VI
Quinze minutes plus tard, Barty était sous l'eau et tentait veinement de nettoyer le sang dans son dos. Il avait l'impression qu'il s'était incrusté sous sa peau, comme un marquage ou un tatouage qui resterait, bien après que la douche soit terminée. Les images ne cessaient de revenir dans sa tête, comme un extrait de film en boucle. Et cette odeur... Il avait l'impression qu'elle s'était collée à lui et s'était si habilement glissée dans ses narines qu'elle ne pourra jamais le quitter. Il sentit une nouvelle nausée l'envahir, mais il s'efforça de se concentrer sur autre chose. Au moins, il ne tremblait plus.
À peine monté au dernier étage, son père lui avait lancé un regard glacial avant de lui dire de prendre des vêtements dans le dortoir et de se laver. Quand il aura terminé, il devra le rejoindre dans son bureau.
Et c'était probablement le pire. Le fait qu'il lui demande de le rejoindre et ses yeux dédaigneux qui le jugeaient. Il aurait préféré qu'il lui crie dessus et le secoue un bon coup plutôt que ça. Qu'allait-il lui dire ? Allait-il le frapper ? Lui demander d'oublier définitivement Tellas ? Allait-il devoir renoncer à son héritage ?
Il inspira profondément pour se calmer et éteignit l'eau. Même avec toute la force du monde, il n'arrivera jamais à oublier tout ce rouge et ce rose, et cette main qui s'était baladée sur sa peau... Ni à se débarrasser de cette impression de marquage.
Il enfila les habits qu'il avait pris - un drôle d'uniforme plus grand que lui, probablement ce que devaient porter les matons avant - et quitta les douches. Il retraversa les dortoirs et se retrouva dans le couloir. Nerveux, ne voulant laisser la peur le traverser, il frappa directement à la porte du directeur Sanders. Dès qu'il entendit l'autoritaire "Entre !", il ouvrit doucement la porte et se glissa à l'intérieur. La pièce était classique et contenait deux chaises, l'une pour Mary Sanders et l'autre pour son mari. Le bureau était juché de dossiers et faisait face au garçon. Il n'y avait aucune photo, rien n'était affiché, il n'y avait qu'un mur jaunâtre de la même couleur que la bile qu'il avait recrachée une demi-heure plus tôt.
M. Sanders le fixait d'un air froid, pendant que sa femme le jugeait d'un œil désaprobateur.
- Tu m'as désobéi. Je t'avais demandé de ne pas adressé la parole aux prisonniers, et qu'est-ce que tu as fait ?
- J-j'ai adressé la parole à un prisonnier...
- Tu mériterais un coup de ceinture, mais j'estime que le fait d'avoir vu ton erreur suffit amplement.
Barty baissa la tête. Sa pire punition, surtout, c'était d'entendre la déception dans la voix de son père.
- À présent, tu as le choix. Soit tu vas attendre dans l'hélicoptère, soit tu vas dans le salon, et je ne veux plus t'entendre. J'ai cru que tu étais suffisamment mature pour comprendre que les règles ne doivent pas être transgressées, mais visiblement, je me suis trompé. Tu ne reviendras pas à Tellas.
Sa dernière phrase lui fit l'effet d'un coup de poignard dans le cœur. D'une certaine manière, il l'avait mérité, il aurait dû écouter Grayson et remonter. Et pourtant... Pourtant, il ne put s'empêcher de se dire que c'était totalement injuste. Certes, il avait fait une erreur. Mais, déjà, il finirait probablement traumatisé par ce qu'il avait vu. Ensuite, comment pouvait-il lui interdire de revenir à cause d'une seule faute ?
- Barty, tu ne m'as pas entendu ?
Mais sa voix, où un avertissement était décelé, ne le décida pas à obéir. Pas cette fois.
