VII Parfois, il faut se recentrer...

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Judith,

De retour à la maison, je profitais d'être seule pour repenser à tout ce qui venait de se passer. J'allai me faire un thé pour m'aider à mieux réfléchir. Une fois l'élixir entre les mains, je vidais mon esprit en inhalant les vapeurs ce breuvage divin.

Finalement, Soan voulait bien de mon aide, mais à présent, c'était moi ne voulais plus faire partie du jeu : trop de risques pour Mi et moi. En plus, je ne le connaissais pas aussi bien que ce que je pensais ; et, même si Val voulait que je sois amie avec lui, certaines choses me freinaient. Il était colérique et violent. Il y avait tout de même certaines questions que je me posais encore et j'espérais que Val trouverait des réponses auprès d'Iris...

Je m'affalai dans le canapé et allumai la télévision pour ne plus y penser. Je zappais devant tant de chaines inintéressantes. Soudain, je tombai sur une chaîne musicale parlant de cette fameuse chanteuse, Carla Morrison. Ils faisaient la promotion de son nouveau titre : "No me llames".

La chanson débuta et je buvais ses paroles en même temps que mon thé brûlant.

"No me llames,

no me busques,

no me escrivas,

no quiero entregarme a tus besos,

los encantos

tus caricias

no quiero entragarme, no."

Il fallait que je me recentre sur l'essentiel. Le trop-plein sentimental avait débordé aujourd'hui et je ne savais plus trop quoi faire de ce baiser volé. Je passais mes doigts sur mes lèvres en me remémorant ce doux moment. Puis, la violence de ce matin me revint en mémoire telle un boomerang. Une histoire de cœur était certainement prématurée. Il valait mieux découvrir qui il était vraiment. Je ne reconnaissais plus le Gab qui était dans mes souvenirs. La vie avec son père l'avait certainement transformé. Restait à savoir, si c'était en bien ou en mal...

La porte s'ouvrit avec fracas. Je me relevai d'un bond renversant mon thé sur le canapé.

  • Ju ! Ju, viens vite ! s'exclama Mi.
  • Mais qu'est-ce que c'est que...
  • Désolée Ju, s'excusa ma mère les mains remplies de sacs de courses. La porte s'est ouverte d'un coup sans que je puisse la retenir.
  • Attends maman, laisse-moi t'aider !

J'allai en vitesse la décharger de quelques poches. Je vis une flasque dans un des sacs . Nos yeux se croisèrent, elle le referma vite, prise en faute. Mes yeux se remplirent de colère. J'inspirai profondément, cherchant au fond de moi s'il me restait encore un peu de sérénité. Sans relâcher mon souffle, je lâchai tout et la laissai là, sur le pas de la porte, les bras chargés de sacs trop remplis et trop lourds. Vraiment trop lourds... J'allai expirer bien plus loin... Mi me rejoignit dans la cuisine pour me cajoler. Je la soulevai doucement pour qu'elle soit à ma hauteur :

  • Mi, ma chérie, viens dans mes bras. J'ai l'impression qu'on ne se voit plus trop ces derniers jours.
  • Ben ouais Ju, je suis avec Maman tous les jours. Je suis trop contente ! Aujourd'hui on a fait plein de choses.
  • Ah oui ? Alors, raconte-moi tout !
  • On est sorties au parc d'en face, puis on est allées boire "un verre en terrasse" comme des grandes ! C'est maman qui m'a appris comment on dit et comment on fait !
  • Un verre en terrasse ?

Je fusillai ma mère du regard. Elle me tourna le dos faisant mine de ranger les courses. Je voyais bien qu'elle m'évitait.

  • Alors, dis-moi, qu'est-ce que tu as bu ?
  • Alors moi, j'ai bu un Sprite ! Il avait plein de bulles et la dame m'a même donné une paille !
  • Un Sprite ? la taquinai-je. Tu n'en avais jamais bu, hein ?
  • Non jamais ! Eh ben Ju, c'était trop bon ! rigola-t-elle.
  • Et Maman a pris quoi, elle ?
  • Bah Maman, elle a pris du coca avec des bulles aussi, et une paille !

