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27. Le service militaire. Illizi, le 3 octobre 2023.

Les jeunes de mon âge ressentent une certaine crainte à l'idée de passer le service militaire. Le métier de soldat comporte beaucoup de risques. Mais, tout de même, au fond, ils sont heureux de recevoir leur convocation d'incorporation. C'est une occasion en or pour s'éloigner de la monotonie des villages et se libérer quelques temps des contraintes familiales instaurées au sein de la société. Une opportunité pour partir à l'aventure, découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles cultures. C'est un peu comme l'émigration de nos aînés en France. L'exil est dur, certes, mais il a des avantages indéniables.

Les regards tendres et inquiets des mères se mêlaient aux gestes d'encouragement des pères. Les adieux étaient empreints d'une vive émotion, de l'amertume et de la fierté mêlées.

Lorsque les amis se rassemblaient, les conversations se teintaient d'anxiété et d'anticipation. Les anciens partageaient des récits d'aventures et de découvertes, nourrissant l'imagination de ceux qui allaient partir.

Les conditions de vie dans les casernes sont rudes, le régime militaire est des plus austères. Mais c'est une bonne expérience pour apprendre à surmonter les épreuves et devenir un "homme".

Le départ vers l'inconnu créait un élan d'excitation et d'appréhension, comme un voyage vers des terres lointaines et mystérieuses. Pourtant, au fond de chaque jeune, il y avait une lueur d'optimisme, une chance de devenir plus fort, de surmonter les épreuves et de se forger une nouvelle identité.

Le jour de la convocation était marqué par un cocktail d'émotions contradictoires. Les jeunes se rassemblaient avec des sourires nerveux, se lançant des regards complices. Leur avenir était incertain, mais ils étaient unis dans cette expérience unique. Les parents, malgré leur inquiétude, savaient que c'était un rite de passage inévitable. C'était le début d'une aventure qui allait les transformer en hommes, une aventure imprégnée d'émotions complexes, de doutes et d'espoirs.

* * *

Le jour où j'ai reçu ma convocation, mes parents étaient à la fois surpris et hautement contrariés. La nouvelle avait frappé comme un éclair dans notre maison, suscitant une palette d'émotions complexes. Mon père, habituellement stoïque, avait du mal à cacher sa colère. Son visage devenu rouge et sa voix tremblante exprimaient une profonde frustration. « Comment ont-ils pu nous faire ça ? », s'exclama-t-il, tandis que ma mère, à ses côtés, était en larmes chaudes. Son cœur semblait vouloir exploser de peine et de courroux. Malgré les interdits et les contraintes sociales, elle ne pouvait s'empêcher de me serrer dans ses bras comme si elle craignait de me perdre.

Le jour du départ, mes parents étaient hors d'eux. Mon père devint muet, la figure décolorée et les gestes agressifs. Ma mère versa des torrents de larmes. Sa poitrine semblait sur le point d'éclater de chagrin et d'amertume.

Un mélange de sentiments étranges envahissait la pièce. Les murmures étouffés de mes proches, leurs gestes agressifs et leur silence inquiétant n'étaient que la face apparente de l'impact de cette modique convocation. Je me suis retrouvé au milieu de leurs émotions, tentant de comprendre leur réaction.

Aurait-elle peur de perdre son fils ? Il est vrai qu'un jeune homme de mon âge peut mourir en passant son service militaire. Par le passé, des militaires avaient ramené un cercueil qu'ils enterrèrent avec grandes pompes au cimetière du village. On disait que notre concitoyen mourait en chahid. Il avait donné son âme pour que vive son pays. Notre patrie était donc en conflit caché au peuple, avec un ennemi mystérieux. Les gens n'avaient rien compris. La France serait-elle de retour ?

Mes parents n'avaient pas peur de me perdre, du moins mon géniteur. Ils se parlaient et prononçaient des bouts de phrases, dont je ne comprenais pas le sens. J'ai ressenti qu'il y avait quelque chose de mystérieux qui les préoccupait. Il y avait un secret qu'ils me cachaient. Mais quel était ce truc qui les tourmentait et qu'ils avaient gardé confidenciel ?

