XXI Parfois, c'est bien d'avoir un peu d'aide...
Judith
- Maman ! s'écria Mila.
- Mais qu'est-ce que... Maman ? m'exclamai-je en rentrant dans l'appartement.
Je vis le père de Soan se détourner de ma mère qui était au sol, la bouche en sang, pour venir vers nous. Je m'avançais vers lui pleine de colère.
- Non, Ju, s'interposa Soan, occupe-toi de ta mère et de Mi, je me charge de mon père.
J'accourus près de ma mère et j'entendis le père de Soan cracher :
- Por fin, regresaste, mi monito ! Sin embargo, te había prohibido salir¹ !
- Padre, calmese por favor² ! tenta Soan, en reculant.
Son regard passait de nous à lui. Il devait savoir ce qui allait se passer et commençait à paniquer. Recroquevillée entre nous, Mila pleurait.
- Venez, nous allons partir d'ici, chuchotai-je.
- Si on bouge, il va nous tuer, me prévint ma mère. J'ai déjà essayé !
La voix de Rodrigues résonna :
- Ven aquí, hijo mio, que te voy a dar una mano de palos³ !
- Padre...
Soan n'avait pas le temps de répondre que son père se jeta sur lui. Il se recroquevillait sur lui-même, encaissant ses coups.
- Ju, utilise tes pouvoirs ! me dit Mi.
- Mes pouvoirs ?
- Oui ! Tu peux nous amener ailleurs ! affirma-t-elle. Tu l'as fait l'autre jour avec moi, tu peux recommencer !
- Mais Mi, je ne sais pas le faire ! me renfermai-je.
- Mais si ! Pose ta main sur moi et regarde.
Elle prit ma main et nous transporta dans un flash-back court. Je me vis la recouvrir et la téléporter dans un autre endroit.
- Tu vois, Ju ! s'écria-t-elle. Allez, refais-le !
Voyant que j'entourais ma mère et Mi de mes bras, l'attention du père de Soan se porta sur nous. Il lâcha So, et se dirigea sur nous. Soan sauta sur son père et l'attrapa de dos par la gorge. Il renferma ses jambes sur les siennes et resserrait son bras autour de son cou. Il me cria de m'enfuir. Je n'arrivais pas à me concentrer totalement et je le regardai en pleurant.
- Pars, Ju ! Sauvez-vous ! me répétait-il à bout de force. Je ne peux plus le retenir !
- Mi debilidad*, s'étouffait Rodrigues.
Je commençais à paniquer, mais Mila capta mon regard.
- Allez, Ju, m'implora-t-elle, refais-le !
Je fermai les yeux puis, imaginant un endroit non loin d'ici, je puisai en moi la force et le pouvoir de nous y transporter et, en claquement de doigts, nous avions disparu de chez nous.
Soan
Mon père finit par se libérer de mes bras. Ses forces étaient décuplées quand il était dans cet état et j'avais beaucoup de mal à avoir le dessus sur lui. Il me frappa au visage en se retournant et m'envoya contre le mur. Il me souleva en m'étranglant et j'aperçus le père de Judith qui entrait les mains pleines de viennoiseries. Il les laissa et vint maîtriser mon père. Je tombai à terre complètement déboussolé.
- Soan ? cria-t-il. Ça va ?
Mon père se débattait comme lion entre ses mains. Le père de Ju était bien plus fort que moi et arrivait à maintenir ce fauve emprisonné.
- Je ne vais pas tenir longtemps ! Va chercher un calmant !
- On arrivera jamais à le lui faire avaler ! paniquai-je ne me redressant rapidement.
- Il avait toujours une seringue sur lui en cas d'extrême urgence !
- Comment savez-vous ça ? l'interrogeai-je.
Mon père s'enfuit de sa domination, mais il le rattrapa en se jetant sur lui. Ils tombèrent sur la table, renversant ce qui était dessus. Il le coinça de nouveau avec tout son corps, mais mon père s'échappa de nouveau.
