XVII Parfois, nous rencontrons des disparus...
Judith
- Ju, ça va ? s'enquit Soan. Tu es avec moi ?
- Oui, ça va. Oui, je suis là.
- C'est étonnant que nous ayons réussi du premier coup ! lança-t-il.
- Ah oui ?
- Oui ! Avec Val, nous avons mis plusieurs mois à réussir.
- Nous n'avons pas la même relation, c'est peut-être pour ça, le taquinai-je.
- Oui, sûrement, puisqu'elle a vite réussi avec Lucas. Enfin bref, mets ce foulard sur ton visage en laissant juste tes yeux découverts. Tu es bien trop belle pour être dans ce monde. Personne ne doit te reconnaître.
- Très bien.
- Attends, il est mal mis, me dit-il en le rajustant.
Je voyais bien qu'il avait du mal à résister à la tension qui nous attirait. Il passait ses doigts sur mes lèvres puis me dit :
- Pas d'amour ici. On ne se touche pas, on échange rien.
- Euh... C'est dur ça... réfléchis-je.
- Si tu es découverte, ils ne feront de toi qu'une bouchée. Où est ta boîte ?
- Euh...
- Ne me le dis pas. Ne le dis jamais à personne. Ici pas de confiance, okay ? C'est très important. J'espère honnêtement que tu ne l'as pas sur toi. Mais si c'est le cas, tu ne la sors pas, tu ne la montres pas et tu n'enlèves ton foulard sous aucun prétexte. Est-ce que tu as bien tout compris ?
- Tu m'angoisses Soan...
- Tous les bons sentiments sont détectés à des kilomètres. Alors, remplis-toi de mauvais.
Il respira à fond puis nous sortîmes. Je découvris un endroit merveilleux dehors. Cet endroit était verdoyant, des fleurs magnifiques jonchaient le sol. L'endroit où nous étions disparut et un pas de plus nous projeta dans un monde gris et laid.
Je paniquai soudainement. Soan se retourna vers moi pour vérifier mon état. Je vis son visage déformé. Il était horrible à voir. La peur s'attacha à moi.
Nous rentrâmes dans une caverne qui s'apparentait à un magasin. Il mit plusieurs choses dans deux sacs sortis de nulle part. Un homme rentra. Il avait le visage voilé lui aussi, et tout le monde se retourna sur lui, moi y comprise. Il prit quelques vivres et objets. Soan me tendit un sac puis nous sortîmes. J'aperçus la monture de cet homme qui transportait une malle attelée. Soan me surveillait de loin. Je m'approchai de la malle et posai la main dessus. Soan me fit un non de la tête, mais je ne pus m'empêcher de l'ouvrir. Il y avait une couverture, je plongeai ma main dessous et sentis une petite main me saisir doucement. Je devinai un léger baiser venir se déposer sur la mienne puis la main me lâcha. Mi était bien dedans. L'amour entre nous me raviva, je commençais à dégager de la lumière et Mi aussi. Sentant le danger, je fis mine d'y déposer le sac. Soan s'approcha de moi et me poussa sur le côté. Il referma vivement la malle en la claquant. Il m'attrapa par le cou et me jeta en avant. Cette violence vint me remplir de fureur et je m'éteignis. Les regards se dissipèrent, satisfaits de la haine environnante. L'homme sortit à la hâte, monta sur sa monture et s'enfuit vers là d'où nous venions. Il disparut soudainement.
Soan me parlait dans une autre langue que je ne compris pas et il me fit marcher pendant quelque temps au milieu de ses gens déformés par les mauvaises choses qui les habitaient. Je regardais ces êtres devenus horribles. Certains étaient voilés et d'autres avaient les visages à découvert, affichant leur laideur au grand jour. Ils poussaient des cris pour communiquer. Ils se frappaient et se bousculaient. Mais qu'était ce monde ? La peine m'envahissait et je voulais fuir.
Un homme passa près de moi. Il m'effleura et je crus reconnaître une odeur. Je me retournai vivement et lui aussi. Il m'attrapa par le bras et m'entraîna à l'abri des regards. Il me conduisit en courant, sans jamais me lâcher. Je me retournais pour chercher Soan mais ne le vis pas.
- Judith ! perçus-je.
Arrivés plus loin, à l'écart de tous, il nous fit rentrer dans une espèce de maison. Je cherchais à fuir mais la porte avait disparut. Il me saisit par les bras et me souleva. Il me coinça contre le mur et plongea ses yeux dans les miens. Son regard me mit à nu en deux secondes. Je le reconnus sans peine. Je n'arrivais pas à y croire ! Il défit un peu son voile qui le masquait et mes yeux se remplirent de larmes.
- Judith, lança-t-il. C'est bien toi ?
- Papa ?
- Judith ! entendis-je. Réveille-toi !
Quelqu'un frappa violemment contre la maison. Mon père rajusta vite son voile et disparut en un claquement de doigts.
- Judith ! me secoua-t-on.
