Chapitre 3 : partenaire

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    Nous arrivâmes dans la rue du magasin. Je me garai à quatre cents mètres de là, éteignis le contact et sortis de la voiture. Mon passager en fit de même. Je levai le bras avec ses clés dans la main. Il écarquilla un instant les yeux, comprenant ce que j’allais faire et commença à se baisser. Je lançai le trousseau, non sans délicatesse, qui s’écrasa sur le mur. Alexander se releva et observa le petit impact que j’avais fait dans la brique, ahuri par celui-ci. Il se retourna vers moi, perplexe, et je lui rétorquai :

  • Va les ramasser. Je ne suis ni ton chauffeur, ni ta boniche.
  • Mais...

  Je me surpris à pincer la langue. Sans prêter attention à ce qu’il disait, j’avançai vers notre but. Il ramassa ses affaires, verrouilla son véhicule et me rattrapa au petit trot avant de m’ordonner :

  • Occupe-toi du trottoir là, je vais faire le tour des bâtiments autour du magasins.

  Cette fois, c’est lui qui ne me laissa pas le temps de réagir. Il traversa au passage clouté que nous venions d’atteindre et me laissa en plan toute seule. Je le détestais. C'était officiel maintenant. Je commençais à être tiraillée entre l’envie de bâcler cette enquête pour ne pas être devenir sa coéquipière, et celle de faire correctement mon travail. Je soupirai et l’oubliai pour me concentrer sur ma tâche. Je tapotai mes poches, soudainement prise de panique. J'avais oublié mon flingue, tellement j’avais eu envie de travailler aujourd'hui. Heureusement, j’avais mon badge. Je toquai et sonnai à plusieurs portes mais rien de concluant. Des vieux qui sortent à peine de chez eux sans se soucier des autres ou des marchands obnubilés par l’envie de me vendre quelque chose.

  Magasin suivant, une boutique de matériels vidéo : écrans, appareils photo, caméras... En passant devant la vitrine, je me vis dans une télévision. Je reculai d’un pas, avançai. C'était du direct. Examinant les alentours de celle-ci, je trouvai une petite webcam. Je claquai des doigts devant elle. C'était bien celle-là. Je me retournai. Ce commerce se trouvait pile en face de notre lieu du crime.

  Je rentrai. Une cloche sonna au moment où j’ouvris et quand je fermai la porte. La boutique n’était pas très grande, cinquante mètres carrés à peu près, mais les murs étaient tapissés de produits. Un rayon composé de clés USB, câbles en tout genre, adaptateurs... coupait la pièce en deux. Au fond à gauche se trouvait le comptoir, avec une porte derrière. Je fis un pas et un homme en sortit, sûrement appelé par la sonnette. Il me salua :

  • Bonjour madame. Que puis-je faire pour vous ?

  Il sembla surpris de me voir dépasser autant au-dessus de son rayon, et ses yeux s’écarquillèrent à leur maximum quand j’arrivai devant sa caisse. Le pauvre devait à peine faire un mètre soixante. J'avais presque trois têtes de plus que lui. D’une voix douce, je lui répondis en sortant mon badge :

  • Bonjour, inspectrice Disperet. J’aurais aimé savoir si vous gardiez les enregistrement vidéo de la webcam extérieure ?
  • Euh... oui oui, je les garde une semaine avant de les effacer, me dit-il en bégayant.

  Il semblait mal à l’aise, perturbé par ma présence. J’affichait mon plus beau sourire et reprit :

  • Votre magasin se trouve juste en face d’une scène de crime, vous savez ?
  • Oui oui...
  • Pourrai-je avoir vos enregistrements de la semaine précédente, s’il-vous-plait.

  Il disparut dans son arrière-boutique. Après quelques minutes, il ressortit avec un disque dur et me le tendit.

  • Te...te... tenez. J'ai mis tou...tou...toute la semaine en vidéo.
  • À partir de quelle heure la webcam filme-t-elle ?
  • San... sans interruption.
  • Oh, me réjouis-je. Parfait. Merci beaucoup.

  Et je sortis. Je cherchais du regard mon coéquipier et le vis de l’autre côté de la rue, interrogeant un groupe de personnes. J'hésitai entre aller le prévenir et le laisser se démerder tout seul. J'optai pour la deuxième option et calculai rapidement le temps de route. Le poste était à sept kilomètres, une heure de marche à pied... acceptable. Et je me mis en route après avoir branché mes écouteurs et lancé la musique.

