Deux ombres se glissèrent dehors et fermèrent la porte sans un bruit. Elles filèrent le long de l’allée pour rejoindre le portail. L’air de la nuit les saisit. Diane resserra autour de son cou le foulard emprunté à sa mère. Ils trottinèrent dans la rue en pente jusque chez Mathias. Le gendarme venait de finir sa journée de travail et les avait invités à prendre une bière malgré l’heure tardive. Les deux oiseaux de nuit acceptèrent aussitôt.

Diane frappa trois petits coups à la porte. Les pas de son frère s’approchèrent. Il leur ouvrit la porte, un sourire aux lèvres. La jeune femme essuya ses pieds sur le paillasson et lâcha un soupir en retrouvant la chaleur de l’intérieur. La maison ne ressemblait pas à un catalogue des tendances en termes de décoration et d’ameublement. Mathias meublait l’endroit avec de la récupération. En résultait un intérieur sans cohérence où tout paraissait vieillot.

— Si vous cherchez à vous installer dans le coin je peux me renseigner, les taquina Mathias en fermant la porte.

Sa sœur se défit de sa veste et de son foulard avant de se laisser tomber sur une chaise.

— Adam a tenu à faire le pèlerinage à Saint-Pardoux et Chevillou, mais t’inquiètes, on sera parti dans quelques jours.

Le gendarme attrapa trois bières dans le bac du réfrigérateur.

Il en donna une à Adam en questionnant :

— Alors, pas trop déçu par les lieux de notre enfance ?

— Un peu tristounet le lac en cette saison. Mais j’ai caressé les chèvres au moulin et j’ai donné du grain aux poules. Au moins, aucun poney ne m’a attaqué.

Mathias rigola de bon cœur.

— Tu l’aurais vu, ce bon parisien, les pieds dans le guano à nourrir la basse-cour. J’ai fait des photos, ça va se vendre à prix d’or en rentrant.

Diane décapsula sa bière, en avala une lampée et avisa l’étiquette.

— Oh ! Tu as pris cerise ! Tu te souvenais que ce sont mes préférés ? s’exclama-t-elle tout sourire.

— Pour qui tu me prends ? C’est moi qui t’ai fait boire ta première bière et c’était celle-là même.

Mathias lui tendit sa bouteille pour trinquer.

— Alors ? demanda Diane entre deux gorgées. Quoi de neuf inspecteur ?

— Compliqué, je vais de découverte en découverte. Je pense que je vais devoir en parler à l’adjudant.

— Mais, ça ne va pas te causer d’ennuis ? s’inquiéta Adam.

— Si, certainement, mais bon, je commence à avoir du solide.

Mathias ne tenait pas vraiment à parler boulot ce soir.

— Tu garderas un bon souvenir de ta visite chez nous ?

— C’est sûr ! Diane m’avait décrit ça comme le pire endroit de France, au final c’était hyper enrichissant.

La jeune femme leva les yeux au ciel avant d’ajouter :

— Si on met de côté les interrogatoires de mémé et son obsession à vouloir lui trouver une petite amie.

Adam grimaça.

— Je ne veux pas la choquer.

— La choquer de quoi ? s’énerva Diane. Tu ne fais rien de mal à ce que je sache, c’est à elle d’évoluer.

— Je ne veux pas la mettre mal à l’aise, ou que ça créé un froid.

— C’est pas à son âge qu’elle va acquérir de l’ouverture d’esprit, appuya Mathias. Elle a entendu des absurdités toute sa vie sur beaucoup de sujets.

Diane entreprit d’arracher nerveusement l’étiquette de sa bouteille de bière.

— Non mais ça me met en boule, c’est ça le privilège de la vieillesse ? Que personne n’ose rien te dire sous prétexte que tu es âgée, peu importe si tu es offensante ou blessante.

— Tu parles seulement pour Adam ou tu as quelque chose sur le cœur par rapport à mémé ?

Mathias sut qu’il touchait un point sensible en voyant sa sœur se laisser aller contre le dossier, bras croisés, attitude de repli et de fermeture à la conversation qu’elle adoptait depuis petite.

— Tu sais, dans quelques années elle ne sera plus là. Ne garde pas de rancœur contre elle, ça va te bouffer et tu t’en voudras.

Les yeux de Diane se firent larmoyants.

— C’est que, c’est en partie sa faute si Quentin et moi…

Elle détourna les yeux et ses lèvres tremblotèrent. Adam prit une mine triste et chercha la main de son amie. Elle la lui donna et eut alors le courage de poursuivre.

— Tu la connais, avec ses questions insidieuses. J’étais venue avec Quentin et elle voulait savoir combien d’enfants il aimerait avoir. Donc lui en voulait deux ou trois et j’ai dit que moi, je ne pensais pas vouloir d’enfant.

Le silence s’installa. Adam ne connaissait pas les détails de l’affaire, Diane la racontait pour la première fois.

— Sur le coup, il a trop rien dit. Mémé a affirmé que ça me viendrait, que j’étais jeune. Mais je l’ai toujours su, je ne veux pas d’enfant. Quentin m’en a reparlé quelque temps après et en voyant que j’étais catégorique ça l’a bloqué. Il ne se projetait pas avec quelqu’un qui ne voudrait pas fonder une famille.

Adam serra les doigts de Diane en voyant une larme rouler sur sa joue. Elle attrapa sa bière et la reposa vide. Mathias ne savait trop quoi dire.

— Mais… peut-être qu’elle disait juste, qu’avec le temps tu aurais changé d’avis.

Sa sœur lui lança un regard noir.

— Pourquoi c’est si compliqué d’entendre qu’une femme ne veut pas d’enfants ? Je ne suis pas un utérus sur jambes. C’est pas mon truc. Ils ne seraient pas heureux et moi non plus.

Devant son agressivité, le gendarme classa le sujet comme sensible.

— Diane, je m’en fiche, tu fais bien comme tu veux.

— Mais pas mémé, ni maman. Si elle l’apprend, elle va encore plus m’en vouloir. On dirait que je lui dois des petits-enfants, elle en parle sans arrêt.

Elle se leva pour trouver de quoi se moucher. Mathias rechargea en bière et attendit qu’elle reprenne sa place.

— Tu ne dois rien à personne ok ? Si elles ne peuvent pas s’en accommoder ça sera leur souci. Tu crois que je n’en prends pas pour mon grade avec mon étiquette de vieux garçon ? rit-il.

Diane sourit enfin. Adam décapsula les bières et les distribua.

— C’est par choix ou tu n’as pas le temps de faire des rencontres ?

Ce fut à Mathias de se rembrunir.

— J’en sais rien. Je ne suis pas doué pour ces choses-là.

— Y’a quelqu’un qui te plait en ce moment ?

C’était bien la première fois que le frère et la sœur parlaient autant de leur intimité. Mathias, nerveux et gêné, se gratta la barbe.

— Pff… euh… tu sais…

Il décida de se jeter à l’eau.

— Quand je suis allé à l’Inrap, j’ai rencontré cette carpologue et… bon bah elle était très jolie.

Diane lança un regard complice à Adam.

— Tu dois avoir ses coordonnées non ? Tente le coup.

— Non, je n’oserai pas. Et puis, c’est dans le cadre du travail, il ne faut pas tout mélanger.

— Elle t’a rappelé ?

— Pas encore.

L’horloge de grand-mère sonna une heure du matin.

— Et donc, tu ne veux vraiment pas nous dire ce que tu as découvert dernièrement sur ton enquête ?

— J’ai fait des recherches au cadastre, et il se trouve que Jaques Reignac, par sa femme, était propriétaire d’un manoir dans les Monts de blond.