Il existe dans le Sud, au débouché d'une piste traversant le Marmouv’, un comptoir marchand composé de tentes de caravaniers et de trappeurs. Les villageois alentours s’y rendent régulièrement pour commercer avec ces gens de passage. Il n'y a que deux bâtiments en dur : le bordel et une boutique minable accolée à un hangar en bois.

Un jour, un homme, petit, velu, hirsute, vêtu d'une simple tunique de coton et coiffé d'un bonnet mité, se présenta à l'échoppe et posa sur le comptoir une rapière finement ouvragée, au pommeau recouvert de feuilles d'or et incrusté de pierreries.

— Combien m'en donnes-tu ? demanda-t-il au marchand.

Le boutiquier grommela, feignit l'indifférence, tordit le nez, dit que cela ne semblait pas valoir grand-chose. Pourtant il n'avait pas souvent des marchandises d'aussi grande valeur sous la main et, bien qu'habitué à masquer ses émotions, il ne put dissimuler son avidité au vendeur de la rapière qui se félicita que ses instincts de larron reprennent si promptement le dessus après des mois d'engourdissement. Car, vous l'aurez compris, cet homme, c'était Antranik...

Il n'avait pas été malheureux là-bas, menant une vie paisible et sans heurt, regardant passer les saisons, couler les jours, remplissant sa vie de petits riens et d'activités plaisantes. Il tapait dorénavant sur son bout de bois avec maestria ! Ô comme il avait aimé folâtrer à demi-nu au milieu des pâtures, le vent agitant amoureusement sa mirifique pilosité ! Mais la venue de ce chevalier imbu de lui-même et richement vêtu avait réveillé en lui ses mauvais penchants. Il avait réussi à le persuader de se séparer de ses biens de valeur. Comme il avait jubilé ce jour-là ! Il avait soudainement retrouvé cette joie simple et primaire, qui l'avait poursuivie toute sa vie : nuire à autrui. Il n'avait pas résisté. Il était reparti. Sa soif de méchanceté avait gagné, et de nouveau, Antranik était sur les routes de Glempyrion pour s’adonner à moults coups pendables et autres nuisances puériles...

Finalement, le boutiquier, après avoir marchandé, lui donna quatre pièces d'or. Antranik repartit content, bien qu'ayant parfaitement conscience de s’être fait entourlouper de quatorze piécettes. Seulement avoir arnaqué le chevalier-dandy suffisait à son bonheur !

Et la vallée d'Adésirata, me direz-vous ? Eh bien, à ce que l'on sait, elle vit toujours en paix...