  Après une bonne heure, j’atteignis le commissariat. Sans faire attention aux collègues et civils présents dans le hall, je montai à mon bureau et m’installai tranquillement sur ma chaise. J'observai quelques instants ma petite statuette de serpent, pensant à celui qui vivait maintenant chez moi. Ma main se porta jusqu’à ma blessure. Je le remarquai et me donnai deux petites claques pour me reconcentrer. Je branchai le disque dur et commençai à examiner les vidéos.

  Je me concentrai d’abord sur le jour du décès. Nous avions été appelés à sept heure du matin. J'observai donc à partir de six heures trente. Je remarquai un homme rentrer dans le bâtiment cinq minutes avant l’appel. Il ressortit en panique, prit la peine de fermer la porte à clé, puis s’arrêta après avoir fait quelques pas. La qualité de la vidéo n’était pas excellente, j’avais du mal à voir à quoi il ressemblait : il était grand, peut-être plus que moi si je jugeais avec la taille de la porte de la boutique ; type européen, cheveux courts, vêtements sombres. Très suspect cet homme. Il porta quelque chose à son oreille, son téléphone je supposais. L'heure de la vidéo correspondait à l’heure de l’appel. C'était donc lui. Mais il avait hésité, et refermé la porte du magasin. Au début, il ne voulait pas mais peut-être que sa conscience lui avait parlé. Après avoir raccroché, il disparut du cadre de la vidéo. J'avançai celle-ci un peu, mais plus rien, juste l’arrivée de la police.

  Je me penchai ensuite sur les journées précédant la mort du vendeur. Mais rien de très concluant. Je vis à nouveau mon suspect. Il arrivait tous les matins à six heures moins cinq, et repartait à dix-huit heures dix. Mais impossible de voir correctement son visage. J'arrivai à la dernière journée enregistrée sur le disque dur. L'homme que je surveillais était toujours là. Il sortit à l’horaire habituel et téléphona avant de sortir du cadre encore une fois. Je soupirai, m’affalai sur ma chaise en soupirant et en levant les yeux au ciel. La vidéo continuait d’avancer. Je me penchais vers l’écran pour l’éteindre quand je le vis, le supposé employé du magasin passer juste devant la caméra, un téléphone sur l’oreille. Il ne montrait que la moitié de son visage mais c’était déjà ça.

  À ce moment, ma porte s’ouvrit voilement et mon coéquipier entra, visiblement énervé.

  • Ça bosse dur, on dirait. Pourquoi t'es partie sans prévenir ?! Me lança-t-il.
  • Tu as trouvé des pistes ? répondis-je amusée.
  • Non ! Personne n’a rien vu forcément ! Et toi tu es rentrée ici comme ça ?
  • Oui, en effet. J’avais plus rien à faire là-bas.
  • Ah, et pourquoi...

  Le commissaire l’interrompit. Je ne l’avais même pas vu arriver.

  • Bonsoir inspecteurs, alors comment se déroule l’enquête ?
  • Ça n’avance pas...
  • J’ai une piste, criai-je en coupant la parole à Alexander et en tournant mon écran vers eux. Je pense avoir trouvé l’employé de la boutique.
  • Excellent ! Me félicita mon supérieur, tandis que mon collègue me regardait avec des yeux noirs. Bon vous travaillez bien ensemble à ce que je vois...

Il est aveugle ou quoi ? Pensai-je.

  • Donc maintenant vous serez officiellement coéquipiers.
  • Pardon ? Cria l’autre inspecteur.

  J’étais tout aussi surprise que lui.

  • Je comptais attendre la fin de cette enquête mais la direction veut éliminer le surplus inutile, selon eux. Et ils considèrent deux inspecteurs solos comme non rentable. Et vu que je veux vous garder tous les deux, vous ferez désormais équipe.
  • Mais... mais...
  • Pas de mais, me coupa-t-il. Demain, vous déménagerez dans le bureau d’Alexander, il est au deuxième. Vous lui montrez ?
  • Oui... répondit le concerné sans émotion.
  • Très bien, bonne fin de journée. Vous viendrez me voir Aurore pour rattraper vos jours de congés.

  Il afficha un grand sourire satisfait et disparut dans le couloir, sans nous laisser le temps de réagir. Je soufflai du nez et me laissai glisser dans mon fauteuil. Il me regarda, débité, avant de sortir un petit carnet et d’écrire dessus. Il arracha la feuille et la posa sur mon bureau. Je donnai un rapide coup de langue.

  • C'est mon numéro, me lança-t-il. À demain... partenaire.

  Il sortit à son tour. Je me replaçai correctement et fis une capture du demi visage que j’avais obtenu. Je l’envoyais par mail au service informatique du poste, espérant qu’ils puissent améliorer l’image et peut-être reconstituer un visage entier. Après cela, je pris mes affaires et rentrai chez moi.

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