Fissures ineffables

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Tout est d’une noirceur sans égale. L’éclat de la lumière lunaire sur le sol luisant, les pas se succèdent avec vélocité, les corps et les âmes se bousculent dans un itinéraire inconnu. Je le vois, comme il ne le voit personne. La tête baissée, les bras abandonnés par terre, les jambes délaissées devant lui. Il avait comme vêtement une veste beige imprégnée par la saleté extérieure, un pantalon noir avec quelque déchirure, des chaussures usées, noires, sans aucune distinction. Un visage pétri de fatigue, des traits effacés, des yeux mornes, dotés d’un regard gracieux, d’une bouche séchée, des oreilles pointues, ses joues creuses faisait du charme à tout son visage caché par sa crasse épaisse. Je m’approche tendrement de lui. J’extirpe quelques pièces pour les déposer sur le creux de sa main à moitié ouverte. C’est là qu’il relève la tête et qu’il me regarde dans les yeux. Je me sens plongé dans son existence, poignée d’un engouffrement entreprenant. Mes doigts effleurent à peine sa paume, qu’il me tient la main d’une délicatesse charmante. Ses mains portaient des traits de rudesses, sèches ; ses sillons encrés dans celle-ci se distinguaient au touché, imposantes elles donnaient de la poigne à sa prise de main. J’étais pris de surprise, mes yeux s’ouvrent soudainement. Mon approche, qui au préalable basée sur un contact passager, s’est transformé au cours d’un instant d’éraflement en un destin contigu. Il me regarde sans rien dire, je l’observe sans rien ajouter. Il lâche ma main pour dire : « Rêves-tu assez souvent ? ». J’étais si surpris par sa question que j’ai mis du temps avant de le répondre, « Qui ne rêve pas ? ». D’un sourire qui s’esquisse, avec un air portant un éclaire réfutable et d’une assurance accentuée par sa répartie soudaine il me dit « Tu vois, parfois je me dis que j’aimerais mourir tôt, pas trop endurer le fardeau de la vie, mais parfois je me dis que j’aimerais vieillir et rester en vie le plus longtemps possible, traverser le temps et l’espace, voyager dans le monde, enrichir mes expériences et faire le tour de tous mes rêves. L’expérience de la vie, n’est pas un simple mot, ou une simple connaissance objective et certaine, ce qui se dessine devant nous c’est toujours le fruit d’une instruction élémentaire, crédule dans son aspect et complexe dans sa nature. ».

C’était une ingérence d’une effusion sans pareil. Ses mots, son timbre mûr et sage m’ont ébloui. Je suis resté sans voix, je ne savais pas quoi lui répondre et surtout à quel niveau m’engager dans cette discussion avec lui. « Je pense, dis-je, c’est surtout notre instinct qui nous pousse à être aussi attachés à la vie malgré toutes ses infortunes. Exister est un cadeau surtout. ». Ses joues se resserrent, ses lèvres tentent de s’attacher l’une à l’autre, sans qu’elles n’y arrivent. Un sourire commence à s’imposer sur son visage pour enfin lâcher un ricanement malaisant. Je n’arrive pas à interpréter sa réaction, son attitude comme moqueuse me percute. Je lui dis d’une allure distante « Que ce qui vous fais rire comme ça ? », il ne me répond pas ; sa tête retombe sur son cou en alternant avec quelque rire tout en tressaillant cette première. Il ne me répond plus, il m’ignora complètement. Je le laisse pour continuer ma route tout en pensant à cet incident qui vint de se passer. Après quelques mètres éloignés de lui, je me rabats sur mon bon sens, en me disant que c’est juste une personne atteinte et qu’il ne faut pas lui attacher beaucoup d’importance. Je continue de marcher, mes pensées se cognent, mon cerveau s’excite ; rien d’alarmant, tout est routine dans ces temps-ci. J’ai pris l’habitude de cogiter inutilement pendant ces heures de solitude. Tout comme un soliste, j’orchestre seul et ça me détend. Pendant que je marche, les gouttes de pluie commencent à montrer leurs présences, une par une commencent à envahir le ciel et l’air. Elles commencent à s’immiscer partout et en faire refuge toutes zones où elles s’y installent. Autour de moi, sur les bâtiments, sur les voitures, sur les gens, sur les chats, les chiens et unes qui s’y faufilent sur mon cou, et s’y introduisent même dans le plus grand des calmes sur mon dos, et s’y établissent. Le vent ne manque pas de rejoindre la fête, il gifle ma peau légère, caresse mes oreilles. Je continue de marcher lentement, à vrai dire, je suis encore quelque peu loin de chez moi et courir ne fera qu’exciter les assauts des gouttes qui dans ce cas vont s'éclabousser sur mon visage en rafale. Les gens, eux courent d’encore plus de vitesse, leur esprit, se déconnecte et ne fait plus que s’agiter tout en ignorant les alentours pour s’échapper à la pluie. Un qui utilise sa mallette pour se réfugier, l’autre son sac à main, d’autres plus chanceux avec leur parapluie et des moins fortunés qui ne font que baisser la tête et protéger leur visage. En les regardant ainsi je me dis que c’est fascinant comme des gouttes d’eau peuvent autant instaurer la panique. Pourtant c’est fréquent et ce n’est pas un événement naissant. On s’est accoutumés de voir de la pluie et pourtant celle-ci continue toujours à nous immobiliser, mère nature décidément est trop forte. S’il y a bien que notre ignorance et notre incapacité continue à perdurer face à la nature c’est que celle-ci est réellement très imposante.

