Bière et Belladone
— Tu as récupéré les vêtements de pépé ou quoi ?
— N’exagère pas non plus, c’est du basique c’est tout, je ne suis pas quelqu’un d’extravagant.
Diane tira sur un tee shirt, faisant dégringoler la pile au sol. Elle le jeta sur le lit, du côté des vêtements non retenus.
— C’est pas non plus un casting ou un défilé de mode, je mets la première tenue qui vient et voilà.
— Mathias, ça fait combien de temps que tu n’as pas eu de rendez-vous ? Autant en profiter pour mettre le paquet.
Le gendarme râla et s’assit sur le bord du lit, laissant sa sœur poursuivre son tri.
— De toute façon, je ne pense même pas qu’elle ait compris que c’était une invitation.
— Ça n’empêche pas d’apprendre à se connaître, tiens mets ça.
Elle lui tendait un pull kaki.
— T’es sûr ? Je suis serré là-dedans au niveau des bras.
Il s’exécuta pourtant, le passant par-dessus son tee-shirt. Diane ajusta les épaules, se recula et fit la moue.
— Mouais, effectivement ça n’est pas terrible, on dirait un rôti. Mais c’est pas une mauvaise chose, tes bras sont justes trop musclés.
Mathias s’empressa de retirer le pull dans lequel il étouffait. Diane se remit à fouiller l’armoire. Il se maintenait en forme quotidiennement, une rigueur à adopter pour ne pas se laisser surprendre par les situations épineuses de son métier. Quarante-cinq minutes de musculation par jour et un jogging quand il en avait le temps. Son matériel s’entassait dans un coin de sa chambre, à côté de ce que Diane appelait « le banc de torture ».
— En plus, on va parler des résultats, tu sais, l’échantillon de plante. Je me vois mal la questionner sur sa vie privée après ça.
— Laisse la place à l’imprévu, à trop te faire des films tu vas arriver complètement bloqué. Tu verras bien si elle est détendue déjà, ou si elle reste purement professionnelle. Tiens.
Elle lui jeta un pull léger en mailles blanches.
— Tu sors souvent ? demanda-t-il, la voix étouffée par le vêtement qu’il enfilait.
— Humm…
— Ça veut dire quoi ce bruit ? Oui ? Non ?
— Oui je sors. Ça te va mieux, on va partir là-dessus.
À l’évidence, Diane ne voulait pas aborder ce sujet. Mathias laissa filer. Les amours de Diane, un grand sujet tabou depuis Quentin. Il espérait qu’elle s’en remette un jour.
Sa sœur déplia sur le lit un jean noir et un pantalon en tissu marron clair.
— Adam promène son amoureux ?
— Ouaip, il est arrivé hier. Je suis trop contente de le rencontrer, il a l’air super gentil.
Malory venait passer le week-end avec eux, l’éloignement entre les deux tourtereaux devenant trop pesant. Diane pensait repartir le lendemain dans l’après-midi. Pour le moment, le pauvre Malory donnait à manger aux animaux de la ferme du moulin de Chevillou, sous l’œil attendri de son jules. L’ambiance romantique rêvée attendrait…
— Et avec mémé ?
Diane se décida pour le pantalon marron. Elle replia l’autre dans le placard le temps que son frère l’enfile.
— C’était tordant. Je n’ai pas hésité à présenter Malory comme le petit ami d’Adam. Elle a fait le visage de quelqu’un qui croque dans un citron mais s’est gardée de faire une remarque désobligeante.
— Tu exagères, sourit Mathias. Bon, on valide ou non ?
— Tourne.
— Non mais ça va, tu ne vas pas me matter les fesses, c’est gênant.
— Estime-toi heureux d’en avoir, autant les mettre en valeur.
Il soupira et fit un tour sur lui-même, les bras tendus. Diane afficha une mine satisfaite.
— Tu es fin prêt Don Juan.
La jeune femme consulta son téléphone.
— Ola mais le temps file, je vais ranger ce bazar, toi vas-y.
— Profite que les garçons ne soient pas là pour passer un peu de temps avec maman, ça lui fera plaisir.
Il entendit sa sœur grogner.
