- Je ne sais pas si je suis réellement tombée amoureuse un jour. Il y a des personnes qui m’ont plu, avec qui j’aurais peut-être pu avoir plus que de l’amitié, mais de là à parler d’amour…

C’était étrange de répondre à cette question face à la personne qui occupait une partie de votre vie. Surtout, si cette personne partageait vos draps de façon plus régulière. Nous n’avions pas vraiment reparlé de l’expérience ensemble. Les seuls moments où on l’abordait étaient dans cette pièce, à peine meublée, se trouvant à la cinquième porte à gauche. Mais lorsque nous étions en dehors de cet endroit, c’était comme si l’expérience n’existait plus. Je le regardai un instant, essayant de jauger sa réaction. Il semblait si fermé lorsqu’il était en face de moi, et, en même temps, j’arrivais à distinguer lorsque la répondre que je lui donnais ne lui convenait pas totalement. C’était sûrement pour cela qu’il avait choisi de nous interroger depuis une autre salle, à travers une voix robotique et un écran : pour ne pas laisser entrevoir les expressions de son visage. Et comme il avait pu me l’expliquer : laisser à chacun la chance de s’exprimer comme il l’entendait, sans avoir peur d’être jugé.

- Tu aurais sûrement préféré que je te parle de ce fameux meilleur ami qui aurait pu être bien plus que cela, mais qui a fini par me laisser tomber ?

Je compris à sa tête qui se redressait et ses yeux qui se posaient sur moi, que j’avais titillé sa curiosité.

- J’étais une ado sage, qui ne sortait pas, qui ne faisait pas de crises, qui avait tout un groupe d’amis… Bref, j’étais ordinaire. Et je le suis encore aujourd’hui. Mais là n’est pas le propos. Puis, il est arrivé, on s’est rendu compte qu’on se connaissait depuis très longtemps, mais qu’on avait jamais lié de liens. J’ai commencé à faire des sorties avec lui, rien de bien extraordinaire, juste des sorties que des ados peuvent faire. Je dois avouer que j’ai ressenti des choses que je ne connaissais pas, que je n’arrivais pas à définir. Puis, il est tombé amoureux. Et petit à petit, il s’est éloigné. Et c’est normal. On est tous les deux partis dans des chemins différents. Aujourd’hui, je me suis rendue compte que je n’étais pas amoureuse de lui. Notre lien était fraternel. C’était le frère que je n’avais jamais eu et c’est ça qui m’a fait si mal quand il est parti. Et c’est pour ça que maintenant, je suis capable de dire que je n’ai, sans doute, jamais été réellement amoureuse. Et je le vis très bien. C’est peut-être juste que je n’ai pas encore trouvé la bonne personne.

Je remarquai que Luke était partagé entre deux émotions que je n’arrivais pas totalement à distinguer. L’une d’elles étaient davantage de la déception, peut-être parce qu’il attendait quelque chose de plus croustillant à noter, ou peut-être parce qu’il aurait espérer que je dise que j’étais tombée amoureuse de lui. Mais on ne fait que coucher ensemble, on ne fait rien d’autre. Et quand j’ai dit qu’il me manquait, c’était sa compagnie qui me manquait. Oui, j’ai l’impression d’être un monstre en pensant comme ça, surtout que je commence réellement à m’attacher à lui. D’un autre côté, il semblait satisfait que je lui réponde aussi honnêtement.

Je finis par me lever et faire les quelques pas qui me séparaient de lui. Il s’était installé sur la chaise inconfortable, peut-être parce que le sujet était plus délicat, ou qu’il préférait tout simplement garder une certaine distance. Après tout, j’étais toujours un de ses sujets d’expérience. Je me penchai doucement et embrassai ses lèvres.

- A demain, dis-je, plus sur le ton d’une question que d’une affirmation, comme si je questionnais le fait qu’il viendrait aussi me retrouver ce soir.

- A ce soir, répondit-il en redemandant mes lèvres.