Quiproquo
M. Henri, sachant la fin proche, fait venir à son chevet son épouse et ses deux enfants issus d’un premier mariage.
MONSIEUR HENRI : Madame, vous n’êtes pas sans savoir que mon état est grave.
MADAME HENRI (Avec un air de dédain) : Oui, oui, mon cher, je le sais.
MONSIEUR HENRI : En tant qu’époux et père de famille, il me revient d’organiser ma succession. J’ai donc demandé, il y a de cela quelques jours, à Maître de Lacour de venir afin que je lui dicte mes dernières volontés.
MADAME HENRI (Tout à coup intéressée) : Ah ! J’espère que personne, dans l’affaire, ne se trouvera lésé.
MONSIEUR HENRI : Oh, non Madame ! Ne craignez rien ! Chacun sera récompensé à la juste valeur de son mérite.
MADAME HENRI : Vous ne m’aurez donc pas oubliée dans vos volontés, j’en suis fort aise.
MONSIEUR HENRI : Non, ma chère. Il m’eût été difficile de vous oublier alors que je dictais mes souhaits au notaire.
MADAME HENRI (impatiente) : Alors ? Allez-vous nous dire ce qui nous reviendra ?
MONSIEUR HENRI : J’y viens. A mes enfants, je lèguerai des biens de famille précisément énumérés ainsi qu’un quart de ma fortune.
MADAME HENRI : Un quart ! (A elle seule) : Je ne sais si je dois rire ou pleurer. C’est trop pour ces ingrats ! Mais les trois quarts de la fortune de ce vieux bougre devraient me permettre de vivre aisément.
MONSIEUR HENRI : Le reste, qui constitue, ma foi, une somme conséquente, je le laisse à la femme que j’ai toujours aimée.
MADAME HENRI (peinant à contenir sa joie) : Oh oui ! A la seule qui le mérite !
MONSIEUR HENRI : Oui. A la seule femme en ce monde qui se soit rendue digne de mon affection.
MADAME HENRI (d’un ton radieux) : Oui !
MONSIEUR HENRI : Celle qui m’a toujours épaulée.
MADAME HENRI : Oh, vous êtes l’homme le plus juste qu’il m’ait été donné de connaître !
MONSIEUR HENRI : A la femme la plus belle que j’ai vu de ma vie.
MADAME HENRI (aux anges) : C’est trop d’honneur, monsieur !
MONSIEUR HENRI : Cela vous convient-il, madame ou dois-je rappeler le notaire avant de m’en aller ?
MADAME HENRI : Oh, non ! Nul besoin. Vous pouvez quitter ce monde sans peine !
Monsieur Henri meurt en paix.
MADAME HENRI (s’adresse aux enfants) : Voyez, chez votre père la mansuétude dépassait presque la bêtise. Il s’en est fallu de peu, mais comme tous les hommes, il a préféré sa femme à ses enfants.
Maître de Lacour entre dans la chambre, suivi d’une belle femme encapuchonnée, d’allure modeste.
MAITRE DE LACOUR : Madame Henri, veuillez m’excuser de troubler votre recueillement. (L’inconnue retire sa capuche).
MADAME HENRI (interloquée en reconnaissant la jeune femme) : Que fait la domestique ici ?
MAITRE DE LACOUR : Votre défunt mari a institué cette jeune personne légataire des trois quarts de ses biens.
MADAME HENRI (sous le choc) : Comment ? C’est impossible ! Il ne peut me laisser sans rien !
MAITRE DE LACOUR : En effet, il m’a chargé de vous remercier pour ces derniers instants de rire. Il savait que cela lui permettrait de partir apaisé.
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