Pendant que je continue d’arpenter la rue qui se dresse devant moi, l’atmosphère devient comme plus sauvage, d'encore plus atterrante. J’ai de plus en plus la sensation que mes épaules deviennent lourdes, de plus en plus engourdies. Pendant que je nageais dans le vaste vide de mes pensées, je regarde la vue devant moi et sans m’en rendre compte, elle s’est dépeuplée, asséchée. Les boutiques et les magasins se ferment, une suivant l’autre comme un effet de domino qui tombent. Le vent toujours dans la même conduite, suit le mouvement, il devient affolé, racle tout sur son passage. Les pauvres arbres, s'agrippent au sol avec tous ses forces. Ils dansent mélancoliquement, s’agitent, se débattent dans tous les sens ; comme dans un rituel, au choc avec du vent ils soufflent, ils crient, ils adjurent de l’aide. De loin, encore dans l’ambiance âpre qui se dessine peu à peu. Je vois un petit garçon. Habillé d’un caban très aiguisé, bien repasser, qui l’engloutissait complétement. Beaucoup trop grand pour son gabarit si chétif, il lui enveloppait tout son buste. Ses manches ne laissaient que ses doigts apparaître. Un pantalon gris encore bien trop propre dans son image, correctement plié, fraîchement enfilé. Un bonnet noir avec des petits traits en rouges couvrait toute sa tête, ses petites oreilles, tendres et fines s’y échappaient légèrement. De son corps, seul son visage était visible. En le voyant ainsi, je me sens fléchis par ma curiosité et je m’avance vers lui. J’avance tout en hélant « Salut ! », « Mon petit ? », « Tout va bien ? ». Il garde sa posture immobile, figée, telle une sculpture, le regard blanc, sans aucune nuance. Je tends ma main lentement vers lui, d’une allure qui porte de la confiance, tout en essayant de garder un caractère réconfortant dans ma démarche celle-ci se pose doucement sur son épaule. Mon corps se fige, même mon âme se cloue, ma conscience demeure désœuvrée. Plus rien n’existe, plus rien n’a existé et plus aucune possibilité d’existence. Comme un coup de marteau qui me perfore la poitrine, sans que je ne puisse réagir, un choc tellement fort que comme si quelque chose s’y détache de mon thorax et s’y expulse à l’extérieur. Vide, néant et rien de visible, même le noir s’étouffe et devient méconnaissable, indéfinissable.

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Miroir de diamant briséeChapitre0 message

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