croisés devant l'entrée du gymnase le poussa à se laisser faire.

Mais William n'oublierait jamais la haine qui avait tiré ses traits à cet instant précis.

Son téléphone vibra. C'était un message d'Alexandre l'informant que Chloé était déjà arrivée. William prit le chemin vers sa voiture, passant à côté d'un groupe d'étudiants en train de fumer.

— Moi je n'en doute pas, lança un d'eux. Elle aurait bien été capable.

— Raven Hist ? Tuer Leila ? Vous déconnez ou quoi ?

— Il y a des filles qui deviennent complètement barges pour des mecs.

Mais il ne s'y attarda pas parce que tout ce dont à quoi il pensait, c'était retrouver Chloé.

Quand il passa les portes de l'appartement, il reconnut instantanément la voix. Chloé se jeta autour de son cou, restant collée à lui pendant plusieurs longues secondes. La tenir dans ses bras provoqua en lui un sentiment de paix. Elle était la personne la plus importante de sa vie. Et elle était là. Contre lui. Il fut presque déçu quand elle se détacha.

— Comment va mon petit frère ?

Elle passa une mèche de cheveux châtain derrière son oreille. Son sourire aurait pu illuminer la terre entière.

— Bien, dit-il sincèrement.

Après avoir dit bonjour à Mathéo, il prit sa main et la conduisit jusque dans la cuisine où Alexandre avait commencé à cuisiner. L'odeur d'huile d'olive embaumait la pièce. Ils furent seuls. Chloé s'assit sur une chaise tandis qu'il s'appuyait contre la table, les bras croisés sur sa poitrine.

— Alors, qu'est-ce que tu avais à m'annoncer ?

— Je suis enceinte.

Il fixa son ventre un moment. Là-dedans, une vie surgissait. Cette vie deviendrait son neveu ou sa nièce. Et lui serait tonton. Cette pensée lui arracha un sourire.

— C'est merveilleux.

Chloé avait été plus qu'une sœur pour lui. Elle avait tout donné pour le protéger, et il ne doutait pas un seul instant qu'elle ferait de même pour son enfant. Et puis, il aimait bien Mathéo.

— J'ai parlé à Alexandre avant que tu n'arrives, avoua-t-elle. Il t'a invité à son concert apparemment.

— Oui.

Son sourcil se releva de suspicion.

— Depuis quand tu vas à des concerts de piano toi ?

Il fut obligé de rire.

— Il joue vraiment bien.

— Je n'en doute pas.

Elle continuait de le regarder avec insistance, comme si elle savait qu'il y avait plus qu'un "il joue bien". William garda le silence pendant un certain temps, mais il fut obligé de cracher le morceau.

— Il y aura peut-être quelque chose entre nous un jour.

— Un jour ?

Il haussa mollement les épaules.

— J'ai fait des conneries et maintenant je suis perdu.

— Explique.

— J'ai envie de protéger Emma. Vraiment. Je ne veux qu'elle tombe entre de mauvaises mains et qu'elle ne puisse plus se relever. Je... je prenais ça pour de l'amitié, tu vois ? Je la connais mieux que je ne connais les autres. Elle a été la première à entrer dans ma vie. Et je sais qu'elle attend quelque chose de moi. Je crois même que si elle s'est mise avec cet idiot de Simon c'était pour combler le vide de mon refus. J'ai l'impression que... que tout ce qui lui arrive de mal est de ma faute.

— Alors tu veux supprimer tout ce qui peut lui faire du mal, comme ça tu n'auras pas à te blâmer si les choses tournent dans le mauvais sens, compléta-t-elle.

Elle poussa un soupir.

— C'est sa vie William. Les gens parfois ont juste besoin de se prendre un mur en pleine face pour comprendre le sens de leur existence. Et si tu leur évites ça, ils continueront à s'arracher la peau en attendant de se voir saigner. Ils continueront et y prendront goût.

— Qu'est-ce que je dois faire alors ?

— Rien.

C'était facile à dire mais ça ne changeait rien au fait qu'il se sentait coupable de son malheur.

— Sois là pour elle quand elle en a besoin, reprit Chloé. Tiens lui la main. Mais n'intervient pas dans ses décisions. Sinon, elle n'apprendra jamais de ses erreurs.

— J'ai pris ça pour de l'amour un moment. Puis j'ai réalisé que vouloir protéger quelqu'un n'était pas l'aimer. L'aimer dans le sens de tomber amoureux.

— Alors c'est quoi tomber amoureux, d'après toi ?

— C'est toucher du doigt le soleil, pas les étoiles.

— Pourquoi pas les étoiles ?

— Parce qu'elles vivent dans l'obscurité.

Chloé esquissa un faible sourire.

— C'est bien. Tu apprends vite.

Pour la première fois, il songea que finalement, la souffrance lui avait enseigné quelque chose. Qu'il ne repartirait pas les mains vides de tout le sang qu'il avait vu couler sur lui. Et ça lui fit du bien de voir son passé non pas d'un oeil noir, mais depuis une position nouvelle. Il se sentait neuf. Réparé.

Depuis qu'il avait pris la main d'Alexandre sur ce balcon, tout avait changé.

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