- Rodrigo ! Mais putain ! s'énerva le père de Ju. Reviens-nous !
Mon père tenta de m'approcher mais il le fit tomber en le clouant au sol de tout son poids. Ses muscles se contractèrent et il le coinçait face contre terre.
- Dépêche-toi Soan ! aboya-t-il. Je ne tiendrai pas longtemps !
- Mais je ne sais pas où je peux trouver ça !
- Vide ses affaires, Soan ! gémit-il. Cherche ! Il en a toujours une ! Cours fils !
Je partis précipitamment chez moi. J'allai directement dans sa chambre et vidai les étagères. Je balançai tout par terre cherchant je ne sais quoi. Je ne trouvai rien. J'ouvris les tiroirs en les balançant par terre eux aussi. Je ne trouvais toujours rien. Des bruits de casse me parvinrent de l'appartement d'à côté. Le père de Judith devait faiblir. Il fallait que je trouve vite une solution. Je me retournai pour enjamber ses habits quand je vis une seringue scotchée sous un tiroir. Je l'arrachai et courus dans l'appartement d'à côté. Mon père se tenait sur celui de Ju, et ce dernier commençait à perdre connaissance. Je lui sautai dessus et lui injectai le calmant. Quelques secondes plus tard, il s'écroula au sol.
Soulagé, le père de Judith revenait doucement à lui. Il s'assit et j'en fis autant, relâchant la pression et l'adrénaline en expirant fortement. De longues minutes de silence suivirent puis, me tendant la main, il se présenta à moi.
- Salut Soan, fit-il d'une voix faible. Je m'appelle Nicolas.
- Salut Nicolas, répondis-je en lui serrant la main.
Nous nous sourîmes, nous remerciant mutuellement. Je regardais autour de moi l'appartement dévasté et des larmes me montèrent.
- Allez, pleure pas fiston, me réconforta Nicolas. Ce n'est que du matériel, je vais tout arranger.
- Combien de temps va-t-il dormir ?
- Bah, au moins deux jours ! déclara-t-il. C'est du lourd ces calmants-là.
- Il lui faut au moins ça ! m'exclamai-je. Venez, nous allons l'installer dans sa chambre.
Il acquiesça et nous portâmes le poids mort jusqu'à son lit. Je pris le temps de ranger les affaires éparpillées au sol et fermai la porte à clef. Nicolas sortit de la salle de bain rafraîchi, et mit ses mains sur mes épaules.
- Eh bien ! soupira-t-il. Tu es fort mon petit !
- Pas plus que lui ! affirmai-je.
- Oh si ! renchérit-il. Bien plus fort ! Allez, viens, on va ranger l'appartement de ma femme.
Puis, comme si ce qui venait de se passer était tout à fait normal, il passa son bras sur mes épaules et me conduisit chez Ju.
Judith
- Tout le monde va bien ? questionnai-je.
- Oui, répondit Mi en me sautant dans les bras, tu as réussi !
- Oui, j'ai réussi ma poupée... Maman ?
- Oui, Ju ça va... répondit-elle choquée. Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?
- J'ai, comment dire...
- Ju a des pouvoirs ! dit Mila sur un ton mystérieux.
- Des pouvoirs ? m'interrogea ma mère.
- Oui, bon, c'est compliqué... Maman ?
Ma mère pleurait. Elle avait des marques dans le cou et sur le visage. Ses lèvres étaient gonflées et elles saignaient.
- Oh... Maman, viens par là...
Elle se pencha sur moi en pleurant. Elle n'avait plus de force. Je restais près d'elle et la berçai. Quand elle fut en état, je la questionnai sur les évènements de la veille et elle me raconta tout ce qu'il s'était passé sans rien omettre. J'écoutai en silence en assimilant toutes les informations. Je me demandais bien pourquoi Rodrigues avait autant déraillé. Il manquait certainement une pièce au puzzle.
- Papa est là ? s'enquit Mila. Je vais pouvoir le voir moi aussi ?
- Non ma puce, il est reparti tôt ce matin.