Je tombais à terre déversant toutes les larmes de mon corps. Le mur se fendit et je vis Soan qui était là. Il vint rapidement me recouvrir de son corps et me ramena à la réalité.
- Judith, me berça-t-il. C'est bon, c'est fini. Tu es revenue à toi.
- Soan, comment ? Pourquoi ? Mais je ne comprends pas... sanglotai-je.
- Tiens, mouche-toi. Respire à fond et raconte-moi ce qui s'est passé.
- Judith ! réveille-toi !
- Je suis réveillée ! C'est bon, arrête de crier !
Je me ressaisis et lui racontai tout ce que je venais de vivre.
- Tu as vu ton père ? Mais c'est impossible !
- Comment ça impossible ? Je t'assure que c'était bien lui ! J'ai vu son visage.
- Tu as quoi ?
- Il a défait son voile et je l'ai reconnu. Il m'a demandé si c'était bien moi et puis tu es arrivé.
- Mais c'est dingue ce que tu me dis là ! s'exclama-t-il en se levant.
Il fit les cent pas en réfléchissant puis vint s'asseoir dans le fauteuil d'en face.
- Judith ! Bon sang !
- Quoi ? Pourquoi cries-tu ? C'était pourtant bien lui, mais il a disparu quand tu es arrivé.
- Judith, me dit-il l'air désolé, il faut que je t'avoue quelque chose. Je ne sais pas comment te le dire mais il va bien falloir que ça sorte.
- Tu me fais peur Soan... m'inquiétai-je.
Il me raconta d'un trait tout ce que son père lui avait révélé. Je tombais des nues.
- Mais quelle histoire ! Je n'en reviens pas. Et Lucas n'en sait rien ?
- Non, je ne l'ai pas vu depuis et ses informations le mettraient en danger. Lui et toute sa famille d'ailleurs.
- Alors, Lucas serait mon cousin et mon père aurait été assassiné mais ne serait pas mort finalement ? Maintenant que je l'ai croisé dans les rêves, il sait que je rêve aussi. Purée mais quel bordel ! m'exprimai-je hors de moi.
- Je ne saurais te répondre avec certitude. Je ne sais pas moi-même quoi en penser. J'avoue être complètement perdu.
- Ben, pas autant que moi !
- Oui, j'imagine...
Nous restions là, hébétés. Ne sachant démêler le vrai du faux, nous sortîmes de la cabane et allâmes rejoindre Lucas et les autres. Soan était distant et je trouvais ça très étrange. Sur le chemin nous décidâmes de tirer les choses au clair avant d'en parler à Lucas. Tout cela risquait de le troubler et nous ne savions même pas ce qu'il savait de sa propre vie. Nous arrivâmes devant la porte et je posais la main sur la poignée pour l'ouvrir. Elle ne s'ouvrit pas et se déroba sous mes yeux. Je me tournai vers Soan complètement apeurée. Il était laid de nouveau. Son visage était déformé et il criait des choses incompréhensibles. Des mains me lâchèrent et je retombais dans cette maison avec mon père. Une porte claqua. Je me retournais vivement mais ne vis pas de porte.
Mon père s'approcha de moi et me dit :
- C'est bien toi, ma fille ?
Je ne répondis pas. J'étais comme une bête prise au piège. Je me réfugiai dans un coin et me recroquevillai sur moi-même. Je devais me réveiller !
- N'aie pas peur, Judith, tenta-t-il. Je ne te veux pas de mal. Tu veux bien enlever ton voile que je voie ton visage ?
Je me tournais vers lui, j'avais l'intuition que c'était un piège. Soan m'avait dit de n'enlever mon foulard sous aucun prétexte. Je fis non de la tête.
Il s'approcha doucement de moi et posa la main sur moi.
- Judith, c'est pas grave, je comprends.
Il nous transposa dans notre maison. Je revis des souvenirs d'enfance s'animer autour de moi. Mon père commençait à dégager de la lumière et je compris alors qu'il n'était pas un danger. Je me levai alors et vins au milieu de la pièce. Je commençais alors à m'illuminer, moi aussi. Je le vis venir nous embrasser tous les matins avant de partir. Je revis ce jour où Mi et moi étions dans le salon et lui disions au revoir en lui envoyant des bisous avec la main. Un au revoir pour toujours... Je m'aperçus qu'il pleurait lui aussi.
Il me montra la suite des événements de sa vie. Je fus témoin de son assassinat et de sa survie. Il vivait caché depuis... J'étais perdue, je cherchais dans son regard de quoi me raccrocher.
- Ne dis rien de tout ça, Judith. Tu te mettrais en danger ainsi que Mila et je ne veux pas qu'il vous arrive quelque-chose. Laisse-moi finir de régler tout ce foutoir puis nous aviserons de la suite.
- Je, euh... Comment est-ce possible ?
- Parfois, il y a des choses qui ne s'expliquent pas mais qui se vivent. C'est pour ça que je t'ai amenée ici. Je t'ai fait croire au réveil pour que Soan t'avoue certaines choses. Je vois bien que tu ne me fais pas confiance. J'ai manipulé ton esprit pour que certaines choses passent par lui. Ce garçon est quelqu'un de bien et je suis content que vous fassiez alliance. Mila a besoin d'être protégée, Judith, prends soin d'elle.