Puis, se rapprochant de mon oreille, elle me chuchota :

  • Je n'aime pas le coca. J'ai goûté dans son verre quand elle est allée chercher des cacahuètes. Je l'ai recraché ! Le coca c'est pas bon !
  • Ah ! Tu as goûté le coca de maman ! répétai-je bien fort.

Ma mère laissa tomber ce qu'elle avait dans les mains puis se tourna vers nous.

  • Tu as bu dans mon verre, Mi?
  • Ben oui, elle a bu dans ton verre et elle n'a pas aimé ton coca ! criai-je soudain.

Mi me regarda, perdue.

  • C'est grave, Ju ? me demanda-t-elle, pleine de remords.
  • Mais non, ma puce. Allez viens, on va faire un jeu toutes les deux, ça te dit ?
  • Ah oui !

Puis, je partis avec Mi en continuant de fusiller ma mère dans ma tête pour qu'elle ne cesse de recevoir toute ma colère et mon dégoût. Mila prévalait sur elle et il fallait en aucun cas déborder en sa présence. J'avais bientôt dix-sept ans et j'avais l'impression d'être plus une mère pour Mi que ne pouvait l'être la nôtre, et ce, même sous son plus beau jour...

Lors du repas, mon estomac refusa toute ingestion. Je n'insistai pas et laissant Mi terminer, je commençai à débarrasser. Une fois les dents brossées, je couchais ma petite sœur dans son lit et la bordai.

  • Tu veux que je te raconte une histoire, ce soir ?
  • Non Ju, tu sais aujourd'hui j'ai fait beaucoup de choses. Je suis fatiguée, me dit-elle en baillant.
  • Okay ma princesse, soufflai-je en l'embrassant sur le front. Je vais rester près de toi, jusqu'à ce que tu t'endormes d'accord ? Tu me fais une petite place ?
  • Oui Ju, viens !

Je pris mon livre puis me glissai dans son lit, bien trop grand pour elle. Elle m'entoura de ses bras et son amour m'envahit. Les larmes me montèrent mais je les refoulai. J'ouvris mon livre et m'y plongeai.

"Ils ont pris la direction de la Clayette tous les trois. Ils sont partis vers toi, vers tes restes de rien du tout. Célia est arrivée, après, plus tard, je ne sais pas, j'avais perdu la notion du temps. Je me souviens qu'il faisait nuit, qu'elle a poussé la porte. Elle a dit "C'est moi, je suis là, Violette." Sa voix avait perdu tout son soleil. Oui, même dans la voix de Célia, il a fait nuit quand tu es morte. Elle n'a pas osé me toucher. Moi, j'étais en tas, sur ton lit. Un tas de rien."

Je refermai le livre. Mes larmes étaient de plus en plus difficiles à contenir. Je regardai Mi qui s'était endormie. Elle était une partie de moi. Ce petit être me remplissait de joie et d'amour. Elle faisait de moi quelqu'un de meilleur. Nous étions là, toutes les deux, vivant une vie que je ne cessai de tenter d'améliorer. J'espérais, au plus profond de moi, que la mauvaise passe que ma mère traversait, depuis de très longs mois maintenant, allait vite se terminer et que Mi ne se rendrait jamais compte de tous les mensonges que je lui sortais. Elle grandissait et il devenait de plus en plus compliqué de maquiller le vice de ma mère sans qu'elle ne s'en aperçoive. Je sortis du lit tout doucement. Il me manquait encore quelque chose à régler : parler avec ma mère !

  • Maman ? lui lançai-je calmement.
  • Oui Judith, me répondit-elle en se retournant.

Ses yeux étaient gonflés, il était évident qu'elle pleurait. J'étais insensible à ses larmes. Je l'avais vue pleurer trop de fois, se repentant en récitant inlassablement les mêmes promesses qu'elle ne tenait jamais. Une soupe aux mensonges bien amère que je n'avalais plus depuis longtemps. J'avais bien compris que sa dépendance la retenait au fond d'elle-même et que ni Mila ni moi ne pouvions rivaliser. L'alcool la détruisait et nous n'étions que des dommages collatéreaux...

  • Écoute Maman, je ne veux pas qu'on se dispute. Je veux juste te dire qu'il t'est interdit de boire en présence de Mi. Tu es responsable d'elle. Je ne veux pas qu'il lui arrive quelque chose. Si ça se reproduit, elle ne restera plus seule avec toi.
  • Je comprends, viens, assieds-toi quelques instants, je dois te parler moi aussi.

