III.
En passant devant l’accueil, je dis bonjour à la secrétaire derrière le comptoir, qui lève à peine les yeux. Défoncé au dernier degré je reste plus poli que cette connasse. Je m’avance dans le couloir qui mène à mon bureau et croise là mon manager qui sort du sien. Il me toise des pieds à la tête, un air dégoûté sur le visage. On se sert la main bien qu'on s’en passerait tous deux et je continue alors que je l’entend, dans un souffle, murmurer “clochard”. Ça me fait sourire, c'est bien certain que je ne ressemble pas à ce qu'il aurait voulu, c'est a dire un bon suceur en costume comme le sont tous les autres. C'est lui-même qui m’a parlé de non-sens, mais j’ai vite appris qu'on ne visait pas du tout la même direction. Qu'est ce qu'on peut bien s’en foutre d'à quoi je ressemble, je passe ma journée assis à mon bureau à taper des lignes de code. Je pourrais bien m'habiller pire que je ne le suis, arriver encore plus tard, ça n’aurait aucune espèce d’incidence sur mon travail.
Enfin bref… Je fais le tour de l'open-space, qui n’en a que le nom, il s’agit en fait d’un bureau de genre 30 mètres carré, et encore, donc les seules fenêtres donnent sur des couloirs et le bureau du connard d’avant, donc rien d’ouvert, ni de spacieux. On est 8 dans cette cage toute blanche, divisés en 3 pôles. D’abord, les gestionnaires de données. Thibault, le jeune cadre dynamique, vegan amateur de vélo, toujours bien propre et jovial. Armand, un nerd trop mince à lunette, avec sa poignée de main toute molle, et Cyril, le doyen et responsable des deux premiers, un clown homosexuel, très sympathique en vrai ! Dans le coin opposé, le pôle réseaux avec un autre mec tout propre et jovial, il me sourit toujours quand j’arrive comme ça à presque 10 heures. J’avoue que je ne sais pas s’il se fout de ma gueule, je préfère croire que c'est un sourire complice. Son manager à lui, c'est un type spécial, en costume et chemise noir, le visage aussi sombre. J’arrive pas à me décider s’il est stylé ou s’il me fait peur, un peu des deux sûrement, presque sûr qu'il frappe sa femme. Le troisième et dernier pôle, le mien, est celui du développement, le plus important donc. Nous y sommes trois, un autre dev, Morgan, un crack pour le coup, je me demande même pourquoi il reste ici et mon manager, un type grave gentil, une petite quarantaine, pas moche en vrai, mais surtout très compréhensif, je pense que c'est grâce à lui que je suis encore là. Lui est nul en dev, mais il connaît un minimum, c'est lui qui négocie les délais et tout avec le manager qui n’y connait rien, lui. Il gère aussi ma relation client et mes cahiers des charges, pour que je n’ai qu'à me concentrer sur le code.
Notre boulot à tous est de gérer l’informatique presque entière d'une dizaine d'entreprises produisant et commercialisant des huiles de moteur, je n’y connais rien. Toutes sont en concurrence, je crois, et pourtant on les gère toutes d’ici, allez comprendre. Moi et mon pôle, on travaille sur le développement du progiciel, allant de la gestion des stocks à celle de l’import/export, en passant par les recettes d’huiles, les bons de commandes, les différents sites internet de vente.
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