Mathias attrapa ses papiers et ses clés de voiture. Il entra dans l’application GPS le nom du bar choisi par Maria-Louisa. Le stress commençait à monter. Il tira sur le col de son pull et respira un bon coup.
Détends-toi mon pépère, tu ne vas pas au bagne.
Il alluma le contact et prit la route en direction de Limoges et de la jolie carpologue. Une fois le véhicule garé, il se hâta à travers les rues pour arriver à l’heure. La ponctualité, pour lui, montrait la fiabilité d’une personne. Rien de plus rageant que ces gens qui se montrent avec plus d’une heure de retard, tout sourire, alors que vous poirotez dans le froid. L’endroit lui apparut comme chaleureux. Une dominante rouge dans les lumières et les tapisseries donnait au bar un côté cocon. De grands tableaux de pop culture égaillaient les murs. Mathias tiqua sur la peinture d’un Mickey dressant ses deux majeurs.
Charmant…
Il repéra la chevelure de Maria-Louisa à l’intérieur. Déjà installée, elle semblait happée par ce qu’elle lisait sur son téléphone. Il s’engouffra dans le bar, dérangeant les fumeurs agglutinés devant l’entrée.
— Bonjour, je peux m’asseoir ?
Elle leva aussitôt le nez de son article scientifique et se fendit d’un grand sourire.
— Mais oui bien sûr, comment allez-vous ?
— Bien merci, vous pouvez me tutoyer.
— Alors fais pareil, rigola-t-elle.
Ils échangèrent un moment avant de se pencher sur la carte des boissons.
— Je vais aller directement au bar, annonça Maria-Louisa. Les serveurs ont l’air débordé. Qu’est-ce que tu prends ?
— La bière aux fruits rouges s’il te plait.
Elle s’éloigna pour attendre avec les autres clients venus réclamer leur pinte. Le gendarme lorgna sur ses jambes emprisonnées dans des collants noirs semi-opaques, sur lesquels reposait une robe bleu marine arrivant au-dessus du genou. Il détourna pudiquement les yeux au moment où ses pupilles remontaient sur la courbe du fessier de la jeune femme.
Mathias remarqua le nombre de jeunes gens présents, certainement des étudiants. Ils n’étaient pas de service ce soir, d’autres collègues feraient souffler les quelques éméchés assez bêtes pour reprendre le volant.
Il pensa à Diane et à son départ le lendemain. Il espérait maintenir pérennes les liens qu’ils venaient de retisser en quelques jours. En tant que grand frère, il lui souhaitait le meilleur. La savoir encore malheureuse de sa séparation le peinait. Si l’idylle d’Adam se concrétisait, combien de temps faudrait-il pour qu’elle se retrouve seule dans son appartement parisien ? Diane était un animal social, pas faite pour la vie solitaire.
Ses pensées sautèrent ensuite sur le sujet de son enquête. Il avait consigné la veille les révélations faites par Louisette. Un bond en avant dans l’affaire Jacques Reignac. Qui pouvait se soucier assez de Nicole pour tenter d’entrer en contact avec elle dans l’au-delà ? Pour quel motif ? La vengeance ? L’héritage familial ? Mathias se perdit dans ses réflexions jusqu’au retour de Maria-Louisa.
Ils restèrent quelques instants silencieux, goutant la boisson fraiche et se délectant de ses arômes de sous-bois.
— Alors, je suppose que vous tu es pressé d’en savoir plus sur cet échantillon.
Mathias reposa son verre sur son sous-bock.
— J’avoue que je suis très curieux oui.
— J’ai rapidement identifié que c’était un solanacée, mais bon, une fois qu’on sait ça, on ne sait rien tant il y a de variétés. J’ai pu déduire qu’on avait affaire à des feuilles sinuées et j’avais même des débris de fleurs. Pas très grande je pense cinq à douze centimètres, pas plus, corolle en entonnoir. Et puis des graines noires de trois millimètres avec embryon spiralé…
Elle croisa le regard de son interlocuteur, qui la fixait avec deux grands yeux de hiboux. Maria-Louisa éclata de rire.
— Excuse-moi, je crois que je me suis un peu emballée, déformation professionnelle.
Mathias se gratta la nuque, gêné.
— Non, pas de soucis, mais si tu me demandes de répéter je passe mon tour.
