Germination
Devant ma fenêtre à Noumea, il y a un baobab. Cherchez l’erreur. Et ce n’est pas un petit baobab de salon. C’est un seigneur, de 7 mètres de circonférence. L’arrivée des Européens s’est faite dans le milieu du XIXe siècle. Il n’est donc pas bien vieux. Mais déjà si grand, le petit ! Un marchand ou un militaire l’aura ramené dans ses malles, et planté dans son jardin. Je connais huit baobabs en Nouvelle-Calédonie, tous des Adansonia Digitata, l’espèce africaine. Il se plait bien ici. Il fleurit, donne des fruits. Des graines. Mais les graines ne germent pas.
Entre ma maison et celle du voisin, un palmier. Une triangulation rapide donne une taille de vingt mètres. L’avancée du toit a été découpée, et le tronc passe au travers. Quand on aime, on partage. Cet arbre du bassin Caraïbe, le Roystonea Regia, est aujourd’hui partout. Il faut dire qu’il se reproduit. Même sur une terrasse, pour peu que les feuilles apportées par le vent restent en tas, et humide assez longtemps, on verra les petites dattes, tombées à terre, sortir feuilles et plantules.
Pourquoi le Roystonea Regia germe-t-il, contrairement à l’Adansonia Digitata, qui lui ne germe pas ?
Une fois arrivées au sol, les choses sérieuses commencent. Fini le thrill du voyage, la torpeur des croisières, le Road Movie cheveux au vent. Les graines doivent affronter la dure réalité terrestre, et, parfois, l’amère désillusion de l’exil.
Une grotte du désert de Judée. Dans une jarre, on a trouvé des dattes. Une sous-espèce du dattier, Phoenix dactylifera, aujourd’hui disparue. Plus de 2000 ans d’attente. Et, sur la centaine de noyaux, l’un d’entre-eux a germé, poussé sa radicelle, donné sa première feuille. Son programme génétique est resté intact, et des conditions propices ont réveillé son système de lecture, lui qui était façonné pour le désert et la longue attente, patiente, de la pluie. Phoenix n’est-il pas, après tout, le nom de l’oiseau immortel qui renait inlassablement de ses cendres ?
Patience est mère de Vertu, dit-on. Cela est vrai, ô combien, pour les graines. Germer trop tôt, germer mal à propos, c’est un risque. Imaginez. Des millions d’années de sélection génétique ont fabriqué une protection de première classe, un système robuste, une coque antichoc, antifongique, imputrescible, résistante à la chaleur, et j’en passe. Pourquoi se mettre en danger ? D’autant qu’à l’intérieur, le matériel est protégé lui aussi, dans un milieu stable. Pour des années. Une graine, donc, ne germe que si elle sait, avec une certitude élevée, que les conditions du moment sont optimum, et que de surcroit, ces conditions vont pouvoir se maintenir pendant un temps suffisamment long.
L’art divinatoire, cantonné entre la Météo du week-end et le programme télévision de la soirée, est une chose oubliée en Occident. Les horoscopes et autres devins ne font pas très sérieux. Cicéron rapporte dans son De divinatione que Caton l’Ancien s’étonnait qu’un haruspice n’éclatât pas de rire, lorsqu’il en croisait un autre au forum. Ils sont, au fond, si peu dupes de leurs artifices, qu’eux-même ne peuvent réfreiner un petit air de connivence. Emettons, cependant, un bémol. Lire les signes, deviner, voilà ce que nous faisons tous les jours avec la plus parfaite bonne conscience. Les prémisses du mauvais temps, le soleil qui va se lever, l’expression de nos amis, conjoints, celle des enfants ou des inconnus, sont des interprétations.
Comme dans la mantique romaine, ou chinoise, et ni plus ni moins que dans la vie courante, l’art botanique de la découverte des choses cachées passe par la mise en jeu des éléments primordiaux. L’Eau, le Feu, l’Air, la Terre, le Vivant, que les Chinois appellent Bois.
Examinons.
L’Eau. Tout le monde le sait. Pour faire pousser, il faut arroser. L’eau va pénétrer au travers de la coque, et altérer la chimie interne de la graine, transformant les hormones qui inhibaient la germination et forçaient la machine cellulaire au repos. Le germe, dans la graine, déjà différencié en parties fonctionnelles, sort de sa dormance.
Le Feu. Sans chaleur, sans lumière, la machinerie enzymatique ne s’active pas. Le froid engourdit. La chaleur vivifie. Un coup de chaud particulièrement marqué, la fin d’une période de gel, une lumière accrue, sont les signes avant-coureurs des conditions futures qui vont se mettre en place.
L’Air. Les opérations biochimiques sont lancées. Des échanges, excrétion d’oxygène et accrétion de carbone, ont lieu. Un contact avec l’atmosphère est nécessaire. L’eau, certes il en faut, mais pas trop. Il ne faut pas être noyé. Il faut pouvoir respirer. Le mieux est donc une ambiance humide, poreuse et aérée.
La Terre. Quel meilleur support que la terre ? Quel plus mauvais réceptacle pourtant, pour les graines. A l’état brut, elle n’est que roche, cailloux, poussière aride. Le cocooning de luxe, la nurserie Jet Set, c’est une culture qui s’acquiert au long court, par ajout quotidien d’une matière organique n’ayant que trop tendance à minéraliser.
Bois. Vivante Alchimie. Science d’avant la science, tatonnement entre observations exactes et spéculations hasardeuses. N’en portons pas le grief au compte des graines, qui ne pensent pas, et n’ont pas usage de raison. L’art germinatoire est un art, archaïque, de la perception.
Eau
Feu
Air
Terre
Bois
Mélange mantique, combinaison de pouvoirs latents, révélateur de graines en dormance. Dans le monde des shorts de sport – taille 8 ans – et de tout ce qui participe à l‘aléa du grain jeté, ce Graal porte un nom : Humus.
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