Elle tira une chaise pour que je m'asseye à table avec elle. J'obtempérai en silence en croisant les bras, essayant de me protéger autant que possible.

  • Écoute, Ju, j'ai commencé une thérapie. Je veux vraiment m'en sortir cette fois-ci. Passer du temps avec Mila m'a fait comprendre à quel point vous êtes essentielles à ma vie. Je ne veux pas vous gâcher la vôtre...
  • Tu ne veux plus nous la gâcher tu veux dire ? lui répondis-je sèchement. J'ai bientôt dix-sept ans Maman, cela fait de nombreuses années que tu me gâches la vie ! Je te retrouve ivre, à moitié habillée ou couchée sur le sol. Parfois, j'ai du mal à te rhabiller ou à te recoucher pour ne pas que Mi voie ta misère ! Parfois, je dois même te laver parce que tu te vomis dessus ! Ta puanteur vient recouvrir les murs de la maison ! Réveille-toi Maman, tu me gâches la vie depuis longtemps...

Je me levai précipitamment. Il fallait mettre fin à cette discussion qui, je le savais, ne mènerait nulle part.

  • Attends, Judith ! me retint-elle. Je me fais vraiment suivre et je prends un traitement de substitution.
  • De mieux en mieux... Un traitement de substitution ? Mais enfin Maman, un vice qui en remplace un autre !
  • On ne peut pas tout stopper d'un coup ! Le corps a besoin d'une diminution progressive pour arriver à se sevrer.
  • Ah d'accord ! C'est pour cette raison que tu t'achètes des flasques d'alcool ? Ou que tu vas boire "un verre en terrasse" avec ta fille de six ans, au bar du coin ?

Je me sentais abusée. Pensait-elle vraiment que j'allais avaler ses mots ? J'étais énervée et le ton montait.

  • La seule chose que je te demande, lui dis-je, me rapprochant d'elle d'un air menaçant, c'est de prendre soin de Mila. Il est hors de question que tu fasses s'écrouler tout son petit monde que je m'efforce d'embellir ! Est-ce que c'est clair ?
  • Oui, me dit-elle en baissant la voix, elle t'aime tellement, tu sais....

Elle me prit le poignet et me tira vers elle. Je resserrai mes bras sur moi-même en les croisant de nouveau. Elle m'enlaça et je lui renvoyai :

  • Elle t'aime et elle est heureuse de passer du temps avec toi. Ne gâche pas tout. Ne lui fais pas voir qu'elle s'illusionne, je t'en prie...
  • Je ferai tout ce que je peux, Ju.
  • Et si ce n'est pas suffisant, Maman ?

Se reculant, elle me dit les yeux dans les yeux :

  • Ça le sera ! Fais-moi confiance !
  • Ju ?

La petite voix de Mi rebondit entre nous. Je me dégageai vite de ma mère pour aller la rejoindre.

  • Je t'entends crier, me dit-elle les larmes aux yeux. J'aime pas quand tu cries...
  • Ce n'est rien ma princesse. Viens, on va se recoucher.

Elle alla embrasser notre mère une dernière fois puis, me donnant la main, nous nous dirigeâmes vers la chambre.

  • Ju, tu dors avec moi, ce soir ?
  • Oui, Mi. Pousse-toi un peu, je prends mon coussin et j'arrive.

Bien installées, je la pris contre moi. Elle m'enlaça avec son petit bras et me dit :

  • Tu sais Ju, j'ai peur...
  • Je t'ai dit que ce n'était rien ma chérie. Maman et moi ne faisions que de discuter et...
  • Non Ju, c'est pas ça. Tout à l'heure, je t'ai vu dans une autre chambre et tu avais une boîte qui faisait de la lumière dans les mains. Quelqu'un a crié "Non !" et tu as fermé les mains. Après tu es partie en courant... Ju, j'ai peur... pleura-t-elle, contre moi. Ju, tu me laisseras jamais, pas vrai ?
  • Mais pourquoi est-ce que tu... Comment tu ... balbutiai-je sans parvenir à finir mes phrases. Jamais je ne te laisserai ! Pourquoi penses-tu ça ?
  • Parce que c'était ma boîte, Ju... C'était ma boîte... me répétait-elle en s'endormant, soulagée.