Un poids intérieur semblait peser sur leurs épaules. Les mots qu'ils se chuchotaient mutuellement constituaient des énigmes que je ne parvenais pas à déchiffrer. Il y avait un secret qui me glissait entre les doigts, une vérité cachée que je devais découvrir.

Et c'est ainsi que j'ai compris que cette convocation n'était que le début d'une série de révélations qui allaient bouleverser ma vie. Mon père et ma mère savaient quelque chose, quelque chose qui allait changer le cours de mon existence à tout jamais.

Après six mois d'instruction, six mois de rudes épreuves dans une contrée désertique, on m'a muté au Nord. Le destin voulait que ce soit vers une ville de l'ouest du pays, un rêve inespéré. Après l'enfer, c'était le Paradis ! On m'a donné ma permission et je suis rentré chez moi triomphalement.

* * *

Mon retour au village fut une heureuse surprise pour tout le monde. J'étais vêtu de l'uniforme militaire, le portant avec une fierté exagérée. La tenue de sortie me conférait une prestance et un charisme particuliers, m'offrant un air d'assurance inattendu.

L'accueil a été chaleureux, ponctué de youyous de joie qui résonnaient dans l'air. Les voisins étaient venus en nombre pour féliciter ma mère de mon retour inopiné. "Hendullah imi d-yuɣal bxir walaxir ! Dieu merci, il est revenu sain et sauf !", chantaient les vieilles femmes du village, leurs voix tremblantes d'émotion.

L'assistance me posait des questions sur ma vie dans la caserne, la culture et les coutumes des régions visitées. C'était l'occasion de raconter mes aventures et mes exploits fictifs. Il a beau mentir qui vient de loin !

Au milieu de la foule, je répondais aux interrogations avec un sourire, partageant mes expériences et mes aventures fictives avec une grande aisance. Les récits étaient entrecoupés de rires et de regards curieux, chacun cherchant à comprendre le monde que j'avais découvert. Ou parfois inventé !

Pourtant, parmi l'assistance, une présence particulière attira mon attention. Une jeune fille étrangère, à la beauté discrète mais envoûtante, semblait à la fois heureuse et timide. Ses regards furtifs croisèrent les miens, créant un échange silencieux chargé d'une émotion difficile à décrire.

J'osai enfin m'approcher d'elle, les mots s'échappant de mes lèvres avec une curiosité sincère : "Wi kem-ilan, a taqcict ? Qui es-tu, jeune fille ?"

La jeune fille, surprise et tout à la fois gênée, aurait pu "s'enfouir sous terre" tant son embarras de ma question était grand. Et c'est tout le monde qui a éclaté de rire.

Une vieille femme du village, qui avait observé la scène avec un sourire malicieux, s'adressa à moi :

« Ur teẓriḍ ara aɛni a mmi ? Tu n'es donc pas au courant, fils ?! », m'a-t-elle interrogé, bouche bée.

Mon regard interrogateur se tourna vers la vieille dame, empli de curiosité, impatient d'en apprendre davantage et tout intéressé d'entendre la suite.

La vieille femme se tourna ensuite vers mes parents, les interpellant avec un mélange de reproche et de solennité :

« Urɛad ur s-tennim ara ! Mačči d lḥeq fella-wen ! Vous ne l'avez pas encore informé ?! C'est injuste de votre part !"

Mes parents, visiblement embarrassés, gardèrent un silence pesant.

J'ai tout compris maintenant ! On m'a marié à mon insu, avec une personne étrangère que je n'ai jamais vue, alors qu'ils savaient bien que je projettais de me marier avec une voisine. Et, cerise sur le gâteau, ils ont célébré la cérémonie de mariage en mon absence !

Une bouffée d'émotions me submergea, mêlant la surprise à une pointe d'amertume.

Serai-je un éternel mineur aux yeux de mes parents ? C'est toujours eux qui décident à ma place, sans même prendre la peine d'avoir mon avis. J'en pouvais plus.

Étais-je condamné à subir leurs décisions sans avoir mon mot à dire ?

Une détermination s'empara de moi, silencieuse mais ferme. Sans rien dire, j'ai pris mon baluchon sur le champ, et je suis parti pour de bon. Le lendemain soir même, j'ai regagné la caserne avec une idée en tête : m'engager en signant un contrat de 25 ans de service militaire. Une décision qui semblait la seule échappatoire à un destin dicté par d'autres.

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