- Qu'est-ce que j'étais censé faire d'autre ? Rester dans ma chambre et ne jamais venir ? Vous ne m'en avez jamais parlé ! Quand je pose des questions, on me dit de me mêler de mes affaires. Je n'ai pas d'amis, je m'ennuie avec les profs qui viennent, je ne vous vois jamais ! Et surtout, vous dites que je serai l'héritier de Tellas, alors que je ne savais même pas ce que c'était ! Et, quand tu m'as autorisé à venir, tu m'as parlé deux minutes avant de me laisser me débrouiller tout seul !
Un blanc suivit son explosion de colère. Il n'osait plus lever les yeux vers ses parents et craignait que, cette fois-ci, son père ne renoncera pas aux coups de ceinture. La pièce devint, d'un coup, étouffante. Il vit, du coin de l'œil, son père se lever de sa chaise et s'approcher de lui. Mais au lieu d'enlever sa ceinture, il posa sa main sur son épaule dans un geste un peu brusque. Surpris, l'enfant le regarda.
- Tu n'as pas vraiment tort, soupira l'homme. Mais ta mère pensait - et à raison - que tu étais encore trop jeune. Cela dit, tu as pu voir par toi-même ce qu'était vraiment ce centre pénitencier. Qu'en retires-tu comme expérience ?
- Je... Je ne sais pas trop. Les gardiens sont violents... Mais les criminels sont dangereux... Et cet homme qui... Il semblait si normal...
- Ce sont souvent les personnes qui paraissent les plus banales qui sont les plus dangereuses. Ce sont des pourritures, des déchets de l'humanité. Et tu ne seras jamais comme eux. Tu sais à qui tu as eu affaire ?
Barty secoua la tête. M. Sanders retira maldroitement sa main et commença à contourner le bureau pour se rasseoir.
- Les flics le surnommaient l'Insaisissable. Pendant cinq ans, il abusait d'enfants de ton âge, parfois plus jeunes. En cinq ans, on estime qu'il aurait violé près de cinq cents enfants. Les parents étaient dingues. Manque de chance pour lui, sa dernière victime était un enfant d'un flic. Il l'a coffré alors qu'il s'était introduit dans la chambre de la gamine.
L'enfant sentit un frisson glacial le parcourir. Il avait failli être le cinq cent et unième.
- D'ailleurs, ajouta Mary Sanders, il était le candidat du premier étage pour le tournoi.
Son mari se passa la main sur sa barbe naissante, l'air épuisé.
- C'est quoi cette histoire de tournoi ?
- Une fois par mois, on nous livre de nouveaux prisonniers. Or, il faut de la place, donc nous organisons un tournoi. Chaque nouveau venu doit affronter un détenu par étage, il accède à l'étage du dessus en tuant le précédent taulard.
- Et s'il arrive à tous les tuer ?
- C'est très rare. Il faut que la personne soit vraiment expérimentée. Mais dans ce cas, il intègre une des cellules libres, selon sa force... Tu sais quoi ? Comme celui du premier étage est mort, tu vas pouvoir choisir toi-même le candidat du tournoi.
M. Sanders lui tendit une pile de dossiers. Barty les ouvrit et découvrit les photos ainsi que des informations sur les détenus du premier étage. Il reconnut sur l'un d'entre eux celui qui s'était échappé. Enfin, il s'arrêta sur le cannibale qui avait voulu le découper en morceaux. Il lut les informations et se retint de refermer le dossier. Tout ce qu'il avait dit, sur les membres de ses parents retrouvés dans le congélateur, était vrai.
- Lui.
Son père regarda.
- Bon choix. Il est assez fort, mais plutôt stupide. Il a déjà gagné deux tournois à lui tout seul.
Il le récupéra. Le jeune Sanders comprit qu'il devait prendre congé. Malgré tout, une question lui brûla les lèvres.
- Papa... Est-ce que tu penses que je serai un bon directeur ?
Le plus vieux releva les yeux vers lui. Il avait les mêmes yeux que lui, les cheveux ébouriffés et ne manquait pas de courage. Il avait fait une erreur, mais qui n'en faisait pas ?
- Tu seras l'un des meilleurs directeurs que Tellas n'ait jamais connu.
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