Ses paroles vinrent faire écho dans ma tête, percutant chaque recoin de mon esprit déjà bien trop rempli. La boîte de Mi ? Je ne pouvais m'y résoudre... Et pourtant le choix ne s'offrait pas à moi.

Le sommeil vint m'emporter vers un monde où je ne voulais pas aller.

  • Ju se réveille Mère.
  • Val ? appelai-je.
  • Oui, je suis là, me rassura-t-elle.

Je me redressai sur le lit. Je les voyais toutes trois, auprès de moi. Voir ma tante me réchauffait le coeur et je me mis à pleurer. Tout mon énervement et mes angoisses sortirent d'un coup. Elle s'approcha de moi et Agathe posa ses mains sur les meinnes. Elle vit ce que j'avais vécu dans la journée et m'enlaça fermement.

  • Ma Ju, calme-toi, nous sommes là... Tu dois te recentrer sur l'essentiel, me dit-elle en essuyant mes larmes. Tu dois faire le tri de ce qui est vraiment important, le reste aura soin de lui-même. Tu ne peux pas tout porter !
  • Tu as raison Agathe... C'est dur ces temps-ci. Soan est là et sa boîte est cassée. J'ai du mal à gérer notre relation. Et Mi m'a dit que...

Quelqu'un toqua à la porte. Quatre coups secs étaient le code pour entrer. Derrière la porte se trouvait un membre de la famille. Mila ? Soan ? Pleine d'angoisse, je fis signe à Val d'aller ouvrir.

  • Lucas ? s'écria-t-elle les mains devant la bouche... Mais comment nous as-tu retrouvées ?
  • Val... soupira-t-il en la serrant dans ses bras.

Toutes témoins de ces retrouvailles, nous ne savions que dire. Me rappelant des dernières paroles de Mi, la colère m'envahit. Je me levai et allai vers lui :

  • Qu'est-ce que tu viens faire ici ? l'agressai-je. Qu'est-ce que tu m'as fait faire ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
  • Calme-toi Judith ! m'ordonna-t-il. Ne crie pas. Tu nous mets tous en danger.
  • Qu'est-ce que tu veux ? lui demandai-je, les dents serrées.
  • La boîte est sortie du plan, Judith. Les débris s'illuminent dans la cabane dévoilant ainsi son emplacement. Je les ai recouverts pour étouffer la lumière mais je n'ai pas réussi à l'assembler, il manque une pièce et j'ai découvert à qui elle appartenait...

Puis d'une même voix nous dîmes : "Mila ! "

Je me réveillai en m'asseyant brusquement. Mila se retourna vers le mur, elle dormait toujours.

Je regardai autour de moi, dans le noir, essayant de me repérer et de reprendre mes esprits. Je vis soudainement, dans un bac à jouets, une lumière. Je sautai du lit et allai le prendre. Je sortis de la chambre et allai le vider sur le tapis du salon. La pièce s'éleva et je joignis mes mains pour la recueillir. Une fois au creux de ces dernières, je les refermai sur elle, l'éteignant. La pièce manquante était entre mes mains.

  • Ju ?

La voix de Mila résonna dans le silence de la pièce.

  • Mi ? Je t'ai réveillée ? cafouillai-je. Désolée... Je vais ranger tout ça. Va te recoucher ma puce j'arrive.

Je me dépêchai de tout remettre dans le bac.

  • Tu as trouvé la lumière, Ju ? me demanda-t-elle, s'avançant vers moi.

La prenant par la main, je la conduisis dans notre chambre. Je remis le bac à sa place et cachai la pièce dans mon sac. Je la rejoignis dans le lit et au moment de s'endormir, elle m'étreignit vivement. Au bout d'un moment, elle me marmonna en s'endormant :

  • Maintenant Ju, tu peux réparer ma boîte...
  • Comment ? lui dis-je la forçant à me répondre.

Elle n'arrivait plus à lutter contre ce sommeil qui me la volait.

  • Tu dois réparer ma boîte, Ju... me dit-elle dans un soupir.

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