- Il ne veut pas nous voir ? pleura-t-elle. Mais pourquoi il ne nous aime pas ? hurla-t-elle.
- Mais non Mila ce n'est pas ça...
- Tu n'es qu'une menteuse toi aussi ! redoubla-t-elle.
- Hey ! m'interposai-je. Mila ! Tu ne parles pas comme ça à maman !
- Mais, elle...
- Il n'y a pas de mais, Mila ! la repris-je. Tu t'excuses tout de suite !
- Pardon... roumégua-t-elle. Pardon maman...
- Ce n'est rien ma puce, concéda-t-elle. Il ne faut pas qu'on se dispute toutes les trois, nous sommes une famille, d'accord ?
- Oui maman, dit-elle en se réfugiant dans ses bras.
- Doucement ma perle. J'ai mal partout...
- Tu veux un bisou magique ? lui demanda-t-elle.
- Oui je veux bien, accepta-t-elle en souriant.
Je nous regardai, toutes les trois, assises dans l'herbe, nous formions un drôle de trio. Les gens s'arrêtaient sur le visage abîmé de ma mère et elle, n'avait d'yeux que pour nous. Nous restâmes un moment dans notre bulle de réconfort puis mon téléphone sonna.
- So, ça va ? m'exclamai-je en m'éloignant.
- Oui, répondit-il d'une petite voix. Ça va... Où êtes-vous ?
- On est derrière le parc, vers le lac.
- Comment va ta mère ?
- Pas super, elle est perturbée. Et ton père ?
- Je lui ai injecté un calmant. Il va dormir pendant deux jours au moins. Enfin, je l'espère... Je suis tellement désolé, Ju, dit-il d'une voix brisée. Je ...
- Ce n'est pas de ta faute, Soan. Tu ne pouvais pas savoir... Où tu es toi ?
- Je suis chez toi, affirma-t-il. Venez, vous pouvez rentrer tranquillement.
- Judith, ma fille ? coupa mon père.
- Papa, c'est toi ?
- Oui ma chérie, pleura-t-il. Écoute-moi, mon ange, je n'ai pas trop le temps de tout t'expliquer. Soan le fera pour moi quand vous vous verrez.
- Mais attends !
- Je ne peux pas, Judith, je n'ai pas encore terminé ce que j'avais à faire. Je t'ai laissé un paquet d'argent, dans le tiroir de ta chambre. Veille sur ta mère et sur ta sœur jusqu'à mon retour. Je reviendrai vite, ma fille, pardonne-moi, Judith, je vous aime... dit-il dans un sanglot.
- Papa ? Papa ! criai-je au téléphone.
Il avait raccroché. La colère monta en moi, m'animant. J'allais retrouver ma mère et ma sœur puis leur indiquai qu'il fallait vite rentrer. Ma mère, qui avait entendu ma conversation, me fit signe de partir devant. Je m'enfuis donc en courant espérant retrouver ce père qui ne faisait que de me fuir. Arrivée devant la maison, essoufflée, j'entrai dans le bâtiment en vitesse. Une main vint se plaquer sur ma bouche et quelqu'un me transporta dans le local jouxtant la porte menant aux escaliers. Mon père me fit face en me plaquant au mur. Il garda sa main sur ma bouche et me chuchota.
- Ne crie pas d'accord ?
Je fis oui de la tête et il me libéra.
- Mon Dieu, Judith ! m'enlaça-t-il. J'ai tellement désiré que ce moment arrive.
Il me serrait vraiment trop fort. Je mis mes mains sur lui pour me dégager et pour pouvoir le regarder dans les yeux. Il pleurait. Il prit mon visage dans ses mains, le rapprocha du sien et me dit dans les yeux :
- Tu dois me laisser partir, si Mila arrive je vais craquer.
- Papa... soufflai-je en baissant la tête.
- Ma fille, regarde-moi, exigea-t-il en me la relevant. Je t'en supplie, ne m'en veux pas d'accord ? Je n'ai pas d'autre choix et c'est déjà très dur pour nous tous. Reste forte, tu veux bien ?
