En attendant
Le linge est propre ! Séché, plié, rangé. Une bonne chose de faite. Tout à l’heure, en sortant de l’école, Joshua a voulu « faire une aventure ». Bonne idée, me suis-je dit. Cela me changera de mon carnet de note et de mes crayons.
Une aventure, pour lui comme pour tout le monde je pense, c’est abandonner la routine, faire quelque chose de nouveau, d’inattendu. Le parc du Receiving est particulièrement beau à cette heure, sous la lumière, et ce fut son choix. Mais pas pour la beauté du lieu. Pourtant, sur la partie haute, on voit les koghis et le Mont Dore, en habits du soir, leurs sommets disparaissant sous une couche de nuages éclairés de couleurs vives… Il avait bien une petite idée, Joshua. Il voulait voir des grenouilles. Il n’y avait pas de grenouilles en Calédonie, avant l’arrivée des humains, au temps du Sylviornis et des crocodiles terrestres - et bien longtemps encore après leur arrivée. Ce sont les américains qui les ont apportées, par mégarde, venues d’Australie pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dans une mare asséchée dix mois sur douze, en plein milieu d’un terrain vague devenu Parc depuis quelques années, elles ont trouvé un milieu qui leur convient. Que font-elles les dix autres mois, lorsque la mare est à sec ? La dernière fois, il y avait des grenouilles. Nous n’avons vu cette fois que de gros tétards bruns et vifs.
« Si nous allions aux jeux ? » En fait de jeux, un parcours d’escalade nous attendait. Pour 500 Fcfp, il nous était encore possible, avant la fermeture, de faire un tour du circuit, ou trois essais. Contrairement à ce que je pensais, Joshua se laissa tenter. Il mit son baudrier avec sérieux, puis, monta les escaliers jusqu’à la plateforme, et toujours avec application, inséra le mousqueton dans le rail de sécurité, puis avança pas à pas sur la corde, les hamacs, les ponts suspendus. Puis au milieu du parcours, il s’est arrêté. Il est revenu en arrière, toujours avec application. Nous avons discuté un peu avec le gars du parcours. « Pour escalader, il faut sentir les choses ». Il ne faut pas insister, si on ne les sent pas.
C’est ainsi. Nous n’avons pas le choix. Nous sommes des êtres tactiles. Nos terminaisons sensibles poussent plus loin que nos terminaisons mentales et dans la balance des situations à risque, le cerveau joue les coupe-circuits. Il pare au plus pressé. On ne philosophe point sur une planche au dessus du vide, et là-même où la raison nous égare, le sentiment doux et tiède trace encore le chemin, comme le ferait une racine assurée de trouver la source, nous découvrant toute la gravité du bonheur.
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