Elle rit encore. Un rire franc et solaire, qui faisait briller ses yeux. Le gendarme sentit ses joues rosir. Il la trouvait si belle.
— Bon, alors je te passe les détails techniques mais j’ai identifié la plante. On peut dire que j’ai été bien étonnée. Et puis, je me suis souvenue du cercle que tu m’as montré et ça a éclairé ma lanterne. Je peux te dire que parmi les noms qu’on donne à cette plante, il y a « herbe du diable » et « herbe au sorcier ».
Le temps sembla s’arrêter autour de Mathias. Son attention tout entière convergeait vers les mots qui jaillissaient des lèvres de la carpologue.
— En fait, c’est du datura stramonium. Pour ne pas t’assommer avec des termes alambiqués, disons que toutes les parties de la plante sont toxiques.
— Que se passe-t-il si on inhale la fumée dégagée quand on la brûle ?
Mathias tremblait presque d’excitation.
— Toux, trouble visuel et cardiaque, hallucinations durables et persistantes et pour finir…
— … la mort, compléta Mathias, le cœur battant.
Maria-Louisa acquiesça. Le silence retomba, elle prit une gorgée de bière.
— Ça va ?
Mathias restait muet, la bouche entrouverte, le cerveau fonctionnant à toute vitesse. S’il ne se retenait pas, il embrasserait la carpologue à pleine bouche pour lui avoir fourni cette révélation.
— Je crois… je crois que tu viens de me donner une des pièces les plus importantes du puzzle.
Le compliment toucha sa destinataire, qui remonta ses lunettes avec un petit sourire.
— Tu pourrais me rédiger un papier là-dessus ? En spécifiant ton métier etc.
— Oui bien sûr, rapidement je suppose.
— Si possible.
— Je fais ça dès demain.
Leurs regards se croisèrent et ils se sourirent. Mathias brûlait de poser plus de questions.
Il sélectionna celle qui lui venait le plus spontanément :
— Disons que je veux me procurer cette plante, où dois-je aller ?
— En fait, malgré sa dangerosité, cette plante peut être assez commune. Elle vient du Mexique mais a été introduite en Europe et un peu partout sur le globe. On en trouve principalement sur les bords de route ou les terrains à l’abandon.
Mathias visualisa immédiatement les hautes herbes entourant le manoir. Il allait bientôt prendre Maria-Louisa par les mains et les entrainer à danser autour de la table comme un gamin extatique.
— Tu as l’air bouleversé.
— Pour un peu j’en pleurerai, je te jure.
Il termina sa bière pour rafraichir son esprit en ébullition.
— Je vais être franc, j’ai un différend avec un collègue. Il maintient le suicide alors que je défends la thèse du meurtre depuis des semaines.
— Plus de doute maintenant, ça ressemble à de la magie noire, ou en tout cas aux expériences de quelqu’un qui tenterait de la pratiquer.
Mathias hocha la tête, continuant à actionner les rouages de son cerveau.
— À quoi ça ressemble ce datura ?
— La plante peut faire jusqu’à deux mètres de haut. Les feuilles sont assez grandes je dirais, et dentées, avec des petites dents tu vois ?
Elle but le fond de son verre et sortit un stylo de son sac. Elle se mit à dessiner sur une serviette en papier, tournant régulièrement le schéma vers Mathias pour pointer des éléments.
— Il y a des fleurs blanches, en forme d’entonnoir, parfois on les appelle « trompettes de la mort ». Ensuite, la plante va développer de grosses capsules épineuses qui se divisent en quatre valves et dedans, il y a les graines. Elles sont noires et plates et vont servir à la reproduction du datura en se dispersant.
Le gendarme la trouvait fascinante. Il demanda à conserver le dessin. Elle fronça les sourcils.
— Cette personne que tu traques, elle connaît les plantes. On dit souvent que le poison est l’arme des femmes. Est-ce que la victime aurait eu une maîtresse jalouse ou une personne qui lui en voudrait ?
Le gendarme fit tourner son verre vide dans ses mains, réfléchissant à la question.
— Le problème, c’est qu’il faudrait se mettre à croire aux fantômes. La seule personne qui pourrait vouloir chercher vengeance est morte.
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