Il m'en demandait trop mais je n'arrivais pas à refuser. Mes larmes inondèrent mes joues, trahissant ainsi toute ma peine. Il les effaça avec ses pouces et me dit :
- Mon coeur, sanglota-t-il, s'il te plaît ne pleure pas.
- Vas-y... reniflai-je. Pars vite, maman et Mi arrivent.
- Je t'aime ma fille... me dit-il en m'embrassant.
Puis il disparut de sous mes yeux. Le local toujours fermé, je m'assis dans un coin enserrant mes jambes, remontées contre mon torse. La lumière s'éteignit, me plongeant ainsi dans le noir de mon profond chagrin. Quelques minutes passèrent puis la voix de Soan traversa mes épaisses ténèbres.
- Salut vous ! accueillit-il ma mère et ma sœur.
J'entrouvris la porte et les regardai entrer dans le bâtiment. Soan soutenait ma mère pour l'aider à monter les deux marches qui séparaient le hall du rez-de-chaussée. Il releva la tête et croisa mon regard. Ma mère en fit de même. Ils m'avaient tous les deux découverte.
- Mais elle est où Ju ? demanda Mila.
Ils échangèrent un regard et je refermai doucement la porte n'entendant plus que leurs voix.
- Elle... répondit So sans trouver une fin à cette phrase.
- Elle va venir ma chérie, continua ma mère. Elle a certainement dû croiser quelqu'un. Elle va arriver.
- C'est vrai, So ? lui demanda-t-elle en entrant dans la cage d'escalier en premier.
Je ne pus m'empêcher de sourire.
- Oui, c'est vrai ! confirma-t-il soulagé, tenant la porte à ma mère. Si tu veux, une fois que je vous aurai raccompagnées, j'irai la chercher !
- Mais So...
Les voix se fondirent et je n'entendis bientôt plus rien. Je me rassis quelques instants et fis le vide dans ma tête. J'avais besoin de quelques minutes encore, j'appuyai la tête contre le mur et fermai mes yeux humides.
Soan
Mila nous devançait et Gislann en profita pour me questionner à propos de mon père. Je la rassurai en lui disant que je lui avais administré un puissant sédatif et qu'il allait dormir pendant au moins deux jours. Quand nous rentrâmes dans leur appartement, elles découvrirent un endroit chaleureux, rangé et ordonné. Mobilier changé et décoration cosy, elles ne revenaient pas de ce qu'elles avaient sous les yeux.
- Mais ce n'est pas chez nous ça ! s'exclama Mi.
- Mais si ma petite cocotte ! déclarai-je en la soulevant. Voici ta nouvelle maison, elle est belle, non ?
Elle s'approcha de moi et me chuchota à l'oreille :
- Merci ! So, tu es mon héros !
- C'est pas moi, lui dis-je en secret, c'est ton papa.
- Oh ! fit-elle en se recouvrant la bouche.
Je la posai à terre et je vis Gislann qui caressait les nouveaux meubles.
- J'ai du mal à croire à tout ça ! Mais comment ?
- Il faut dire que Nic a de super pouvoirs ! lançai-je en faisant un clin d'œil à Mila qui me sourit.
- De super pouvoirs dis-tu ? dit-elle en s'asseyant.
- Vous avez de quoi grignoter dans le frigo, je vais vous laisser, j'aimerais aller voir Judith.
- Oui, bien sûr Soan, dit-elle en se levant, les yeux prêts à déverser des larmes.
- Ça va aller ? déglutis-je.
- Oui, ne t'en fais pas. Merci pour tout.
- Je...
- Allez, pars ! me coupa-t-elle.
Puis, me retournant je partis rapidement pour aller retrouver un petit coeur meurtri, caché dans un placard.
¹ Enfin ! Tu es rentré, mon rejeton ! Je t'avais pourtant interdit de sortir !
² Père, calmez-vous, je vous en prie.
³ Viens ici, mon fils, que je te mette une râclée !
* Ma faiblesse
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