Le soleil est ravissant, aujourd’hui. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu caresser ma peau, si dure, si froide. Peut-être qu’un groupe de promeneur viendra me rendre visite. Ils amèneraient une nappe à carreaux, un peu de nourriture. Oh, ce serait si charmant ! J’aime tant regarder les Hommes. Ils viennent s’abriter sous mes longs doigts crochus, et cela me flatte. J’ai l’impression de servir à quelque chose, vous comprenez ? C’est une sensation agréable.
Pour l’instant, la campagne dort encore. Je me dresse, droit et immobile, au travers de la brume matinale. Un oiseau vient me chanter un air guilleret, mais pour l’instant, j’aimerai qu’il me laisse dormir. J’ai vécu assez longtemps pour connaître leurs mélodies par cœur, et il en faut plus pour remplir mon cœur de tendresse.
Un couple d’humains, par exemple. Qui se chuchotent des mots tendres, de ceux qui s’envolent dans le vent jusqu’à mes oreilles. Qui s’embrassent de tout leur saoul, comme si la mort les traquait. Il faut dire qu’ils n’ont pas beaucoup de chance,ces petits hommes : quelle courte existence ! Mais finalement, moi, depuis trois cent ans que je suis planté là, qu’ai-je réellement vu ? Le même paysage, chaque jour. Les mêmes oiseaux, les mêmes saisons. Eux, au moins, sont libres de voir le monde. Finalement, heureusement que ces êtres merveilleux sont là pour me distraire.
Le soleil brille haut dans le ciel, déjà. Ma chevelure bruisse doucement, se découpant dans un ciel sans nuage. Je puise de plus en plus loin dans le sol à la recherche d’un peu d’eau. Les humains ne devraient pas tarder, je les attends de pied ferme. Après tout, je ne vois pas très bien où je pourrai aller.
Eh bien, il semblerait que, bien que je sois déjà vieux, le monde ait encore bien des choses à m’enseigner. Tout d’abord, les Hommes ne sont pas dignes de confiance. Ce sont des êtres ingrats, superficiels. Oh, bien sûr, ils sont venus ! S’installer sous un confrère, jeune cerisier tout pimpant, fraichement arrivé ! Et moi, vieux saule, on me délaisse, on m’abandonne !
Ah, ils peuvent continuer à se raconter l’amour, ces deux-là ! Je n’ai pas besoin d’eux. J’ai le vent qui me parle tout bas, qui caresse mes cheveux argentés. J’ai le soleil qui réchauffe ma peau, et les oiseaux qui me content leurs secrets. D’ailleurs, je m’excuse : je n’aurai jamais dû avoir de telles pensées pour vous, mes fidèles amis…
Mais après tout, je comprends leur réaction: je fais partie du paysage, je ne sers qu’à décorer. Qui se soucie de ce que ressent un arbre ?