Mort
Fleurs et fruits portent la vie, en un language, symbolique, ambiguë, d’amour et de mort. La beauté n’est qu’instant. Beauté et leurre de la beauté, qui ne dit pas clairement son objet. Fanée à peine fécondée, la fleur donnera un fruit, et tous deux suivront, par des chemins semblables, un destin flétri et blêt. Mythique Amborella, qu’as-tu donc fait ? En inventant la fleur, tu as paré la reproduction sexuée des charmes du sex-appeal, mais, que de déceptions. Cette montée est une chute. La mort. Ou la vie ?
Il est temps de parler de l’autre partie du cycle, celle qui descend.
Au bord d’une falaise, la rivière dévale en cascades, arrivant de haut, sautant parmi les rochers. Partout, et aussi en face de l’autre côté, des arbres. Patiemment, en opposition totale avec l’univers brut et minéral qui les entoure, les arbres font leur travail. Ils poussent vers le bas leurs racines, cherchant l’eau, et cherchent vers le haut la lumière. Le travail de la nature ? Ou un travail anti-naturel ? Car cet effort n’est pas normal, au sens physique. La normalité au sens physique, c’est la gravité, la loi de l’univers, le poids, les masses, la force. La rivière qui descend en tumulte, selon une loi d’airain. L’arbre, organisé, patient, lutte. Repousse le ciel et la terre pour créer, faire exister dans l’entre-deux, un espace. Espace clair, frais, oxygéné et lumineux, entre humus et canopée, dont nous les humains sommes redevables.
Etre vivant est une chose rare. Une rébellion de l’Intelligence contre l’ordre immuable des Sphères Célestes et l’automaticité des lois de l’univers.
Un homme est allongé dans l’herbe, sur le dos. Le ciel est bleu. Nous sommes en Provence. Il tient une palette de couleurs d’une main, un pinceau de l’autre. Il peint. La toile est installée de telle façon que la surface croise son regard, lorsqu’il se détourne d’une branche, entre lui et le ciel. Cet homme, c’est Van Gogh. Son tableau, une Branche de Cerisier en Fleurs, sur fond bleu, d’une beauté troublante. Le moment. Celui d’une naissance. Celle du fils de Théo, son frère. La main du Créateur, aérienne et active entre ciel et terre, a oeuvré.
Pourquoi dès lors ce sentiment de chute, d’aspiration en arrière-fond ?
Van Gogh est coutumier du fait. Ses ciels, de nuit comme de jour, sont présents jusqu’au malaise. Et rien ne vient durablement s’interposer là contre, ni église à Auvers sur Oise, ni lumières dans les cafés, ni repos, ni étoiles, ni amour. Ou fleurs. Pourquoi, comment comprendre ?
Entrons dans le vertige. S’il est un Homme, il le faut.
Comme Van Gogh, suivons la lumière, suivons là jusqu’au vertige, jusqu’à la plus extrème vitesse, celle du photon, un photon de fréquence 6,62 x 10-19 Hz. Un photon bleu. Il nous mène à l’abolition du temps. A l’Eternité. La vitesse de la lumière correspond au maximum de l’univers, là où le temps s’arrête, entre le Rien et le Quelque Chose. Nous, qui sommes là avec nos tableaux, nos peintures, pinceaux, branches de cerisier, nous sommes dans le Quelque Chose, denses, révélés. Dans le Mouvement. Le pinceau va et vient. Il va de la palette au tableau, touche par touche. La branche s’agite, au gré du vent. L’oeil scrute, tourne, revient. Une paupière s’abaisse, se relève. La vie. Mais Van Gogh lui, s’arrête. Il laisse son pinceau en suspens, et son oeil fixe un point, sur la toile. Il le regarde, intensément. Comme Zénon suivant sa flèche, il en cherche le minimum, de plus en plus petit, longtemps, très longtemps. Tout à coup, il relève un sourcil. Cette recherche n’a pas de sens. Le temps, le mouvement, l’espace, s’arrêtent là et se figent, au bout de ce chemin qui continue, continue, continue… vers le Rien infini ? Il vient de recevoir une bonne nouvelle. Son frère Théo, a eu un fils. Il peint pour lui. Alors, son pinceau reprend sa course, et tire du temps qui passe une touche de mauve. Pour qu’au lieu du Rien infini, il y ait Quelque Chose, une touche de peinture, le Coffre Magique de l’univers. Matière, Cella du Dieu Caché, deus absconditus.
La même hormone végétale, l’abscissine, provoque la dormance pour la graine et la chute pour les feuilles. Abscissine assassine, pourvoyeuse de l’arrêt du développement pour le germe, et de la mort des feuilles par séparation de la branche, phénomène nommé abscission. Etre allongé dans l’herbe, homme ou feuille sous le bleu du ciel, comme Van Gogh, comme le Prince André après la bataille de la Moscova, c’est à la fois mourir et rêver dans un entre-deux qui nous concerne tous - Ambivalence essentielle du sommeil et de la mort, par arrêt du mouvement.
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