- Oui, je la protègerai.
- Judith ! m'appela Lucas.
Je me retournai sans le voir.
- Ton cousin t'appelle, Judith. Son pouvoir est bien plus grand que le mien. Je ne vais pas réussir à te garder longtemps.
- Mais Papa, tu ne peux pas me laisser encore. J'ai besoin de toi, en plus Maman ne fait que de ...
- Judith, je ne t'ai jamais laissée. Je n'avais pas le choix, tu comprends ça ? Ils vous auraient tuées toutes les trois sinon.
- Qui ça ? l'interrogeai-je.
- Des gens mauvais...
- Judith ! Reviens-nous !
- Va, ma fille ! Tu sais où me trouver maintenant ! me dit-il en me lâchant la main.
- Mais attends je...
- Judith ?
La voix de Lucas résonnait dans ma tête, m'empêchant de réfléchir. Elle envahissait tout l'espace.
- Allez, réveille-toi, me capta-t-il. Voilà, comme ça. Ouvre les yeux maintenant.
J'obtempérai et inspirai un grand coup. J'expirai doucement la panique intériorisée.
Lucas et Soan étaient là. Je regardais autour de moi pour être bien sûre de l'endroit où je me trouvais. Et si je ne m'étais pas réveillée ? Et si je ne me réveillais plus du tout ? L'angoisse monta. Lucas me saisit par les épaules. Ma tête tourna et je m'évanouis.
Lucas
- Mais punaise ! Qu'est-ce qu'il s'est passé là-bas ? questionai-je Soan inquiet.
- Je ne sais pas ! Un homme l'a attrapée par le bras et j'ai perdu leur trace !
- Quel homme ? m'énervai-je.
- Je n'ai pas vu son visage, Lucas ! s'emporta-t-il. Il portait un voile !
Je vins vers lui puis le transportai dans ses souvenirs, le replongeant ainsi dans ses rêves.
- Regarde-le et analyse-le. J'arrête le temps et toi tu trouves un indice.
- Okay ! fit-il nerveux. Il est grand.
- Soan, fais un effort ! Concentre-toi ! criai-je.
- Okay, alors euh... Ah ! Il a une marque sur la main !
Je le relâchai et lui tendis un papier et un crayon.
- Dessine-la ! ordonnai-je.
- Inutile Lucas, c'est elle ! dit-il en pointant du doigt un dessin punaisé au mur.
- La marque de l'immortalité ? m'étonnai-je.
- Oui, la même que la tienne !
- Je sais qui c'est alors ! m'exclamai-je soulagé.
Je me levai et préparai un liquide à base de plantes. Je redressai Judith et le lui fis ingurgiter. Elle toussa et je crus qu'elle allait le vomir. Elle ouvrit les yeux et ils s'illuminèrent. Elle battit des paupières et ses yeux redevinrent normaux. Elle me regarda et je lui dis :
- Judith, tu es bien réveillée ! Comment tu te sens ?
- Je euh... hésita-t-elle.
- Tu es bien là ! la rassurai-je.
- Je ... Mais qu'est-ce que... dit-elle en essayant de remettre de l'ordre dans sa tête.
- Tu as vu ton père, Ju, lui avouai-je.
- Qui ça ? s'étonna Soan.
- Comment le sais-tu ? se méfia-t-elle.
- C'est Soan qui me l'a dit. Il a reconnu la marque sur sa main.
- C'est quoi cette marque ? demanda-t-elle.
- La marque de l'immortalité. Regarde, c'est celle-là, lui indiquai-je en montrant le dessin.
- Attends Lucas, ce n'est pas possible, intervint Soan. Son père est mort assassiné !
- Non pas vraiment... avouai-je.
- Mais c'est quoi ce bordel ? cria Judith. Tu es qui toi, d'abord ? Comment se fait-il que tu saches tout ça sur moi ? Et toi, Soan, comment sais-tu que mon père a été assassiné ? Quand est-ce que vous allez arrêter de me cacher des choses, hein ?
- Je, euh... tenta Soan confus.
- Ne t'énerve pas Judith ! m'imposai-je. Soan n'y est pour rien. Venez, je vais tout vous expliquer.
Puis, assis en cercle, je leur déballai tout ce que je gardais secret depuis tant d'années. Je ne l'avais encore jamais avoué à personne et ma mère m'avait fait promettre de ne jamais rien révéler à qui que ce soit, à moins d'y être vraiment obligé. Je leur fis promettre à leur tour, de garder tout cela secret. Et nous scellâmes cette promesse dans les planches de cette cabane d'où rien ne devait en sortir. Nos vies et le monde des rêves étaient en jeu et aucun risque ne devait être pris. Je serrai ma cousine dans les bras, reformant ainsi une partie de ma famille. À nous tous nous serions invincibles ! Enfin, c'est ce que je croyais...
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